Ces armes occidentales qui permettent aux Ukrainiens d’exploiter les failles de l’armée russe <!-- --> | Atlantico.fr
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Un soldat ukrainien équipé de missiles antichars Javelin lors d'un défilé militaire à Kiev le 24 août 2018 pour célébrer le Jour de l'Indépendance.
Un soldat ukrainien équipé de missiles antichars Javelin lors d'un défilé militaire à Kiev le 24 août 2018 pour célébrer le Jour de l'Indépendance.
©Genya SAVILOV / AFP

Guerre en Ukraine

Les soldats ukrainiens résistent à l’offensive de la Russie grâce à leur armement. Ils utilisent notamment le lance-missile Javelin ou des missiles Stinger, des systèmes de défense antichars portables (MANPATS) contre les forces russes.

Pierre d'Herbès

Pierre d'Herbès

Pierre d'Herbès, diplômé de la Sorbonne Paris-IV et de l’École de Guerre Économique, est consultant en intelligence économique chez d'Herbès Conseil. Il s'intéresse aux rapports de forces internationaux et en décrypte les mécaniques d'influence. Il est spécialisé dans les questions de défense, d'énergie, d'aérospatiale et de sécurité internationale.

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Atlantico : Dans le cadre de la guerre en Ukraine, les pays occidentaux ont apporté une aide matérielle conséquente à l’armée et aux groupes de combat ukrainiens. Quelle est l’ampleur de cette aide occidentale ?

Pierre d’Herbès : L’aide occidentale, plus particulièrement américaine, a commencé en amont du conflit. Washington avait équipé ces dernières années l’armée ukrainienne de milliers de missiles FGM 148 Javelin, de matériel radio, etc.

Parallèlement, les Ukrainiens disposaient de drones MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) Bayraktar TB2, capables de mener des missions ISR (Intelligence, Surveillance, Reconnaissance) et de délivrer des munitions anti-char.

Une fois l’invasion russe lancée, l’aide occidentale s’est amplifiée. Outre plusieurs milliers de missiles Javelins, les Etats-Unis ont livré plusieurs centaines de missiles anti-aériens basse-couche FIM- 92 Stinger.

Plus récemment, le président Joe Biden a annoncé l'envoi de drones sur le théâtre Ukrainien, dont de putatives « munitions vagabondes », plus connues sous le nom de « drones suicides ». Il s’agirait plus précisément d’une centaine de mini-drones Switchblade 300 et 600. Ces drones sont également capables de missions ISR. Mais aucune confirmation n’a encore été donnée à ce stade.

Britanniques et Allemands ont également fait parvenir plusieurs milliers de systèmes antichars. Mais aussi les Suédois qui ont livré aux forces ukrainiennes des missiles NLAW et des canons sans recul « Carl Gustav » de 84 mm. De son côté, la France a fait le don de quelques dizaines de systèmes Milan.

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Enfin on ne compte pas les milliers d’armes légères, (fusil d’assauts, etc), protections balistiques, explosifs, etc, venus de toute l’Europe et d’outre-Atlantique. 

Quelles sont les principales armes occidentales utilisées par les combattants ukrainiens ? Quelles armes ont été les plus efficaces pour contrer l’avancée russe ?

Concernant la composante anti-char, lessystèmes d’armes les plus remarqués ont été les Javelins. Déjà en dotation dans les rangs Ukrainiens, ces armes de type « tir et oublie » semblent s’être bien intégrées dans les forces de Kiev. Malgré les énormes lacunes d'entraînement et d’encadrement de l’armée ukrainienne. 

L’action des Javelin s’est révélée cruciale dès le début du conflit. Ils représentent l’essentiel des capacités anti-char ukrainiennes. D’un point de vue technique, les Javelins sont des missiles à charge explosive perforante (charge creuse) capables de détruire un blindé lourd jusqu’à 2500 m. Ils sont très adaptés aux combats d’embuscade, d’opportunité ou de retranchement : caractéristiques du théâtre d’opération ukrainien. Ils sont d’ailleurs responsables en grande partie des destructions de chars de bataille, de véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI) et de transport de troupe (VBTT) russes. 

A noter que les armes européennes (Milan, NLAW, Carl Gustav) mettront probablement plus de temps à être mises en œuvre. N’étant pas en dotation dans l’armée ukrainienne avant le conflit, elles vont nécessiter une phase d’apprentissage avant de pouvoir être déployées dans les zones de combat. A plus forte raison dans une armée largement panachée de combattants partisans. En outre, la trop grande diversification pourrait poser de nombreuses difficultés en termes d’interopérabilité (lanceurs/missiles) entre les unités; voire compliquer la logistique sur le théâtre. Cependant, les AT4, les Carl Gustav et les NLAW sont des systèmes très compacts et mobiles, qui offrent des performances non négligeables en combat urbain, par définition très confiné. Une fois opérationnels ils pourraient offrir des capacités de résistance non négligeables aux forces ukrainiennes. 

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Les missiles Stinger forment l’essentiel de la composante anti-aérienne fournis par les Occidentaux. Même si des tractations seraient en cours pour l’acquisition de systèmes haute-couche S-300 (déjà en dotation dans l’armée ukrainienne) via des pays d’Europe de l’Est (Slovaquie, Bulgarie, etc). Les Stinger sont des systèmes AA basse couche pouvant abattre une cible jusqu’à 3,5 km d’altitude et 6 km de distance. Ils sont utilisables et transportables par un seul homme. De ce fait, ils entrent dans la catégorie des systèmes portatifs de défense aérienne (MANPADS). Ils sont très efficaces contre des aéronefs à voilure tournante (hélicoptères) ; ou bien à voilure fixe évoluant à basse altitude (avions de combat). Ils sont parvenus à dénier (en partie) la supériorité aérienne du théâtre aux forces russes : obérant largement leurs capacités.   

Pour la composante « non-pilotée » (drones), la quarantaine de Bayraktar TB2 a su procurer un appui ISR tactique très bénéfique aux forces Ukrainiennes. De plus, capables de délivrer des munitions, ces drones ont su s’insérer dans la « petite guerre » des forces de Kiev contre les convois de ravitaillement et de logistique russe voire les positions d’artillerie. On note une plus grande vulnérabilité dans les zones de combat dotée d’une couverture AA et anti-drone (AD) plus dense. On a également eu tendance à largement surestimer leur impact réel sur les opérations (indépendamment de leur bilan positif). 

 Les drones Switchblade 300 et 600 pourraient offrir un bon complément aux TB2. Facilement transportables et déployables, ils sont utiles principalement dans le cadre de missions de reconnaissance tactique (en zone urbaine et périurbaine) ou d’attaque de groupes de combats d’infanterie (pour la version 300). La version 600, plus musclée mais difficilement détectable serait en mesure de neutraliser les défenses AA adverses, et d’ouvrir la voie à des vecteurs plus lourds (TB2, aéronefs); ou d’aller directement détruire les positions d’artillerie adverses voire des blindés légers. 

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La focale médiatique actuelle sur ces « munitions vagabondes » est due au fait que de nombreux « drone-suicides », souvent de facture israélienne (Harop, Harpy, etc), et beaucoup plus lourds, se sont fait remarquer lors de la guerre du Haut-Karabagh en 2020. Ils y ont causé des ravages dans le dispositif AA arménien (dense mais mal entraîné) mais aussi sur leur blindés et bunkers. A noter que les drones sont des vecteurs peu résilients dans un environnement AA ou AD dense. Mais face à une armée dépourvue de protections en direction de la 3e dimension (air), ils peuvent s’avérer destructeurs. 

Dans quelle mesure ces aides occidentales contribuent-elles à la résistance ukrainienne et à l’enlisement de l’armée russe ?

L’Ukraine est un théâtre d'opérations difficile pour les forces russes. Les effectifs déployés sont faibles compte tenu de la taille du théâtre, réparti en quatre fronts. Malgré une percée initiale, les Russes butent actuellement sur les points de fixation urbains où sont retranchés les Ukrainiens (Kiev, Kharkov, Marioupol, Mykolaïv) et le gros des forces ukrainiennes massées dans l’est (Dombass).

Les prises des grandes agglomérations constituent des effets majeurs pour le conflit. Raison pour laquelle les Russes y concentrent leur moyens (encerclement, bombardement, commandement, etc). Il en résulte des lignes logistiques très allongées, et embouteillées (notamment vers Kiev, Mykolaïv ou Marioupol). De ce fait, le contrôle de Moscou s’exerce surtout sur les axes de communication : ce qui laisse une assez grande liberté d’action aux forces de Kiev dans les zones rurales (forets, champs) et périurbaines. Il faut enfin ajouter que la progression russe, se fait, depuis le début de l’invasion, presque exclusivement via des axes routiers (météo, matériels vieillissants, etc). 

Il résulte de cette situation des lignes logistiques vulnérables ; voire des unités isolées et mal appuyées dans les zones de combat et d’encerclement. Dans cette optique, les Ukrainiens peuvent aisément mener, au niveau tactique, une « petite guerre » faite de coups de main, d’embuscades, de combats d’opportunités ou bien de retranchements solides dans les points de fixations urbains. 

Dans cette configuration, la puissance de feu conférée par les armes des Occidentaux, compactes et facilement transportable, produit des effets maximums. In fine on aboutit à un harcèlement systématique des convois russes (perte de 500 camions de logistique) et à une attrition importante des forces de mêlée (environ 7000 morts, plus de 250 chars détruits et des centaines de VBCI et VBTT). Il faut préciser à ce stade que la majorité des matériels détruits sont des vecteurs ex-soviétiques vétustes et peu coûteux. La plupart des équipements modernes (T-80MBT, T-90, BTR-82, etc), et les unités les mieux formées, n’ont pas connu de pertes significatives ; elles seraient d’ailleurs encore en réserve en 2e échelon.   

Dans la 3e dimension, les Russes ne sont pas parvenus à conquérir intégralement la supériorité aérienne via la suppression des défenses aériennes (SEAD). Les aéronefs russes restent donc à la merci des systèmes S-300 ukrainiens restants. En outre, ils disposent de peu d’armes guidées de précision. Ces conditions contraindraient les pilotes à voler à basse altitude. Ils sont alors nettement plus vulnérables aux MANPADS. Pour éviter des pertes trop importantes, ainsi que de trop grands dégâts collatéraux dus à des bombardements « classiques », la Russie a donc fait le choix de limiter ses appuis aériens. Ce qui obère ses capacités d’action. En réalité les moyens aériens russes (AA et aéronefs) sont avant tout taillés pour défendre un théâtre d'opérations face à une force aérienne occidentale.

Ces atouts, indéniables au niveau tactique, sont tempérés par les nombreuses lacunes des forces ukrainiennes. Ces dernières semblent manquer de mobilité pour exploiter, ou coordonner leurs succès tactiques, qui restent sans lendemain. Ainsi, malgré des succès réguliers sur les forces russes, les Ukrainiens sont incapables d’empêcher l’encerclement de Kiev. Il faut ajouter à cela de très faibles moyens de commandement et de contrôle. Ce qui implique une difficulté à coordonner les forces sur le théâtre d’opération ou même sur un seul front. Il apparaît difficile dans ces conditions d’organiser une contre-offensive majeure et durable. On remarque d’ailleurs que l’essentiel des forces ukrainiennes, massées dans l’Est, ne semble pas réagir, pour le moment, à l’enveloppement russe en cours. En plus d’être une perte majeure, l’effet sur le moral du pays serait dramatique.

Kiev n’est donc pas en capacité d’enrayer l’invasion russe mais seulement de la ralentir. De facto, les Ukrainiens ne semblent capables d’initiative qu’au niveau tactique, et sont donc condamnés à un combat d’attrition.

 En tout état de cause, les livraisons d’armes occidentales apportent un vrai répondant aux forces ukrainiennes. A ce titre, elles participent directement aux difficultés de l’armée russe sur place. Les Javelins sont d’ailleurs devenus des symboles de la résistance à l’invasion Russe. Mais on ne peut accorder à ces armes qu’un effet tactique sans répercussion opérative. Même si le décompte des pertes, lourdes du côté Russe, pourrait avoir du poids dans les négociations de paix. Tout l’enjeu va donc résider dans la capacité de résilience des forces assiégées dans les grandes agglomérations.

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