Ces 3 crises nouvelles qui menacent la démocratie du monde d’après <!-- --> | Atlantico.fr
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Un manifestant lors d'une marche pour le climat.
Un manifestant lors d'une marche pour le climat.
©FRED SCHEIBER / AFP

Absence de consensus

La crise liée à l’urgence climatique, la crise autour du vivant et la crise de la démocratie bouleversent actuellement le monde entier.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Atlantico : Vous avez identifié trois grandes crises du monde d’après (la crise liée à l’urgence climatique, la crise autour du vivant et la crise de la démocratie). Qu’est-ce qui vous fait dire que ce sont les trois principales grandes crises ? Qu’est-ce qu’elles recoupent selon vous ?

Eddy Fougier : Il y a bien sûr d’autres crises, comme l’Ukraine, qui sont importantes si ce n’est plus. J’ai juste voulu mentionner trois crises sur lesquelles j’estime avoir mon mot à dire. Ces trois crises sont liées à l’actualité et à des mouvements sociaux. Sur ces trois crises, notamment sur l’urgence climatique, sur la crise du vivant et sur la crise démocratique, nous arrivons à un point de bascule.

La première grande crise concerne, selon vous, l’urgence climatique. Qu’est-ce qui marque le point de bascule ?

Ce contexte donne la sensation d’être au bord de tensions extrêmes sur les sujets en lien avec le climat. Sur le plan agricole, notamment, des décisions doivent être prises.

Sur la question de l’automobile tous les débats générés par la décision européenne d’arrêter la vente de véhicules neufs à moteur thermique à l’horizon 2035 ont eu un fort impact en Allemagne et chez les constructeurs automobiles.

Nous le voyons aussi sur la question de l’eau ou sur la sécheresse qui constitue une vraie inquiétude pour cet été.

Aux yeux de nombreux acteurs, nous n’avons plus le temps de repousser les échéances. Il va falloir prendre des décisions et agir concrètement. La question est de savoir si les choix qui seront faits vont générer des réactions de la part des acteurs économiques. Aux Pays-Bas, pour l’agriculture cela a provoqué l’irruption et le développement d’un parti politique qui a gagné les élections sénatoriales sur la base du refus des agriculteurs d’appliquer les mesures de transition écologiques développées par le gouvernement. Les militants écologistes estiment que nous n’avons plus le temps. Les acteurs économiques en revanche demandent du temps. Certains ne veulent même pas s’adapter. Il s’agit d’un facteur de tensions très fortes, d’où cette notion de crise.

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Sur cette première crise, sur l’urgence climatique, nous avons le sentiment qu’il y a un désaccord profond sur les solutions à apporter à la crise face au réchauffement. Est-ce que la situation est particulièrement grave à cause de cette absence de consensus ?

Il y a des visions divergentes sur les réponses à apporter. Un certain nombre d’acteurs économiques vont considérer que l’objectif est une croissance durable, une croissance verte. Ils vont donc continuer à produire en masse mais en recourant à des technologies propres et vertes. Grâce aux innovations technologiques et aux innovations scientifiques, ils considèrent qu'il va être possible de limiter les émissions de gaz à effet de serre tout en continuant à avoir un mode de vie équivalent à celui d’aujourd’hui. Il s’agit du point de vue des industriels et d’une partie du monde agricole.

Pour les associations écologistes, il faut aller vers davantage de sobriété pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Les plus radicaux prônent la décroissance.

La situation se tend car les visions sont totalement divergentes.  La question de l’eau en est l’un des symboles. Les affrontements à Sainte Soline en mars portaient sur ces enjeux. Deux visions s’opposent entre les agriculteurs qui veulent maintenir de l’emploi, des activités économiques avec un recours à l’irrigation. Ils ont besoin d’eau et de réserves pour les périodes sèches. Les écologistes, eux, considèrent que c’est une aberration et qu’il est nécessaire de revoir le modèle agricole afin qu’il soit moins dépendant des énergies fossiles, des pesticides et des ressources naturelles comme l’eau pour faire en sorte de mettre un type de production qui soit plus durable.

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Sur ces sujets-là, cela se heurte avec des logiques de souveraineté alimentaire, la volonté pour certains de développer une production afin de pouvoir exporter.

Les interprétations et les visions sont totalement divergentes sur les réponses à apporter sur cette crise climatique. C’est la même chose pour l’énergie, sur les modes de transport, sur d’autres secteurs d’activité qui sont fortement émetteurs de gaz à effet de serre.

La situation exige des décisions assez drastiques et un soutien des acteurs économiques, des consommateurs, des citoyens, des partis politiques. 

Y a-t-il une esquisse de possibilité de sortie de crise et notamment de conciliation de ces forces qui s’opposent pour l’instant ?

Nous l’espérons. Certaines associations comme Nuances d’avenir essaient de créer des liens et de faire en sorte que les engagements que l’on a pu prendre collectivement avec les accords de Paris puissent être appliqués tout en tenant compte des contraintes économiques.

Les transitions énergétiques et écologiques qui semblent être nécessaires au regard des rapports du GIEC notamment se heurtent aussi à une forme d’inertie de la part de la société, des consommateurs, des citoyens. Il y a un important travail à mener, notamment sur l’acceptabilité sociale et sociétale de cette transition.

Beaucoup d'associations écologistes mettent en avant des injonctions, des culpabilisations, mènent des actions spectaculaires de désobéissance civile ou de sabotage pour que cette transition se mette en place. Et il y a aussi d’un autre côté beaucoup d’individus qui sont soit dans une indifférence, qui ne changent pas de mode de vie ou qui sont dans une forme de déni.

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Nous assistons donc à un dialogue de sourds. Ce phénomène est visible à travers la médiatisation très récente d’actions de désobéissance civile en Allemagne, aux Etats-Unis. Les associations veulent éveiller les consciences, attirer l’attention du public sur les enjeux. Mais ces actions suscitent une réprobation de la part de ce public qui est choqué. Cela réveille leur conscience mais certaines actions, comme le blocage des routes ou les œuvres d’art qui sont ciblées dans les musées,  choquent. Nous passons à côté du véritable message.

Dans les manifestations la situation est similaire. L’attention sera portée sur les violences et les revendications seront oubliées. Tout cela participe à un dialogue de sourds. Rien n’avance et une polarisation  de la société s’installe. Les éléments de consensus sont de plus en plus difficiles à trouver.

La deuxième crise semble instinctivement être liée à l’urgence climatique mais elle ne s’y limite pas. Il s’agit de la crise du vivant. Quel est l'état de cette crise ?

Elle est en grande partie liée à la dégradation du climat mais pas seulement. Il y a beaucoup d’associations et d’individus qui veulent protéger le vivant. Mais d’un autre côté, il y avait une campagne de communication du ministère de l’agriculture qui définissait les agriculteurs comme des entrepreneurs du vivant. Chacun donc revendique le vivant mais avec des visions totalement divergentes. En outre, Tous les groupes animalistes vont revendiquer une meilleure protection des droits des animaux et pour les plus maximalistes une libération des animaux et un refus de hiérarchie entre les espèces. Le vivant c’est aussi cela. C’est aussi la faune et le monde animal.

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Depuis le début de l’année, il y a beaucoup de controverses sur le sujet des pesticides. Des interdictions de l’usage de certains pesticides ont été décidées (néonicotinoïdes, S-métolachlore).

Les acteurs économiques ont des contraintes spécifiques, des maladies des plantes pour les pesticides. Les associations et les consommateurs sont très soucieux de la santé et de l’environnement. Il est difficile de concilier à la fois les considérations économiques ou techniques d’un côté et les considérations environnementales et sanitaires de l’autre. Les décisions de l’Anses ont été basées principalement sur l’interdiction d’un type de pesticides (S-métolachlore) pour des considérations sanitaires et environnementales. Le monde économique le déplore en expliquant qu’il faut également prendre en compte les contraintes techniques et économiques. Sans produits alternatifs, il y aura de grandes difficultés, comme cela a été le cas il y a quelques années avec les maladies des betteraves suite à l'interdiction des néonicotinoïdes. De nombreuses questions se sont alors posées sur l’avenir de cette filière en France. Les décisions sont repoussées depuis plusieurs années. Or, l’Anses pour le S-métolachlore ou la Cour de justice européenne pour les néonicotinoïdes ont indiqué que des décisions devaient être prises et qu’il n’était plus possible de reculer.

Comment arriver à avoir une production d’un point de vue économique tout en respectant l’environnement et la santé des consommateurs et des animaux ? Cela est très compliqué.

Ces deux visions opposées font apparaître les ferments de la crise démocratique… Cela va-t-il créer un problème démocratique ?

Cela pose déjà un problème démocratique. D’un certain point de vue, les acteurs économiques ont des leviers d’influence auprès des décideurs. Ils vont influencer le législateur et le gouvernement qui vont prendre des décisions plus ou moins en faveur de ces acteurs économiques, quitte à court-circuiter l’avis majoritaire de la population sur tel ou tel sujet. Et de l’autre côté, il y a des associations écologistes qui d’un certain point de vue disent que l’on n’a plus le temps de passer par les canaux démocratiques traditionnels en raison de l'urgence climatique et qu'il faut prendre des décisions assez drastiques quitte à court-circuiter les processus démocratiques classiques.

Les trois crises sont donc liées. Le sentiment d’urgence fait que l’on a la tentation de passer outre le point de vue de la majorité.

Sur la crise démocratique, ce qui me gêne le plus c’est la dichotomie qui peut exister entre le principe majoritaire et l’intérêt général. On le voit bien dans l’argumentation d’Emmanuel Macron à propos de la réforme des retraites. Le chef de l’Etat est prêt à endurer la critique de la majorité du pays parce qu’il considère qu’il défend l’intérêt général. C’est la même chose chez les écologistes qui estiment que l’intérêt général c’est l’intérêt de la planète et du vivant. Si une majorité de la population n’est pas prête à faire les efforts, voire les sacrifices pour sauver la planète et sauver le vivant, il faudra passer outre.

C’est pour cela que je lie les trois crises. Le processus de la réforme des retraites a été symptomatique de cela. On peut considérer d'une certaine manière que, pour le gouvernement, il fallait peut être passer outre le dialogue social et le processus démocratique dans le cadre du Parlement avec le symbole du 49-3 parce qu’il y avait la nécessité de défendre le système de retraites même s’il y avait une opposition majoritaire de la population.

Cela s’apparente-t-il entre autres au saint-simonisme que l’on a reproché à Emmanuel Macron, de vouloir faire le bien des Français malgré eux et de savoir mieux qu’eux ce qui était bon pour eux ?

Effectivement, il s’agit d’une vision assez technocratique. Il y a cette idée du gouvernement d’experts. Ces experts seraient censés savoir ce qui est bon pour la population. Cela a pu être le cas à certains moments, comme après la Seconde Guerre mondiale. Quelqu’un comme Jean Monet qui a défendu le rapprochement avec l’Allemagne et qui a défendu la construction européenne avait certainement raison. Si l’on avait fait un référendum quelques années après le conflit, la majorité de la population aurait été contre. Il y avait une forme d’expertise éclairée. Nous ne sommes pas dans le même cas de figure aujourd’hui.

Pour vous est ce que ce sont trois crises qui s’auto-entretiennent ou trois éléments d’une même crise globale ?  

Ces crises s’auto-entretiennent même s’il n’est pas toujours évident que ce soit toujours les mêmes acteurs qui vont la nourrir. Pour la crise démocratique, le fond reste la crise traversée par un certain nombre de catégories socioprofessionnelles, les classes moyennes et les catégories populaires qui ont nourri le mouvement des Gilets jaunes. Ces catégories ne véhiculent pas le plus de critiques sur la question climatique ou la question du vivant. Ces crises sont liées mais elles ne sont pas forcément interconnectées au sens strict.

Les classes moyennes et les catégories populaires vont même être plutôt considérées par certains comme des obstacles à la transition écologique parce que leur réflexe est plutôt un réflexe d’intégration à la société de consommation que de suivre le credo du moins c’est mieux. Pour une grande partie de cette population, moins c’est moins.

Ceux qui sont le symptôme de la crise démocratique, comme les Gilets jaunes, ne sont pas nécessairement les mêmes qui sont mobilisés au nom de l’urgence climatique. Ils sont mobilisés au contraire pour la voiture face aux craintes des taxes.

Les tentatives pour unifier le mouvement des Gilets jaunes aux marches pour le climat n’ont d'ailleurs pas été une réussite. Ce fut le même cas pour Nuit debout en 2016 et les préoccupations des jeunes des quartiers sensibles. Cela n’avait pas fonctionné.

Les crises sont liées mais ne touchent pas nécessairement les mêmes catégories. 

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