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Ces pédagogistes qui nous excluent des débats sur l’école à grands coups de langage ridicule
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Into the mind

Le jargon pédagogique condamne aujourd'hui les non initiés à rester sur le banc de touche des débats. Pour le plus grand bonheur de certains "experts".

Jacques Béhat

Jacques Béhat

Jacques Béhat est un contributeur énigmatique. Tout juste sait-on de lui qu'il a un bac+5 en sciences humaines et qu'il a fait mille petits boulots au contact de la France d'en bas. Il écrit des articles et des livres sous un autre nom.

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On l’avait presque oublié, ce jargon pédagogiste qui désole le peuple mais flatte le pouvoir socialiste. Le voilà qui fait un retour en force avec cette réforme des programmes scolaires tant attendue. Nul doute qu’avec ce qu’on nous prépare, le pays retrouve de la sérénité et se reclasse sur le devant de la scène mondiale, tiré vers le haut par toute une génération de jeunes gens qui seront très bien formés pour affronter les défis technologiques et éthiques des trente prochaines années.

Vous aurez donc sûrement lu que nager dans une piscine se dit dorénavant « traverser l’eau en équilibre horizontal par immersion prolongée de la tête, dans un milieu aquatique profond standardisé ». Un véritable petit bijou sémantique. Peut-être l’une des formulations parmi les plus abouties de ce jargon pédagogiste, qui s’épanouit si bien dans le cadre rhétorique socialiste, et qu’il nourrit en retour.

On se demande ce qui a bien pu passer par la tête des pédagogistes du Conseil Supérieur (s’il vous plaît) des Programmes. Si on peut regretter que cet effort de rigueur intellectuel et de précision ne soit pas enseigné aux élèves, on peut néanmoins trouver cette capacité à inventer de telles formulations tout à fait fascinante. On peut aussi s’interroger : qu’est-ce qui peut bien motiver une personne à désigner de la sorte des choses aussi élémentaires, et pour lesquelles il existe déjà des mots parfaitement appropriés et évocateurs ? Il y a bien un effet recherché de la part du bureaucrate, qui va au-delà d’un goût prononcé pour les lettres ou d’un amour de la littérature.

Essayons de comprendre ce procédé stylistique, et de voir ce qu’il traduit. Remarque préalable : vous noterez que je n’ai pas employé le terme de novlangue, contrairement à un certain nombre de personnes avec lesquelles je partage pourtant le même esprit de dénonciation de la rhétorique socialiste. C’est que le novlangue imaginé par George Orwell dans son roman 1984 procède par réduction lexicale : en appauvrissant le langage, en supprimant des mots, l’Angsoc ambitionne de réduire le nombre de concepts et nuances disponibles. Ce n’est pas le même procédé qui est employé par les pédagogistes socialistes (pléonasme). Si je comprends l’intention de mes camarades, invoquer l’analogie avec le roman mythique pour dénoncer la tentation totalitaire propre au socialisme, je trouve néanmoins que le recours au concept de novlangue est inexact et inadapté,  et qu’il révèle un manque de rigueur intellectuelle. C’est plutôt embarrassant dans l’optique d’une lutte sur le terrain sémantique justement : nos adversaires communs étant des experts de la chose, ils pourront facilement nous démontrer que nous avons tort. Nous avons affaire à des personnes à l’intelligence redoutable, quoique mal employée ou mal orientée : ne cédons pas à la facilité par souci de la formule percutante.

Ceci étant posé, voyons donc comment notre bureaucrate-pédagogiste opère, et ce qu’il cherche à atteindre. « Traverser l’eau en équilibre horizontal par immersion prolongée de la tête, dans un milieu aquatique profond standardisé », « créer de la vitesse » (pour courir), « référentiel bondissant » (pour désigner un ballon !), « lecture cursive », ... Tous ces exemples, et il y en a d’autres, utilisent le même procédé dans lequel on retrouve deux logiques consubstantielles. La première logique à l’oeuvre consiste en une « décomposition conceptuelle ». Le pédagogiste déconstruit le concept ou le sens global d’un mot, mettant ainsi en évidence plusieurs « infra-concepts » ou des caractéristiques techniques. Cette maneouvre facilite, en même temps qu’elle renforce la seconde logique, qui consiste à éviter à tout prix l’emploi des mots courants ou usuels. On voit bien que le pédagogiste met un point d’honneur à remplacer des mots par une terminologie qu’il croit savante. Dans quel but ? L’utilisation d’un tel procédé, vise l’objectivation, c’est-à-dire la neutralisation du langage, dans le sens de « rendre neutre ». On remplace un mot par le concept décomposé, que l’on dépossède au passage de toutes les évocations imaginaires et subjectives possibles. Un peu comme si, en musique, on supprimait toutes les harmoniques supérieures d’une note, pour n’en garder que la fréquence fondamentale. Quand je pense « nager », je peux penser à une piscine municipale dans laquelle je nage pour m’entraîner, mais aussi à une piscine privée dans laquelle je me rafraîchi, ou encore à la mer dans laquelle je pourrai nager tout nu si l’envie m’en prend. Le jargon pédagogiste interdit cette palette d’évocations. Idem pour « ballon » : ballon de foot, pour jouer avec mes amis, le ballon de la coupe du monde, le ballon rouge des enfants. Le « référentiel bondissant » objective le ballon et prive le concept de son potentiel d’interprétations ou d’évocations personnelles. Avouez qu’en prononçant « référentiel bondissant », l’image qui apparaît dans cotre cerveau est neutre, voire appauvrie.

L’identification de ce procédé permet de mieux appréhender cette motivation à utiliser ce style neutre si bureaucratiquement poétique : le pédagogiste cherche à opérer une distanciation maximale avec son objet d’étude, ce qui lui permet de se positionner dans le rôle de l’expert en ingénierie sociale. Cette distanciation est probablement indispensable, pense-t-il, pour se maintenir dans le rôle de l’observateur rationnel de la collectivité qu’il regarde de l’extérieur, et avec laquelle il ne se mélange pas. Cette distanciation intellectuelle et langagière, permet également à notre pédagogiste-ingénieur social de se distinguer : l’utilisation d’un langage vernaculaire a une visée ésotérique, au sens étymologique, c’est-à-dire qu’elle est restreinte à un cercle d’initiés, et exclue de fait le monde extérieur, en l’occurrence la masse. Le pédagogiste est en dehors, et se croit donc au-dessus. Il est un penseur de la collectivité, et pour la collectivité. « Je ne suis pas des vôtres » semble-t-il dire ainsi. Et c’est vrai : le pédagogiste fait partie de la classe des planificateurs créée par le système socialiste. Pas étonnant qu’il ne parle pas le même langage que nous.

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