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Ces réponses sur les violences éducatives que la commission des lois du Sénat n’a pas voulu entendre
©LOIC VENANCE / AFP

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Le Docteur Maurice Berger, pédopsychiatre et professeur associé de psychopathologie de l'enfant, devait être interrogé par Madame Marie-Pierre de la Gontrie, rapporteure de la commission des lois du Sénat, à propos de la proposition de loi sur l'interdiction des violences éducatives ordinaires. Suite à l'annulation de son audition, Atlantico publie ses réponses par écrit aux questions posées par la rapporteure.

Maurice Berger

Le Docteur Maurice Berger est pédopsychiatre, ancien professeur associé de psychologie de l’enfant Université Lyon 2, responsable du diplôme universitaire « Expertise légale en pédopsychiatrie et psychologie clinique de l’enfant ». Il a publié en 2019 Sur la violence gratuite en France: Adolescents hyper-violents, témoignages et analyse (éditions de l'Artilleur). 

 

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Question de Marie-Pierre de la Gontrie : Vous menez depuis de nombreuses années, avec votre équipe, des recherches sur les conséquences, au niveau affectif et cérébral, des maltraitances chez l’enfant. Pouvez-vous nous en évoquer les principaux résultats ? Quelles sont conséquences concrètes, en termes de développement ou de comportement, pour un enfant confronté à la violence familiale ?

Dr Maurice Berger : Les enfants exposés à des violences conjugales deviennent souvent des enfants(puis des adultes) violents, plus même que ceux frappés directement. Ceci est lié au fait que c’est le plus souvent la mère, c’est-à-dire le parent protecteur, qui est frappé, ce qui angoisse fortement l’enfant. Des travaux internationaux montrent que l’exposition à ces scènes avant 4 ans est le plus sûr prédicteur de troubles sévères du comportement ultérieurs, d'autant plus si l’exposition est répétitive.

On constate aussi que l’impact est plus important avant l’âge de 2 ans, car l’enfant ne pouvant pasencore mettre de mots sur ce qu’il ressent, les gestes et les paroles de l’agresseur sont stockés tels quels dans son cerveau. C’est ce qu’on appelle la  mémoire traumatique. Le stress, l’angoisse, entraînent une surproduction de cortisol qui endommageplusieurs zones : l’amygdale cérébralequi permet normalement la régulation des émotions, et l’hippocampequi permet de faire la différence entre le présent et le passé. Par conséquent, le syndrome de stress post traumatique peut survenir dans des circonstances qui « rappellent » les traumatismes initiaux, comme une légère bousculade ou un supposé mauvais regard, et qui font alors resurgir dans le présent des émotions et des images identiques à celles du traumatisme passé : l’image du père  violent envahit la pensée du sujet qui se met à frapper.

L’objet de la proposition de loi vise les violences éducatives dites ordinaires. Que pouvez-vous nous dire de l’impact des punitions et châtiments corporels sur le développement, notamment affectif et cérébral de l’enfant ?

Selon plusieurs pédopsychiatres (Lévy Soussan,  Berger…), on ne peut pas être "pour" la fessée, mais l'interdire en France est inutile et nocif. Le problème est présenté de manière trop manichéenne.

Cette proposition de loi est contestable pour plusieurs raisons. Premièrement, elle étend de manière abusive les connaissances en psychotraumatologie et les utilise dans un sens idéologique. Il faut rappeler la définition du traumatisme psychique: il s'agit d'un événement qui dépasse la capacité affective d’un sujet d’y faire face, avec un effet de surprise et un sentiment d’impuissance. Il est donc faux scientifiquement d’affirmer qu’une fessée unique et « bien tempérée » (cf. infra) modifie le fonctionnement cérébral comme indiqué ci-dessus et crée un syndrome post traumatique. La quasi-totalité des adultes que j’ai interrogés à ce propos disent n’en garder aucun souvenir traumatique.

Deuxièmement, ce projet de loi mélange tout. Il mélange des actes physiques de nature très différente,  tape sur la main, sur les fesses, pincer, coups de bâtons, gifle (on ne doit pas gifler d’une manière générale), agressions sexuelles, etc.Ilmélange aussi tous les âges : bébé (on ne doit met jamais mettre de fessée à un bébé), enfant de 2 ans, plus grand.

Troisièmement, l'interdiction de la fessée témoigne d'une méconnaissance du développement de l'enfant. Elle repose sur une description idyllique et sirupeuse d’un enfant bon a priori, de la possibilité d’un enfant sans violence, d’un monde sans violence, un caprice serait un signe de souffrance psychique,tout se réglerait par l’éducation positive (qui a des qualités). C'est faux, Freud disait « l’enfer, ce serait le monde dirigé par des enfants de 4 ans ». Lorsqu’un enfant désobéit malgré des tentatives de négociation puis une progression dans les interdits: « tu arrêtes, puis « tu vas dans ta chambre », puis si tu continues, tu auras une fessée (et non une rouste), puis «  je compte jusqu’à 3 »,l’enfant est prévenu, il n’est pas surpris ni impuissant face à ce qui va arriver, il fait un choix, éventuellement celui de narguer avec ses conséquences. Certains enfants ont besoin de rencontrer une butée physique, d’autres pas. La butée est différente d’un châtiment.C’est  arrêter les actes de quelqu’un, le contenir physiquement et l’aider à se contenir lorsque la parole ne sert pas. Cela vient quand tout le reste a échoué.

De plus, il doit exister une asymétrie saine et fondamentale entre l’adulte et l’enfant. Le terme « inégalitaire » est inadapté car il comporte une connotation idéologique sous-entendant qu’il pourrait y avoir une égalité entre deux niveaux de maturité affective aussi différents. L’adulte connait les valeurs, ce qui est bien ou pas bien, il est porteur d’interdits structurants, soucieux de rendre son enfant aimable aux yeux des autres et capable de vivre en groupe. Certains enfants vont jusqu’au bout pour essayer d’être plus fort que les parents, c’est de bonne guerre…Si on les en empêche, ils ne sont pas humiliés, mais vexés, et vont penser et considérer autrement leur relation avec leurs parents. Souvent une seule fessée suffit dans la vie.

Enfin, l'interdiction de la fessée augmente la fragilisation actuelle de l'autorité parentale. Dire « non » à son enfant est déjà difficile en soi, il le sera encore plus avec cette interdiction. Les parents sont de moins en moins soutenus par le groupe social,  le « qu’en dira-t-on », et  les média tournent tous les interdits en dérision. En sabotant ainsi la position parentale, on arrive à des parents qui supplient leur enfant d’obéir.

Pour conclure, ce projet de loi est inutile pour les parents violents qui continueront à frapper car ils se sentent  au-dessus de la loi. Il « confirmera » dans leur impuissance les parents déjà incapables de dire non, culpabilisera les parents cohérents éducativement et créera des enfants roitelets dont certains n’intégreront pas les interdits.

Plusieurs exemples étrangers démontrent que l’interdictiondes violences éducatives ordinaires et les campagnes d’information permettent une diminution des violences, notamment conjugales ? Qu’en pensez-vous ? Pensez-vous qu’une interdiction de ces violences éducatives ordinaires pourrait avoir des conséquences bénéfiques sur la société, notamment en termes de protection de l’enfance ?

Les études citées posent un problème méthodologique. A ma connaissance, elles ne comprennent pas de groupe témoin auquel on n’aurait pas donné de consignes ou conseilsparticuliers concernant la non utilisation des violences éducatives. Donc on ne peut pas savoir comment aurait évolué cette société spontanément et en particulier s’il y aurait eu la même diminution des « violences éducatives » sous l’impact d’autres facteurs. De plus, sans groupe témoin, il est impossible de faire une étude en double aveugle, l’évaluateur ne sachant pas quel groupe il évalue, ce qui garantit l’objectivité.

Exemple de conclusion citée, très discutable et qui trouble : Gershoff : « les enfants qui ont reçu des fessées avant l’âge d’un an sont ensuite plus  agressifsque les autres enfants à l’âge de 3 ans ». Conclusion inutilisable, car lorsqu’un parent donne une fessée à un enfant qui n’a pas encore l’âge de la marche, on n’est pas devant un « simple » problème de fessée ou de violence éducative ordinaire, mais devant une difficulté éducative beaucoup plus importante et un niveau non négligeable de compréhension des besoins d’un enfant petit.

Quel est, selon vous, le mode d’éducation le plus favorable au bon développement des enfants ? Quel est l’environnement idéal ?

Il n’y a pas d’éducation idéale, mais on peut quand même se référer aux besoins fondamentaux de l’enfant.

Le premier besoin, qui englobe les autres, c’est le besoin de disposer d’un adulte sécurisant, c’est-à-dire capable de percevoir les moments de mal-être, d’inquiétude de son enfant, et de lui apporter dans un temps convenable une réponse qui le rassure et le calme. Donc il fautun parent capable de se décentrer de lui-même et de se retenir lorsqu’il est énervé.

Le deuxième besoin éducatif fondamental reconnu par la communauté scientifique est le besoin de limites claires, cohérentes, solides et non excessives, en développant chez l’enfantle sens de l’empathie : « Est-ce que tu aimerais qu’on te fasse cela ? ».

Le troisième besoin est le besoin de jeu. Les glucides, lipides, protides sont l’aliment de la croissance physique ; le jeu est l’aliment de la croissance affective, dès les premiers mois de la vie : jeu de coucou-caché, jeu de la tour de cube que le bébé démolit, « badaboum » et qu’on reconstruit, jeu de la dinette « miam ou pouah ! », etc. Le jeu permet l’accès au faire semblant, au comme si. Et il permet de transformer la violence de l’enfant en un jeu/plaisir contenu. Il existe d’autres besoins, de stimulation suffisante (bain de langage), etc.

Vous êtes un spécialiste de la protection de l’enfance. Quelles seraient, selon vous, les mesures à mettre en place rapidement pour sensibiliser et accompagner les parents à mettre en œuvre une éducation sans violences ?

Il existe des niveaux très différents de difficulté éducative. Certains parents peuvent être prêts à frapper sans retenue et pour des choses minimes, d’autres sont « simplement » confrontés à la manière dont leur enfant va tester son pouvoir sur eux, ou va être débordé émotionnellement à certains moments. Cette question présente en permanence dans le projet de loicontient donc une confusion interne car il n’y a pas de lien, pas de rapport entre la protection de l’enfance qui concerne des parents négligents et maltraitants, et le mode d’éducation donné par des parents «ordinaires », tout venants.  

Pour le groupe des parents « à risque », négligents et potentiellement maltraitants, de nombreux protocoles ont été décrits. Le principe général est que s’il y avait des groupes de professionnels allant jouer avec les parents et les enfants très petits, il y aurait moins de violences gratuites  en France, et il serait intéressant que les parents soient rémunérés par la Caisse d’Allocation Familiale pour participer à ces groupes afin de les motiver à y participer avec régularité.De tels groupes devraient avoir lieu dans des locaux associatifs, des maisons de quartier, et pas dans des lieux de soins et s’accompagner éventuellement d’une incitation financière pour la régularité de la présence. Mentionner la question « comment éviter les VEO ? » dans le programme ferait fuir un certain nombre de parents qui ne seraient pas d’accord avec cette idée a priori.

Pour les parents « ordinaires », je pense que donner comme objectif une éducation sans violence est leur fixer un idéal irréalisable et culpabilisant. Je ne crois pas qu’on puisse réaliser une éducation sans contrainte. Pour eux, on pourrait imaginer l’organisation de groupes de réflexion de parents lors de l’entrée en crèche, en maternelle, et en primaire où il soit proposé de réfléchir sur les attitudes possibles, dont une fessée bien tempérée, face à un enfant turbulent, qui pousse à bout, etc.

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