Ces deux violences politiques qui planent sur la France post présidentielle <!-- --> | Atlantico.fr
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Des participants au black bloc, des manifestants vêtus de noir et avec le visage couvert, lors du rassemblement du 1er mai, à Paris, en 2018.
Des participants au black bloc, des manifestants vêtus de noir et avec le visage couvert, lors du rassemblement du 1er mai, à Paris, en 2018.
©Thomas SAMSON / AFP

Démocratie fragilisée

Les résultats du premier tour ont suscité du mécontentement chez un grand nombre de citoyens. Le scrutin présidentiel n’a pas réussi à purger les passions, les colères ou les attentes politiques françaises. Quel est le risque d’explosion réelle de la violence politique ?

Thibault de Montbrial

Thibault de Montbrial est Avocat au Barreau de Paris, Président du Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure.

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : La présidentielle 2022 est ratée. Et pas à cause des résultats, elle pourrait être réussie avec le même résultat. Mais elle n’a pas réussi à purger les passions, les colères ou les attentes politiques françaises. Une société dont les rapports de force ne sont plus canalisés par la politique est une société qui s’expose mécaniquement à la violence. Encore plus lorsque ladite société est de plus en plus atomisée, fracturée, polarisée et que l’alternance politique paraît impossible. Le résultat du premier tour de l'élection présidentielle a suscité du mécontentement. Dans quelle mesure la présidentielle risque-t-elle d’échouer à purger les passions, les colères ou les attentes politiques françaises ?

Maxime Tandonnet : Le premier tour de cette élection présidentielle montre un pays extrêmement déchiré. Derrière M. Macron, ses trois suivants sont des candidats considérés comme antisystèmes ou protestataires : Mme le Pen, M. Mélenchon et  M. Zemmour. A eux trois, ils font plus de 50% des suffrages. Et à ceux-là s’ajoute un abstentionnisme considérable pour une présidentielle. Nous avons une France satisfaite, urbaine et bourgeoise, ultra-minoritaire, qui se retrouve dans le vote Macron et une France contestataire qui est fortement majoritaire mais divisée. A cela s’ajoutent les conditions de déroulement du scrutin. A aucun moment la campagne n’a donné lieu à un débat sur le bilan du quinquennat, l’explosion vertigineuse des dépenses et de la dette, la violence quotidienne, la gestion de la crise sanitaire et les libertés, la désindustrialisation et l’aggravation du déficit du commerce extérieur, le niveau scolaire ou la maîtrise des frontières.  L’élection n’a donné lieu à aucune réflexion sur l’avenir. Elle s’est limitée à n’être qu’un jeu d’images entre prétendants au statut de gourou élyséen. Elle apparaîtra, dans le futur, comme un non-événement, s’achevant naturellement par le duel annoncé depuis cinq ans et dont l’issue n’a jamais fait de doute pour personne. Il est évident que la frustration démocratique du pays est propice à la révolte.

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Thibault de Montbrial : Le risque est effectivement grand que les mécontentements profonds ne soient pas purgés.

Si Emmanuel Macron est réélu, ce risque repose sur au moins deux raisons.

La première concerne le contexte général. Il n’y a pas vraiment eu de débat au cours de cette élection présidentielle. L’enchaînement de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine a fait que le président sortant est entré en campagne extrêmement tard. Il a ensuite systématiquement esquivé le débat avec ses adversaires et les journalistes pendant la dernière avant le premier tour. Il s’est ensuite lancé dans une campagne de terrain frénétique, mais il y dit tout et son contraire. Ce cumul d’esquive et d’absence de colonne vertébrale politique a été payant jusque-là mais cette stratégie est en réalité très risquée à terme. S’il gagne, Emmanuel Macron laissera en effet chez nombre de nos concitoyens le sentiment qu’ils n’ont été ni écoutés ni à fortiori entendus.

La deuxième raison résulte de l’analyse des résultats du premier tour. Il y a 4 grands blocs: les abstentionnistes, l’extrême-gauche, la droite nationale, et un bloc central représenté par le président sortant qui se présente (et que les médias présentent) comme le seul défenseur, voire protecteur de la démocratie. Cette logique du seul rempart, le rejet de « ceux qui n’en sont pas » qu’elle induit, expose Macron, s’il était réélu, à une défiance inédite d’une majorité de français vis-à-vis de la légitimité de l'élection.

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Et si Marine Le Pen était élue, elle cristalliserait au moins dans un premier temps une fronde importante qui s’exprimerait sans doute avec virulence au moins dans un premier temps.

Quelle que soit l’identité du prochain chef de l’Etat, Le troisième tour risque donc d'être extrêmement tendu dans la rue.  

Quel est le risque que ressurgisse, après la présidentielle, des colères sociales ou des colères politiques, comme on l’a vu avec les anti-vax ou les Gilets jaunes ?

Maxime Tandonnet : Il est impossible de dire à l’avance comment se manifestera cette colère à l’avenir. La prétendue et très relative popularité de l’occupant de l’Elysée repose sur une bulle d’illusion. Il a séduit une partie de l’électorat âgé, conservateur et bourgeois, par sa posture de chef de guerre contre les gilets jaunes, les « non vaccinés » puis l’Ukraine tout en gardant son statut d’icône progressiste auprès d’une petite frange de la « gauche moderne », bourgeoise et aisée, pour ses réformes sociétales (PMA sans père). Mais cette image est extrêmement fragile. Le spectacle quotidien et le « en même temps » ont permis de la préserver aux yeux d’environ 40% des Français. Cette image d’un chef de l’Etat réélu par défaut, en l’absence de véritable débat démocratique et de concurrent sérieux, risque de s’effondrer rapidement au contact des réalités économiques et sociales du second quinquennat. Dans un système qui fonctionne outrageusement sur le culte de la personnalité, la colère pourrait alors se focaliser contre l’occupant de l’Elysée son image cristallisant les mécontentements.

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Thibault de Montbrial : Les gens qui considèrent, à tort ou à raison, qu'il n'y a pas eu de débat et encore moins de réponses apportées à leurs problèmes et à leurs craintes risquent d'exprimer leur mécontentement et leur sentiment de rejet par la violence dans la rue.

La violence atteinte en quelques semaines seulement le mouvement des Gilets jaunes entre fin octobre et début décembre 2018 montre qu’un rien peut déclencher aujourd'hui en France des mouvements de protestation extrêmement durs. Il peut s’agir d’un projet de réforme, d’un incident lors d'une manifestation ou bien encore d’une fake news virale. Les facteurs  déclencheurs possibles sont malheureusement nombreux.

A quel point les milieux d’ultra-gauche et d’ultra-droite sont-ils actuellement tentés par des actions violentes ? Dans quelle mesure la violence politique est-elle de plus en plus envisagée comme mode d’action ?

Maxime Tandonnet : Tant que la violence se limite aux milieux d’ultra-gauche et d’ultra-droite, elle n’est pas forcément dangereuse pour le pouvoir politique. Celui-ci, au contraire, a beau jeu de se proclamer en défenseur de l’ordre social. Une violence politique radicale et minoritaire ne gênera pas spécialement le pouvoir politique macronien qui pourrait au contraire en tirer profit. Le danger est plutôt celui d’un embrasement général autour du mécontentement populaire : banlieues, salariés, indépendants, fonction publique, chauffeurs routiers, transports, étudiants et lycéens. La fracture entre les milieux dirigeants ou influents et le pays profond a atteint un niveau paroxystique. La grande question est de savoir jusqu’à quand les blessures pourront être pansées une à une par le recours à l’argent facile et l paix sociale achetée avec le carnet de chèques des finances publiques – c’est-à-dire l’argent des contribuables actuels ou ceux des générations à venir (dette publique). Jusqu’à quand ?

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Thibault de Montbrial : Une tendance générale à la radicalisation de la part des extrêmes est perceptible. L'ultra-gauche cumule tradition de la violence et habitude de la clandestinité. C’est perceptible en marge des manifestations, où les black blocs et les casseurs viennent perturber les cortèges.

Quant à l'ultra-droite, on se souvient qu'elle a été en pointe des premiers dérapages des Gilets jaunes même si elle a été très rapidement dépassée par une reprise en main du mouvement par l'extrême gauche.

Vous pouvez ajouter à ce cocktail les antispécistes et les écolos radicaux. Sans oublier évidemment les islamistes, dont la violence politique a coûté quelques 300 morts à notre pays depuis 10  ans.

Quel est le risque d’explosion réelle de la violence politique post-présidentielle ?

Maxime Tandonnet : Après les présidentielles viendront les législatives. Tout laisse penser qu’elles ne feront qu’entériner la débâcle démocratique, avec l’élection mécanique d’une assemblée godillot dans la suite des présidentielles comme en 2017. Nous avons substitué le culte d’un gourou élyséen au débat démocratique et aux idées. L’émotion autour d’un seul personnage, vénération du sauveur ou haine d’un roitelet, s’est substituée à la raison politique et au sens de l’intérêt général. La politique a donné ces dernières années une image profondément détestable aux Français : les félonies spectaculaires, l’exubérance vaniteuse, le mépris des gens (depuis les « sans dents » aux « Gaulois réfractaires », ou « ceux qui ne sont rien » et qu’on a  « très envie d’emmerder »), les scandales étouffés – et pas des moindres –, la courtisanerie quotidienne d’une grande partie des media, ont écrasé toute forme de débat démocratique. Le sentiment partagé que la politique n’offre plus aucune solution favorise la tentation de la révolte. Celle-ci peut certes se traduire en un premier temps par une apathie et un repli individualiste croissants des Français sous l’effet de l’écœurement. Mais notre pays est un baril de poudre en raison de l’abolition de fait d’une démocratie digne de ce nom. Dès lors, le danger pour la France est bel et bien celui d’une révolution violente. D’où et quand viendra l’étincelle, c’est une autre question…

Thibault de Montbrial : Il faut avoir à l'esprit que quel que soit le vainqueur de cette élection, le risque d'inflammation est réel.

Si Marine Le Pen l'emporte, on sent déjà poindre des mouvements qui seront générés par l'ultra-gauche et peut-être les banlieues, avec une tentation d'action sans doute très rapide.

On a vu cette semaine la vitesse avec laquelle l'extrême-gauche s'est mobilisée dans les universités.

Si Emmanuel Macron est réélu, le risque de violence sera sans doute décalé. Mais éviter la violence sera le grand défi de son second quinquennat. En effet, la somme des mécontentements et l'ampleur de l'exaspération et de la haine envers sa personne est telle que tout sera prétexte à l'inflammation. Il faudra donc que son gouvernement et lui-même fassent montre d’une grande capacité d’écoute sociale et d’anticipation pour déminer, tout  en montrant une grande fermeté pour maintenir l’ordre dès le début des désordres.

Quel que soit le vainqueur de l’élection, les perspectives sont tout de même assez inquiétantes car on sent que la démocratie française se délite au rythme de l’augmentation des fractures, et que le nombre et la variété de personnes qui ne se retrouvent plus dans notre système politique sont en augmentation constante. De plus, les réseaux sociaux favorisent la rapidité de propagation des mouvements sociaux, y compris avec de possibles fake news et des théories complotistes.

Tout indique ainsi que la violence politique deviendra un facteur incontournable et sans doute prépondérant à prendre en compte pour l’action de nos futurs gouvernants, compte tenu du risque induit pour la cohésion nationale.

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