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Ce qui se cache derrière la hausse des affections psychiques liées au travail (et qui n’a pas grand-chose à voir avec les entreprises)
©Pixabay

Monde du travail

Selon l'Assurance-maladie, les troubles psychosociaux liés au travail connaissent une progression. Rendements, objectifs impossibles à atteindre, managers incompétents, les causes, si l'on devait en chercher ne manquent pas.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Selon les chiffres de l'Assurance-maladie, la France connait une progression continue des troubles psychosociaux liés au travail, plus de 10 000 affections psychiques ayant été reconnues comme accidents du travail en 2016, et ce, malgré une baisse des accidents du travail d'une autre nature​. Dans quelle mesure ces chiffres peuvent-ils révéler une "pathologisation" des relations de travail comme une nouvelle forme de règlement des rapports sociaux ? 

​Eric Verhaeghe : Il faut ici examiner une tendance longue qui est vraie. Tous les psychiatres de France vous diront que la souffrance au travail représentait un ou deux cas dans leur patientèle chaque année il y a dix ans, et qu'elle représente désormais une bonne moitié de leur activité. Il est incontestable que la souffrance au travail a gagné beaucoup de terrain, au demeurant pour des raisons tout à fait prévisibles. La première d'entre elles tient aux gains de productivité rendus indispensables par les 35 heures. Regardez la situation dans les hôpitaux publics: les personnels sont contraints de réaliser en 35 heures des tâches qu'ils réalisaient auparavant en 39 heures. Cette pression au travail est évidemment créatrice de mal-être et d'un sentiment diffus de n'avoir jamais le temps de rien. La deuxième cause tient à la dépossession grandissante du travail, due aux rendements décroissants. Les organisations atteignent de plus en plus une "taille critique" qui consiste à multiplier les couches hiérarchiques entre la base et le sommet. Beaucoup de cadres ont d'ailleurs une vie professionnelle qui se résume à un empilement de réunions totalement déconnectées du travail de leurs collaborateurs. Dans ces conditions, la souffrance au travail concerne autant la base qui n'est plus autonome dans son poste quotidien, et l'encadrement qui est confronté à une perte de sens. 

Faut-il y voir plus une forme de rejet du "capitalisme financier", de la progression des inégalités etc..autant que le rejet de contextes spécifiques ? 

​Je ne crois pas que la souffrance au travail soit liée à des questions idéologiques. Elle est d'abord liée à des questions de taille dans l'entreprise, de sens donné aux missions et de pression sur la productivité. Autant, à de nombreux égard, l'industrie a réglé ce problème à coup de robots et d'amélioration des niveaux de recrutement (ce qui permet d'enrichir les tâches des ouvriers), autant les services sont encore à l'âge de pierre sur bien des missions. Pensez aux plate-formes téléphoniques où les agents qui sont au téléphone ont une production à assurer chaque jour "au kilomètre", sans vraie marge de manoeuvre dans le contact avec le client. C'est le genre de travail ingrat, épuisant, frustrant, qui suscite forcément tôt ou tard une souffrance. Celle vient de la répétition des mêmes tâches pauvres et "prisonnières", pas d'un rejet du capitalisme. Au demeurant, dans un monde communiste, le plaisir de travailler n'est pas plus grand. 

Dans quelle mesure peut-il s'agir d'un recours ou d'un abus ? Quelles en sont les limites ? 

​La souffrance au travail est très largement systémique. Elle est liée à la taille des entreprises en tout premier lieu. Les grandes structures avec les grands états-majors qui se sont constitués pour les diriger sont des machines à broyer les bonnes volontés. On aimerait dire que la souffrance y résulte d'un abus ou d'un choix. En réalité, il est difficile dans ces structures d'identifier une personne qui y décide vraiment. Bien entendu, les organisations font parfois le choix de recourir à la pression psychologique pour convaincre un salarié de partir à moindre frais, de démissionner. Mais ces phénomènes sont moins répandus qu'on ne le dit, et d'ailleurs par forcément créateurs de souffrance. J'ai le cas d'un cadre qui a été convoqué un 23 décembre pour être licencié. L'entretien a duré quelques minutes. On ne peut pas dire qu'il ait vraiment souffert. À l'inverse, ceux qui sont restés en poste se plaignent d'une charge lourde sans véritable moyen pour l'accomplir. La souffrance est plutôt mal. Elle est liée à un non-choix de la structure: on n'a pas envie de licencier des collaborateurs qui font plutôt bien leur travail, mais on n'a plus les moyens financiers de les doter du matériel nécessaire pour bien travailler. Là commence la souffrance, et elle est souvent involontairement infligée par les structures. 

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