Ces illusions allemandes face à la Chine qui font du mal à l’Europe entière <!-- --> | Atlantico.fr
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Olaf Scholz et Xi Jinping lors d'une visite officielle.
Olaf Scholz et Xi Jinping lors d'une visite officielle.
©KAY NIETFELDPOOL / AFP

Effet domino

L'Allemagne souhaite faire évoluer ses relations commerciales avec la Chine. Ce changement d’approche peut-il présenter un risque pour les autres nations en Europe ?

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Atlantico : L’Allemagne entretient des relations commerciales particulières avec la Chine. C’est d’ailleurs pour cette raison, notamment, qu’Olaf Scholz s’est rendu en Chine. Le chancelier Allemand a évoqué la nécessité d’une “réduction des risques” liés à l’imbrication de son économie avec celle de la Chine. L’Allemagne se berce-t-elle d’illusion, en la matière ? Faut-il craindre un impact sur son industrie ?

Jean-Marc Siroën : Selon la formule consacrée, la Chine est considérée par l'Allemagne comme un pays « partenaire, concurrent et rival systémique ». Ce n'est pas faux, mais ça ne facilite pas la révélation de politiques cohérentes !

Pendant un peu plus de vingt ans, la Chine a joué le rôle de locomotive pour l'économie mondiale et tout particulièrement pour l'économie allemande. Elle a tiré sa croissance et en lui permettant de préserver son emploi industriel. C'était un modèle vertueux : les profits réalisés sur le marché chinois se réinvestissaient dans les grandes firmes allemandes de l'automobile, des machines-outils ou de haute technologie. Aujourd'hui, l'angoisse est que ce cercle vertueux se transforme en cercle vicieux. Non seulement le ralentissement de la croissance a freiné la locomotive chinoise et donc tassé les exportations allemandes mais sa domination industrielle est remise en cause. Trop dépendante de la Russie pour l'énergie, l'Allemagne s'aperçoit maintenant que son industrie est non seulement devenue trop dépendante de la Chine mais qu'elle est aussi de plus en plus concurrencée et distanciée notamment sur l'ensemble de la filière automobile électrique. La Chine devient donc de moins en moins un partenaire (c'est-à-dire un marché) et de plus en plus un concurrent et un rival systémique. Olaf Scholz a beau reprendre la doctrine post-covid du "derisking" - une plus grande diversification géographique des exportations comme des importations-, dans les faits, face à l'ampleur de la tâche, il préfère tergiverser et prolonger le plus longtemps possible son "partenariat" avec la Chine en espérant qu'en le réaffirmant et en feignant de croire à la bonne volonté de ses dirigeants, il atténuera la concurrence agressive de la Chine dans ses secteurs d'excellence. C'est évidemment une illusion qui risque de retarder l'heure des choix.

Dans quelle mesure peut-on penser que ces déclarations et ce changement d’approche peuvent présenter un risque pour les autres nations d’Europe ? Quels sont les pays les plus vulnérables en cas de “decoupling” de l’économie allemande à l’américaine ?

Le "derisking" porté par l'Union Européenne est une chose, le "decoupling", porté par les Etats-Unis, en est une autre. Le "derisking" appelle une diversification des marchés et des sources d'approvisionnement et donc un désengagement partiel de certaines zones. Le "decoupling" se situe à un niveau stratégique supérieur, celui du "rival systémique" et conduit à la fin complète des échanges dans les secteurs considérés comme stratégiques d'un point de vue aussi bien industriel que sécuritaire. C'est le cas, aujourd'hui des pressions américaines pour ne plus vendre à la Chine de microprocesseurs ainsi que des machines pour les produire. L'Allemagne qui n'est déjà pas très claire avec le "derisking "est loin d'adhérer au "découpling" avec la Chine et elle s'en inquiéterait même plutôt car il impliquerait un bouleversement structurel qu'elle ne veut pas accélérer. L'Allemagne y voit un nouveau risque pour ses exportations même si son atlantisme l'empêche de le dire trop fort. 

Comment les autres nations de l’Union peuvent-elles se préserver de l’impact d’une telle politique allemande ? Que faire, en effet, contre le protectionnisme de certains de nos voisins, en l'occurrence venus d’outre-rhin ?

Pour l'instant, l'Allemagne ne pousse pas au protectionnisme, au contraire même et pour une raison très simple : elle craint les représailles qui en rajouteraient aux difficultés de son secteur exportateur. Pour l'instant, les géants allemands très engagés en Chine, comme Volkswagen, loin d'encourager les mesures protectionnistes que pourrait prendre l'Union Européenne, s'en inquiètent compte tenu de sa pénétration actuelle du marché chinois, peut-être menacée à terme mais loin d'être déjà condamnée. Certes, on peut imaginer que si l'Allemagne devait faire face à une désaffection accélérée des automobiles allemandes, un afflux d'importations chinoises de voitures électriques et un effondrement de l'emploi industriel, sa position pourrait évoluer voire s'inverser. Mais on n'en est pas là ! Pour l'instant c'est la France qui pousse à l'adoption de mesures protectionnistes, pas l'Allemagne.

Il convient d'ailleurs de rappeler que la politique commerciale, et donc les mesures protectionnistes traditionnelles, comme les droits de douane, sont une compétence exclusive de l'Union européenne. C'est même le plus gros pilier de la construction européenne. Ni la France, ni l'Allemagne ne fixent seuls leurs droits de douane. Il ne reste donc pas grand-chose aux pays pour agir individuellement si ce n'est par quelques discrètes subventions ou par d'amicales visites au "partenaire" chinois comme celle récente du chancelier Scholz au Président Xi Jinping.

Peut-on dire également de la Chine qu’elle fait mauvaise route sur certains points, notamment quand elle attribue la méfiance européenne à des pressions américaines ? Comment œuvrer à des relations plus apaisées d’un bord comme de l’autre ? 

La Chine a fait fausse route sur de nombreux points ce qui est d'ailleurs une part du problème. Ses crises financières, sa gestion du Covid, ses projets staliniens non aboutis en sont quelques exemples. Les surcapacités de production qui poussent au dumping tout comme la chute des investissements directs étrangers en sont quelques-unes des conséquences. Dès lors il est naturel de chercher des boucs émissaires.

Les pressions américaines sont une réalité. Les Etats-Unis disposent d'un pouvoir d'extraterritorialité qui n'est pas accessible aux autres pays. Ces pressions se sont multipliées ces dernières années, par exemple pour contrer Huawei dans l'installation de la 5G ou aujourd'hui, pour empêcher la fourniture à la Chine de microprocesseurs et de machines pour les produire. Il est donc assez attendu que la propagande chinoise exploite ces pressions tout en maintenant un discours officiel favorable au libre-échange et au multilatéralisme (la réalité est différente) qui tranche avec celui qui est aujourd'hui entendu chez l'"ennemi" américain.

Mais les pays européens n'avaient pas besoin des pressions américaines pour s'inquiéter d'une politique chinoise de plus en plus agressive, économiquement et politiquement. Ils ne sont pas obligés non plus de suivre point par point la politique protectionniste lancée par Donald Trump, poursuivie par Joe Biden et dont ils sont eux aussi les victimes.

On ne doit pas se faire d'illusions. Le climat actuel n'est pas à l'apaisement. L'invasion de l'Ukraine a achevé de dévaloriser l'instrument de la négociation au profit du rapport de force. Certes, la guerre commerciale n'est pas la guerre tout court et par son poids dans l'économie mondiale et de sa dépendance vis-à-vis du monde, la Chine n'est pas la Russie. Elle a sa rationalité qui n'est pas la nôtre mais qui reste relativement prévisible. Il faut sans doute continuer à dialoguer avec la Chine, mais sans naïveté et cela ne suffira pas à rassurer les pays européens sur l'afflux de produits chinois subventionnés et vendus à prix de dumping. L'enjeu est bien la place de l'Europe dans les nouvelles industries plus ou moins vertes et plus ou moins dépendantes de révolutions technologiques en cours et à venir. Pour l'instant, l'Europe, et tout particulièrement l'Allemagne, structurées autour des industries anciennes est à la traîne et doit se poser quelques questions comme : faut-il décourager les investissements en Chine tout en encourageant l'implantation de firmes chinoises en Europe ? Comment financer la reconversion de notre industrie et mobiliser l'épargne dans ce but ? Les mesures protectionnistes sont-elles le bon instrument ?

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