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Ces handicaps internes auxquels les constructeurs automobiles français devraient s’attaquer plutôt que d’attendre de l’État qu’il règle tous leurs problèmes
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A l'occasion de l'ouverture du Mondial de l'automobile, les patrons de Peugeot, Citroën et Renault pressent le président Hollande d'accélérer les réformes pour booster leur compétitivité. Ils ont pourtant bien d'autres problèmes qu'ils pourraient d'abord régler eux-mêmes.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Si le salon de Francfort est un feu d’artifice dans la surenchère entre les grandes marques allemandes, le Mondial de Paris est toujours plus discret et traduit la modestie de fait des marques françaises qui ne sont plus les leaders mondiaux. Les chiffres sont clairs. Le marché français, avec 2,2 millions de véhicules vendus en 2013, ne représente plus que 2,5 % du marché mondial de l’automobile et ses constructeurs n’ont produit en France que 1,7 million de voitures en 2013 sur une production mondiale de 87,3 millions de véhicules, soit 2%. Au total, les marques françaises représentent  6,6 % du marché mondial et 78% de leur production est vendue hors de France.  Malgré ces chiffres, l’industrie française reste combative sur le plan mondial. Le Mondial de 2014 met en évidence le savoir-faire de l’industrie française dans les petites voitures et dans l’innovation. Renault démontre également  sa volonté de renouer avec le haut-de-gamme avec le nouvel Espace.

En 1903, la France produisait 50% des voitures mondiales et était un spécialiste du très haut de gamme. L’histoire automobile mondiale a été marquée jusqu’en 1939 par la créativité et le dynamisme des pionniers, constructeurs et équipementiers français, puis des industriels. Louis Renault, André Citroën, André et Édouard Michelin étaient des références entrepreneuriales mondiales. C’est dans l’après-guerre que l’industrie française s’oriente avec succès vers les petites et moyennes voitures, marché qui lui permet de connaitre une forte dynamique jusqu’en 1973.

Depuis 2008, le contexte a profondément évolué. La crise de l’automobile en Europe a eu un impact majeur sur la baisse des volumes de voitures neuves vendues (12,3 millions en 2013) et les marques françaises, centrées sur l’entrée de gamme, moins présentes que leurs rivales allemandes sur les marchés asiatiques, absentes des Etats-Unis, ont beaucoup plus souffert. Si ce positionnement fragilise l’industrie française en terme de profitabilité, ceci n’est pas nécessairement une faiblesse de long terme.

Une production française en repli

Lorsqu’en 1980 on comparait les industries automobiles allemandes et françaises, on constatait un équilibre de la production entre les deux pays, 3,5 millions  de véhicules en Allemagne comme en France. En trente ans, les Allemands se sont spécialisés sur les voitures grandes et de luxe, avec de fortes motorisations et ont visé le marché mondial. alors que la France a limité son expansion au marché européen, et singulièrement à l’Europe du sud, demandeur de voitures petites et moyennes. En 2014, l’écart s’amplifie à cause de la place prééminente du marché chinois dont les allemands occupent 23%.

Le succès allemand est humiliant pour l’industrie française qui s’interroge sur son avenir en regrettant de ne pas avoir su capter le lucratif marché mondial du haut de gamme totalement dominé par les constructeurs allemands. Si les chiffres de la production automobile en France ne cessent de diminuer, au point de n’être qu’au 13e rang mondial en 2013, le déclin des constructeurs français, qui s’attaquent désormais avec force au marché mondial, n’est toutefois pas fatal.

En 2013, les constructeurs français ont produit dans le monde 5,6 millions de véhicules individuels et utilitaires légers. La production hors France s’élève à 4,2 millions, soit 74,3 %. Toutefois, avec, structurellement,  des marges plus faibles sur des voitures moins rémunératrices, les constructeurs français n’ont pas eu les ressources pour développer mondialement une stratégie de marque innovante et qualitative sur le haut de gamme. Ils sont conduits pour des raisons de prix de revient, comme tous les constructeurs mondiaux, à produire leurs véhicules d’entrée de gamme dans les pays à faible coût de main-d’œuvre.

Cette diversification géographique dans les pays émergents est un atout pour la compétitivité des prix de revient, mais pourrait aussi devenir un vecteur de volumes sur ces marchés avec toutefois de fortes incertitudes sur leur robustesse.  L’érosion de la production automobile en France ne peut que continuer même si les pactes de modération salariale conclus par Renault et PSA avec les partenaires sociaux donnent une nouvelle marge de manoeuvre pour produire en France. La production en France, même si elle conserve une valeur symbolique forte, n’est plus un enjeu stratégique pour les constructeurs français qui s’appuient sur un appareil de production mondial. En 2000, les constructeurs français avaient produit 4,6 millions de voitures individuelles dont 1,8 million seulement hors de France. La chute de production en France en 13 ans est de 40%, ce qui est difficilement rattrapable.

La structure de production est très différente en Allemagne, La production domestique est de 5,7 millions, en 2013 pour un marché intérieur de 3,2 millions de véhicules. L’Allemagne a exporté 4,2 millions de véhicules sur les 6,6 millions exportés par toute l’industrie automobile de l’Union européenne. Cette performance a généré un excédent commercial de plus de 90 milliards d'euros, soit 50% de l’excédent total de 198,9 milliards d'euros.

La France excelle sur l’entrée et le milieu de gamme

La spécialisation sur l’entrée et le milieu de gamme caractérise le marché français et a marqué l’image mondiale des constructeurs. Le marché français se concentre sur les véhicules d’entrée de gamme et économique (53%) et de moyenne gamme inférieure (30%), contre respectivement 41% et 28 % pour la moyenne de 18 pays européens. La puissance moyenne des voitures composant en 2011 le parc français est parmi les plus faibles d’Europe : 1550 cm3 et 74 kW en France contre 1634 cm3 et 84 kW pour la moyenne des 15 pays européens, et en Allemagne 1756 cm3 et 96 kW.

Les choix techniques induits par les petites voitures sont aussi spécifiques à notre histoire. La diésélisation est une spécialité française. Or les grands marchés - Etats-Unis, Japon et maintenant Chine - sont réfractaires au diesel pour les voitures individuelles. La part des boîtes automatiques sur le marché français est de 12 % alors que dans les grands marchés mondiaux elle dépasse les 90 %. Il y a donc une forme d’inadaptation structurelle de l’offre française destinée au marché intérieur, donc de la culture dominante des constructeurs, à la demande mondiale. Il faut donc innover pour automatiser ces petits véhicules et les adapter aux conditions du trafic urbain et péri-urbain.

L’échec du haut de gamme français est-il réversible ?

On présente souvent le haut de gamme comme la solution économique au futur de l’industrie française. Les chances sont faibles... Les essais de pénétration du haut de gamme ont été rarement réussis en dépit de la qualité intrinsèque de l’ingénierie des véhicules français de ce segment. L’échec de la Vel Satis, pourtant pleine d’ambition, a été cuisant pour Renault, avec 62000 voitures vendues en 7 ans, mais la Citroën C6 n’a pas fait mieux. Les essais de greffe du losange sur la coréenne SM5 pour produire Latitude ont donné des résultats anecdotiques. Alors que Citroën avait révolutionné à nouveau l’industrie automobile en 1955 avec la DS, voiture élitiste, le haut de gamme français est allé de Charybde en Scylla, de génération en génération. La R16 a beaucoup mieux réussi que la R25, elle-même plus vendue que Safrane…

La responsabilité historique est largement due à la fiscalité automobile qui a pénalisé par la vignette assise sur le concept curieux de « puissance fiscale ». Les infrastructures françaises, longtemps médiocres, n’ont pas non plus facilité le développement de voitures haut de gamme. Il faut aussi reconnaître que la fiabilité n’était pas au rendez-vous…

L’internationalisation des constructeurs français qui légitime un investissement sur le haut de gamme, a longtemps été freinée. Ils n’ont jamais réussi à s’implanter durablement aux Etats-Unis après la seconde guerre mondiale. Leur pénétration du Japon est marginale. Renault a essayé trois fois de pénétrer le marché américain et a dû se replier douloureusement. Peugeot et Citroën n’ont pas fait mieux. Or Volkswagen y est présent durablement depuis avec sa célèbre Coccinelle, vendue aux Etats-Unis à 15 millions d’exemplaires, et a su pérenniser sa présence à travers le succès de sa marque Audi ; BMW et Mercedes ont implanté des usines. Renoncer au rêve du haut de gamme est évidemment déchirant pour les états-majors des groupes français tant pour des raisons de prestige et de marge potentielle. Le nouvel Espace est une tentative qui rassemble beaucoup d’éléments de succès, dans le style et le niveau de prestations visé, comme le développement de la marque DS pour PSA, mais les places sont durablement prises et la compétition pour imposer une image haut de gamme à la française sera difficile.

L’avenir sera aux constructeurs qui sauront concilier plaisir et frugalité

Si l’on prend comme critère les émissions de CO2, les constructeurs français sont les bons élèves de l’Europe, avec les Italiens. Ce n’est pas tant par vertu que grâce à une structure de la demande qui privilégie les voitures de petite cylindrée.

De ce fait, 85% des véhicules vendus en France en 2012 produisent moins de 140g de CO2/km. En 2012, la classe la plus représentée est la classe B (de 101 à 120 g de CO2 / km) avec 38 % des ventes. La classe d’énergie A (jusqu’à 100 g de CO2 / km), représente 14 % de part de marché. Il y a dix ans, en 2004, la production moyenne de CO2 par voiture était de 154 g/km. Les progrès sont donc tout à fait sensibles.

Fort de ce constat, si l’industrie française s’est de fait spécialisée dans les petites voitures, peut-elle en tirer un modèle économique gagnant ?

Dans une perspective de baisse mondiale de la consommation et des émissions ce n’est pas un handicap. En redoublant de créativité, la petite voiture française peut en effet se développer mondialement. Pour cela il faut continuer de tirer vers le bas les consommations d’énergie. 2 litres au 100 est accessible en travaillant sur le poids, principal facteur de consommation. Renault et PSA y ont répondu avec célérité et réalisme au défi du gouvernement de produire une voiture consommant moins de 2 litres au 100. Renault propose un véhicule essence/hybride, la Renault Eolab, et PSA met en oeuvre son concept Hybrid Air essence/air sur une 208. Mais pour gagner en poids, il faut aussi revoir l’architecture qui n’a pas changé depuis les années trente avec l’adoption de la caisse acier soudée. Eolab apporte ainsi des éléments de réponse avec une caisse multi-matériaux allégée. Par ailleurs, la voiture doit être urbaine, maniable et pratique. Les consommateurs attendent des véhicules pratiques qui permettent de faciliter la vie à bord, le rangement des objets comme les poussettes ou la connexion des appareils électroniques personnels, les circulations fréquentes d’entrée/sortie. On a aussi besoin de se garer facilement dans un espace nécessairement limité et coûteux car le foncier urbain sera de plus en plus rare, voire même inaccessible. C’est pourquoi l’automatisation des véhicules peut trouver des usages effectifs dans l’accès au parking ou la conduite en situation de fort trafic. Quant à l’énergie on peut considérer que le véhicule électrique, spécialité de Renault et aussi de Bolloré, est urbain par destination : les nuisances, bruit, chaleur et émissions de particules et gaz polluants,  sont minimales. Toutefois, les conditions économiques de production de ces motorisations alternatives ne permettent pas aujourd’hui de les vendre  à un prix compétitif sans aides publiques.

L’industrie française doit donc faire des choix de long terme fondés sur une vision réaliste du marché futur sans tenter de corriger une situation d’image sur les valeurs traditionnelles de puissance et de vitesse qui risquent de ne plus être que marginales dans un monde urbanisé à l’anergie chère. L’enjeu est bien d’imaginer des voitures intelligentes, novatrices, attractives à vocation mondiale. Les constructeurs se sont engagés dans cette voie et les allées du Mondial le démontre avec optimisme.

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