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Ces inégalités structurelles d’accès aux services publics encore bien plus graves que la punition de territoires qui votent mal
©JACQUES DEMARTHON / AFP

(In)justice

Selon une note révélée par le Canard Enchaîné, le ministère de la Justice envisagerait de maintenir ou de supprimer des postes de juges en fonction des résultats électoraux de La République en marche dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico.fr : Le Canard Enchaîné a publié un document du ministère de la Justice indiquant que les suppressions de postes de juges d'instruction dépendent des scores macronistes dans certaines villes. Cette information n'est en réalité pas quelque chose de nouveau car la rupture d'égalité existe depuis longtemps. 

En quoi y a-t-il un problème d'inégalités de présence des services publics sur le territoire français ? Quelles conséquences pour les territoires impactés, que ce soit à un niveau économique mais aussi politique ?

Laurent Chalard : Même si l’obsession égalitariste française voudrait qu’il y ait une répartition homogène des services publics sur l’ensemble du territoire hexagonal, dans les faits, c’est loin d’être le cas pour la simple raison que notre pays est peuplé de manière hétérogène, affichant des densités de population très variables selon les régions. Si chez certains de nos voisins européens, comme la Belgique, les Pays-Bas ou l’Allemagne, les fortes densités de population généralisées permettent une relative bonne implantation des services publics sur l’ensemble de leur territoire, en France, la densité moyenne (un peu moins de 120 habitants par km2) n’est pas suffisamment importante pour que cela puisse être le cas. En effet, il ne peut y avoir le même niveau de services sur le plateau des Millevaches, qui affiche une densité de 5 habitants par km2 dans sa partie centrale et ne possède aucune ville, et la plaine d’Alsace, à la densité supérieure à 300 habitants par Km2 avec un réseau urbain très fin. 

Il s’en suit que les territoires faiblement densément peuplés, qui correspondent à ce que les géographes appellent« l’espace rural profond », sont, assez logiquement, les moins bien lotis en termes de services publics. Cependant, il ne faut pas croire que tout relève uniquement d’une question de densité car certains territoires densément peuplés, en particulier dans les périphéries des grandes métropoles, peuvent se trouver, eux aussi, sous-dotés en termes de services publics, soit parce que ce sont des territoires connaissant une croissance démographique élevée que le développement des services publics a du mal à suivre, soit parce que ce sont des territoires répulsifs où les services publics ont du mal à se maintenir, comme dans les banlieues de tradition industrielle en déclin. 

Au plan économique, la principale conséquence d’un sous-équipement en services publics est la perte d’attractivité du territoire car il sera répulsif pour les entrepreneurs mais aussi pour les populations innovantes, qui ne trouveront pas les moyens de s’y épanouir et refuseront donc de s’y installer. Sur le plan politique, c’est une source de tensions sociales, contribuant à l’image d’abandon de la part de l’Etat qu’ont les populations de certains territoires, ce qui est favorable aux mouvements populistes, essentiellement le Rassemblement National à l’heure actuelle, mais aussi à des mouvements de contestation sociale, tels que les « gilets jaunes ». 

D'où viennent ces inégalités ? Quels types de décisions mènent à la création de "déserts publics" ? 

Concernant l’origine de ces inégalités, certaines sont héritées pour la raison précisée précédemment, un peuplement hétérogène de la France, d’autres sont liées à des adaptations des services publics ces dernières décennies tenant compte des évolutions démographiques des territoires. En effet, dans un contexte de désengagement de l’Etat pour des raisons financières, son important endettement, nos gouvernants vont privilégier la fermeture des services publics dans les régions où ils apparaissent, pour des raisons objectives, les moins rentables, c’est-à-dire que l’offre apparaît beaucoup plus importante que la demande, en l’occurrence dans les territoires où la population baisse et/ou vieillit. Cependant, malheureusement, dans certains cas, comme le sous-entend l’article du Canard Enchaîné que vous citez, la fermeture de services publics relève plus de décisions politiques que de la rationalité. En l’occurrence, les territoires ayant un relais politique au niveau gouvernemental vont réussir à sauver leurs services publics potentiellement menacés, alors que ceux ne bénéficiant d’aucun relais, seront condamnés à les perdre. Cela n’est pas spécifique à un parti politique plutôt qu’à un autre, cette situation reflétant juste la gestion clientéliste de la France.Nos dirigeants se moquent royalement de l’intérêt général au profit de considérations purement électoralistes !

Y a-t-il une politique cohérente au niveau national concernant l'aménagement du territoire et cette présence des services publics ?

Non, il n’existe pas de politique cohérente au niveau national concernant le développement des services publics pour la simple raison qu’il n’existe plus de politique d’aménagement du territoire digne de ce nom en France depuis les années 1980. Dans un contexte de libéralisme roi, l’Etat laisse le marché décider seul de la géographie économique hexagonale. Au lieu d’adopter une réflexion globale, reposant sur la détermination des pôles de services publics à maintenir absolument sur l’ensemble du territoire dans l’optique d’éviter l’émergence de « déserts » dans le domaine, la réflexion suivie se fait de manière sectorielle, c’est à dire que pour chaque service public dépendant d’un ministère spécifique (justice, santé, éducation…), ce ministère va supprimer les services en question dans les territoires où ils ne sont plus rentables. Or, bien souvent, ce sont les mêmes territoires qui vont ressortir à chaque fois, d’où, à l’arrivée, la suppression de tous les services publics (maternité, tribunal, poste, école…) dans les mêmes territoires, alors que si une réflexion globale d’aménagement du territoire avait été engagée, cet écueil aurait été évité, permettant de maintenir un minimum de servicessurchaque territoire.Pour remédier à cette situation, il serait temps que nos dirigeants sortent des logiques sectorielles pour les remplacer par des réflexions plus globalisantes.

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