Ce qui se passera si les Etats-Unis font défaut<!-- --> | Atlantico.fr
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La charge de la dette américaine reste assez faible même si cette dette apparaît élevée en pourcentage du PIB, de même que les impôts.
La charge de la dette américaine reste assez faible même si cette dette apparaît élevée en pourcentage du PIB, de même que les impôts.
©Reuters

24H Chrono

Alors qu’il reste moins d’un jour au Congrès américain pour parvenir à un accord sur le relèvement du plafond de sa dette, l'agence Fitch a annoncé qu'elle envisageait de retirer leur note AAA aux États-Unis. La course contre la montre est engagée.

Atlantico : La date fatidique du 17 octobre approche à grand pas et aucun accord n'a encore été trouvé au Congrès américain pour relever le plafond de la dette et ainsi éviter la faillite de l'État américain. Concrètement, si aucun accord n'est trouvé, le Trésor américain se retrouvera dans l'incapacité d'emprunter, quelles implications cela aura-t-il sur les fonctionnaires et l'administration américaine ? Certains services pourraient-ils définitivement fermer ?

Alexandre Estiot : La première chose à comprendre, c’est que la date du 17 octobre n’est pas aussi "dure" que cela. Le plafond de la dette fédérale a en fait été atteint le 19 mai dernier et, depuis cette date, le Trésor américain utilise des mesures extraordinaires qui lui permettent de payer ses dettes sans augmenter le plafond de la dette. Mais à partir du 17 octobre ces mesures ne pourront plus être utilisées. Mais de son côté, le CBO (Congressionnal Budget Office), sorte de Cour des Comptes américaine a estimé que ces mesures extraordinaires pourraient continuer plus longtemps, jusqu'aux alentours du 22 ou du 31 octobre.

Quoi qu’il en soit, quand ces mesures ne pourront plus perdurer, le Trésor devra utiliser ce qu’il a dans ses caisses pour honorer ses dettes. Actuellement il dispose d’une centaine de milliards de cash auquel s’ajoutent les recettes budgétaires quotidiennes. Or de gros paiements sont dus dans les prochaines semaines, notamment un paiement à la Social Security de 12 milliards de dollars au titre des pensions publiques le 23 octobre, et un autre de 6 milliards au titre des intérêts de la dette le 31 octobre. En revanche, cela risque de coincer au 1er novembre pour le paiement compris entre 65 et 70 milliards de dollars prévu au titre des différents programmes sociaux dont Medicare, ainsi que les salaires des militaires qui ont été maintenus malgré le "shutdown".

Si l’Etat américain devait faire défaut, cela aurait donc d’abord un impact sur les transferts sociaux, plutôt que sur sa dette. Mais certains représentants républicains refusent de relever le plafond de la dette au prétexte que cela pousserait l’administration à établir des priorités de paiement et faire des économies budgétaires. D’autres solutions exotiques ont également été évoquées comme la possibilité de battre monnaie avec des pièces en platine d’un montant colossal émises par le Trésor et déposées à la Fed. Mais la Fed comme la Maison Blanche ont refusé d’envisager de telles solutions de monétisation de la dette.

Inna Mufteeva : Du point de vue technique un échec à relever le plafond de la dette n’implique pas forcément un défaut. Avec environ 30 milliards de dollars de réserves de liquidités (selon le Trésor) au 17 octobre l’Etat continuera d’honorer ses obligations jusqu’à la fin du mois. Ces dernières incluent les dépenses courantes, le paiement des coupons le 31 octobre et les dépenses liées au refinancement de la dette arrivant à maturité (principalement les T-bills). En revanche, à partir du début novembre aucune marge de manœuvre ne semble plus être disponible avec 67 milliards de dollars de différentes dépenses qui tombent ce jour-là.

L’absence de progrès dans les négociations politiques a déjà provoqué le 1er octobre 2013 une fermeture des activités jugées non-essentielles du gouvernement américain, qui se poursuivra au cas de non relèvement du plafond. Or, la situation sera fortement aggravée par l’incapacité du gouvernement à effectuer les dépenses qui ont été jusqu’ici exonérées du "shutdown". Tous les services seront néanmoins rouverts une fois la solution trouvée, il ne s’agit donc pas de fermeture définitive.

La situation américaine est-elle si grave, quelles menaces pèsent sur la structure de la dette américaine ?

Alexandre Estiot : Le gouvernement et l’administration Obama peuvent-ils faire quelque chose si le Congrès ne trouve pas d’accord ? Non car il s’agit d’une décision de politique budgétaire qui relève du Congrès. Le président et le gouvernement ne sont là que pour appliquer ces politiques. Les Etats-Unis se trouvent donc face à une situation constitutionnelle  très difficile. Quelle que soit la décision d’Obama, réduire les dépenses, augmenter les impôts ou relever le plafond de la dette, il violera les institutions. Mais selon certain juristes, relever le plafond de la dette serait la moins pire de ces violations. Par ailleurs, la dette émise au-delà du plafond actuel aurait un statut juridique flou et inquiéterait les investisseurs.

Dans l’absolu, il est évident qu’il vaut mieux ne pas être trop endetté car cela permet de réduire ses coûts de remboursement. Mais dans la mesure où les Etats-Unis ont une politique monétaire indépendante, un scénario de perte de confiance des investisseurs entraînant une pression à la hausse sur les taux d’intérêts de la dette américaine et le creusement des déficits n’est pas envisageable. Pour rappel, au Japon où le ratio de la dette par rapport au PIB est de  238%, les taux restent très bas. Il est certes nécessaire de replacer la dette américaine sur une trajectoire soutenable, mais cela n’est pas forcément urgent. Surtout, il ne faut pas oublier qu’il y a déjà eu une importante réduction des déficits publics américains, passés de 10% du PIB en 2009 à 4% aujourd’hui. L’économie américaine n’étant pas encore relevée de la crise 2008 - 2009, une augmentation des dépenses publiques serait même plutôt une bonne chose pour retrouver la croissance.

Quels seraient les effets d'un échec des négociations du Congrès américain, sur les marchés mondiaux (crédits, devises, financiers) ? Selon quels mécanismes cette crise se propagerait-elle de l'un à l'autre ?

Alexandre Estiot : Pour qu’il y ait vraiment une crise, il faudrait que l’Etat fédéral fasse défaut sur un paiement d’intérêt ou une dette mature qu’il ne pourrait pas honorer. Ce risque n’est pas tout à fait nul mais reste hautement improbable. Je n’y crois pas une seule seconde. Cela semble impossible au regard de l’état actuel des discussions. A l’exception des élus du Tea Party, la plupart des parlementaires ont conscience du risque et font tout pour débloquer la situation. Je pense qu’un accord sera trouvé pour relever le plafond de la dette mais avec retard, un peu après la deadline. Cet accord sera vraisemblablement conclu a minima pour gagner quelques semaines ou quelques mois seulement.

Mais si l’Etat fait défaut, on pourrait imaginer une vente massive de titres courts de dette américaine. En revanche, il est probable que les titres longs restent stables, même si la prime de risque demandée pourrait devenir plus élevée. Sur le plan monétaire, le dollar pourrait alors baisser, même s’il faut se souvenir que lorsque l’on avait frôlé en août 2011, ce même risque de défaut, les investisseurs s’étaient rués sur les bons de dette américaine. En revanche les conséquences sur les marchés des actions seraient désastreuses : les indices américains plongeraient, entraînant dans leur chute les principales places mondiales.

Inna Mufteeva : Si la réaction initiale des marchés financiers au "shutdown" a été mitigée, les vraies inquiétudes portent sur la possibilité accrue d’un défaut technique sur la dette publique des Etats-Unis. Cependant, l’impasse politique pourrait engendrer les conséquences désastreuses sur l’économie avant même que l’Etat américain passe de facto en défaut technique. Le Secrétaire du Trésor J. Lew insiste sur trois points principaux :

  •  L’impact négatif sur la consommation au travers d’un effondrement des effets richesse des ménages avec le recul des valeurs boursières;
  •  La hausse du coût de financement pour les ménages et les entreprises par hausse marquée des taux d’intérêt ;
  •  Un effondrement de la confiance des agents du secteur privé comme cela a été le cas lors des négociations budgétaires en été 2011.

Les actions seraient les premières victimes en cas de forte hausse du risque politique US. Lors des précédents épisodes de craintes autour du plafond de la dette, les effets sur le S&P 500 avaient été négatifs, de l’ordre de 5% en février 2010 et de 20% en août 2011. Un accroissement des incertitudes se traduirait par des comportements de vente et d’achat sans discrimination sur les marchés actions, une hausse des corrélations entre actions et entre actifs risqués en général rappelant les épisodes de risk-off / risk-on des années 2011-2012. Par ailleurs, on peut imaginer que le stress sur les titres du Trésor arrivant à maturité aux alentours de fin octobre - début novembre ne feraient que s’accentuer, que la collatéralisation des opérations repo (Repurchase agreements, ou accords de rachat, NDLR) pourrait devenir problématique et que le dollar serait fortement affaibli d’une part sous l’effet des flux sortants (notamment, des fonds monétaires) et d’autre part, par les anticipations de la politique monétaire encore plus accommodante.

Comment rassurer les marchés, la dette américaine doit-elle être restructurée à l’image de certains pays européens en faillite ?

Alexandre Estiot : Même si l’Etat américain venait à faire défaut sur un titre, cela ne voudrait pas dire que l’ensemble de la dette américaine  serait à risque. Attention, la situation n’est en rien comparable avec celle de la Grèce par exemple. Pour les Etats-Unis, il n’existe aucun problème de solvabilité ni de liquidité car les investisseurs ne fuient pas. Il s’agît uniquement d’un blocage politique ponctuel car la capacité de trouver des fonds existe. La dette américaine est soutenable.

Par ailleurs, les taux auxquels l’Etat émettait de la dette quand il en avait encore le droit demeurent bas. La charge de la dette américaine reste assez faible même si cette dette apparaît élevée en pourcentage du PIB. De même, les impôts sont encore limités. Des marges de manœuvre sont donc assez faciles à trouver notamment sur le biais fiscal. 

Propos recueillis par Pierre Havez

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