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Ces alcooliques qui parviennent à faire illusion... Comment les détecter, comment les aider
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Vaincre sa maladie

Le scandale impliquant Jean-Vincent Placé a rappelé à la France les ravages d'un alcoolisme invisible. Le président de l'Union des démocrates et des écologistes (UDE) a reconnu souffrir de cette maladie et assure désormais vouloir se soigner.

 Michel Lejoyeux

Michel Lejoyeux

Michel Lejoyeux est professeur de psychiatrie et d’addictologie à l'université Denis Diderot. Il y enseigne aussi la psychologie médicale et coordonne le Diplôme d’études spécialisé en addictologie. Il est chef de service de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Bichat et de Maison Blanche. Michel Lejoyeux est Président d’honneur de la Société Française d’Alcoologie et président en titre du Syndicat des Médecins des hôpitaux de Paris. Il a écrit aux Editions Plon est Réveillez vos désirs et Tout déprimé est un bien portant qui s'ignore aux Editions Jean-Claude Lattès. 

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Atlantico : Comment une personne atteinte d'alcoolisme peut-elle se rendre compte de son propre état ? Faut-il nécessairement, pour sortir des conduites de dissimulation, un déclic "violent", comme celui qu'a connu Jean-Vincent Placé ? Quel rôle vont alors jouer les proches ?

Michel LejoyeuxSouvent, dans l'alcoolisme, il existe ce qu'on appelle une phase de déni. Il s'agit d'un symptôme de la maladie. C'est-à-dire que dans toute relation de dépendance, il y a une sorte d'aveuglement qui fait qu'on en repère par les conséquences. C'est même d'ailleurs grâce au repérage des conséquences qu'on n'est pas dépendant. C'est ce qui fait que, si un jour dans votre vie vous buvez trop - ce qui arrive à tout le monde -, vous allez voir que ça a eu des conséquences négatives et vous ne recommencez pas le lendemain. On peut repérer, d'ailleurs, que ce déni s'observe dans toutes les passions. Dès que vous êtes passionné - que ce soit pour quelqu'un dont vous êtes amoureux ou une activité -, vous allez en dénier le temps que ça prend, l'argent que ça coûte, etc. Et donc, le déni est constitutif de la passion : c'est à la fois une cause et une conséquence de la passion ; la dépendance n'étant finalement qu'une passion qui se détourne sur un produit. 

Toutes les conduites de dépendance sont des situations relativement chroniques qui sont précédées d'une longue période où, effectivement, l’individu a une attitude de minimisation. Et cette prise de conscience peut se faire brutalement, à l'occasion d'une conséquence sociale ou médicale - par exemple, je vois aux urgences des gens qui vont arriver de véritables overdoses à l'alcool et qui, au détour de ça, vont se motiver -, ou peut se faire progressivement, éventuellement sur l'incitation de l'entourage. 

Le rôle des proches qui entourent un malade alcoolique est similaire à celui des proches qui entourent tout autre malade. On ne dirait pas d'un malade cancéreux : "je vais lui faire la morale pour qu'il aille mieux" ou "je vais lui expliquer son problème". Donc le rôle des proches est de se mobiliser pour que des soins soient obtenus et, surtout, de ne pas culpabiliser, de ne pas moraliser, de repérer ce trouble pour ce qu'il est, c'est-à-dire une maladie. 

Le problème de la maladie alcoolique, ou de la dépendance à l'alcool, c'est qu'elle concerne un produit que nous consommons tous. Le regard est par exemple très différent sur la cocaïne ou l'héroïne : on peut tout à faire dire "c'est l'autre". L'alcool est un produit valorisé en France, on l'a même vu récemment valorisé par le président de la République. Et au fond, c'est un produit qui sous-tend une importante activité économique et qui, chez certains, fait l'objet d'une dépendance. Donc tout se passe comme si, au fond, l'annonce que certains peuvent se rendre malades avec ce produit - qui est habituellement sur nos tables, dans nos fêtes - suscite des réactions de rejet encore plus fortes. Parce que, d'une certaine manière, on s'identifie un peu, on n'a pas cette mise à distance protectrice que l'on peut avoir avec des substances illicites que l'on ne consomme pas de manière agréable et normale. 

Combien de personnes sont concernées par un alcoolisme "caché" ? Pourquoi certains vont être capables d'entretenir une vie de famille, une vie professionnelle, etc. tout en étant alcoolique?

Nous ne disposons pas de données scientifiques sur ce type de population, car il ne s'agit pas d'une catégorie identifiée.

Comment savoir si on est soi-même concerné par l'alcoolisme ?

Il n'y a pas de gradation. Il y a aujourd'hui, dans les classifications internationales de l'alcoolisme, une série de trois critères : la perte de contrôle, la fixité des consommations et l'existence de dommages. Quand on a une perte de contrôle, c'est que l'on boit plus que ne l'avait prévu. La fixité implique que l'on est obligé de boire régulièrement. Et les dommages se manifestent dans tous les champs : médicaux, professionnels, relationnels.

La société semble juger essentiellement les mauvais comportements résultants de l'alcoolisme (violences, etc.) mais pas nécessairement l'alcoolisme en lui-même. Comment expliquer cela ? S'agit-il là d'un des principaux freins à la régression de l'alcoolisme ?

C'est une certitude : la lutte contre l'alcoolisme n'est pas une priorité, évidemment par rapport à notre ambivalence de pays latin producteur de vin ; et aussi par une culture française où la consommation d'alcool est obligatoire. Je m'explique : vous avez moins à vous justifier de sortir d'un dîner un peu éméché que d'en sortir sans avoir bu un verre d'alcool. Aujourd'hui, la non-consommation est considérée comme un symptôme et doit être justifiée.

En France, où l'alcool (et notamment le vin) est profondément inscrit dans les mœurs - tout comme l'idée du "bien boire" -, que fait l'État pour lutter contre l'alcoolisme ? Jusqu'où pourrait-il aller sans se heurter à une opposition radicale de la population ?

Je pense que le sujet, c'est quand même la publicité. Selon moi, il y a d'énormes enjeux financiers du côté des alcooliers, qui doivent vendre leurs produits et qui, implicitement ou explicitement, font beaucoup de publicité. Il faut quand même être vigilant vis-à-vis de cela. Et c'est pour ça qu'en tant que président d'honneur de la société française d'alcoologie, en tant que professeur d'addictologie, je défends beaucoup la loi Evin - qui limite et encadre l'incitation publicitaire à boire -, qui, je trouve, est une très bonne chose. Donc, n'attendons pas de l'État des miracles, attendons déjà qu'il ne détricote pas ce message de vigilance vis-à-vis des intérêts commerciaux considérables des alcooliers.

Je pense que sur un phénomène aussi grave que l'alcoolisme, qui concerne un tiers des hospitalisations, qui concerne un tiers des cas de mortalités précoces, l'État devrait donner un chiffre précis des conséquences sanitaires. Pour qu'on sorte du débat d'opinion, il faudrait qu'on ait des faits. Imaginez une autre maladie aussi lourde en termes de santé publique, où l'on dirait : "On ne sait pas trop combien il y a de morts". Qui accepterait cela ? Donc, selon moi, avant toute grande idéologie, il faudrait qu'on ait une analyse objective et épidémiologique du phénomène.

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