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Ce que les opposants au CETA ne comprennent pas au libre-échange
©PATRICK HERTZOG / AFP

Perdants économiques

Le projet de loi sur la ratification du traité de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne, CETA doit être voté ce mardi 23 juillet. Si les droits de douanes devraient être supprimés sur 98% des biens échangés, il se pourrait qu'il y ait davantage de perdants économiques.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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En quoi la théorie économique a-t-elle disparu des débats autour du libre-échange ? Que risque-t-on à discuter de la politique économique (en particulier commerciale) sans le moindre argument rationnel ?

Mathieu Mucherie : C'est un phénomène qu'on retrouve dans de nombreuses questions qui devraient faire l'objet d'une analyse économique. Je le vois au quotidien sur la politique monétaire. C'est quelque chose qu'on retrouve aussi sur les questions de politique commerciale, parce qu'on a affaire à une matière plutôt retorse, très contre-intuitive, avec des mécanismes comme les avantages comparatifs qui ne sont pas assez enseignés (donc les économistes ont sans doute une part de responsabilité). 
La théorie est en réalité très libre-échangiste : elle n'est pas mitigée. La théorie sur le libre-échange est solide. Ce n'est pas une position doctrinaire comme le disent certains médias. C'est une théorie qui réunit 92 % des économistes si j'en crois certains travaux. Et puis un certain nombre d'éléments empiriques sur plusieurs continents et plusieurs époques montrent la même chose : c'est à dire qu'il ne faut aucun frein au libre-échange, qui doit être inconditionnel et unilatéral. C'est cela la théorie.
Là où néanmoins, on peut ajouter de la subtilité, c'est qu'il y a des perdants. Et la question se pose donc ainsi : comment les indemniser ? Cette question, qui fait partie de l'attirail des économistes, relève non plus de la théorie économique mais de l'économie politique. La théorie dit que cela doit être fait plus ou moins finement, à l'échelon national. Il faut des budgets, des capacités à agir pour cerner qui sont les perdants potentiels et comment les indemniser. 
En somme ce que dit la théorie, c'est qu'il ne faut pas tuer la poule aux œufs d'or : il faut dans un premier temps désarmer l'échange (désarmement réglementaire, fiscal, etc.), et avec les flux créés pour la collectivité par ce désarmement, on obtient la possibilité d'indemniser certains, de mieux aménager les choses ou de trouver des accommodements sur le plan écologique. 
Tout cela, c'est sur le plan de la théorie. Mais malheureusement, dans la pratique, aujourd'hui, vous avez des médias qui se lancent dans des campagnes hystériques anti-libre-échange, à la moindre suspicion de bœuf aux hormones. C'est un sujet soumis à la vindicte médiatique. Cela ne date pas d'hier : je me souviens des émeutes à Seattle en 1999. Même si la région tirait sa richesse de Microsoft par exemple, c'est à dire d'entreprises très mondialisées, cela n'empêchait pas toute la jeunesse locale de manifester contre l'OMC. C'est déjà en son temps ce qu'avait montré Jean-François Revel. Voilà un phénomène surréaliste : c'est comme si l'on avait trouvé des gens contre le commerce avec des zones éloignées dans la Venise du XIVème siècle... 
En fait les autorités compétentes sont plus ou moins compétentes sur le plan budgétaire et fiscal pour faire en sorte que les perdants nets soient indemnisés. 
Ensuite, l'hystérisation des débats par l'argument écologique ou sanitaire est aussi quelque chose de nouveau. S'est greffée à cette question une préoccupation environnementale plus forte qui croit pouvoir trouver dans l'opposition au libre-échange une terre de combats. Jusqu'ici, on mettait plutôt en avant des arguments sociaux, l'argumentation typique du protectionnisme, mais cela ne prétend plus. Christian Jacob, ancien du syndicalisme agricole, se heurte au CETA sur un point particulier : la viande de bœuf. Il était donc prêt à tout remettre en question pour ce point-là. Il mettait en avant la question de la vache folle, qu'on pourrait selon lui récupérer. Je ne suis pas un expert en bœuf, mais il me semble qu'il n'y en a pas eu au Canada. Si certains arguments écologiques ou sanitaires sont valables, il faut trouver le moyen d'indemniser et ne pas tout bloquer parce qu'on a un opposant sur tel ou tel détail. 
Il y a une responsabilité en amont : réunir les gens autour de la table et désamorcer les fausses informations. Ensuite, si cela n'a pas été fait, il faut trouver le moyen de donner des soutiens en fonction des secteurs concernés par des pertes. 

En termes d'économie politique, comment faire signer un accord commercial alors même que certains participants s'estiment perdants ? Que révèle cette résistance à la ratification du traité par certains (et notamment LR) et comment la surmonter ? 

Il n'y a pas beaucoup d'autres solutions : la persuasion et l'argent. Après, il y a peut-être un problème de gouvernance à revoir. Confier tout le pouvoir à la Commission européenne, c'est une méthode qui arrive à sa fin. Pour les gens de bonne foi, il faut essayer de trouver des éléments de compromis après ratification par les Assemblées. La Commission devrait être ouverte à la discussion en amont. 
En aval, le gouvernement doit prendre en compte les secteurs qui vont souffrir pour que ces secteurs soient moins touchés. 
Enfin, si on avait une politique plus volontariste et rationnelle sur l'écologie, les écologistes auraient peut-être moins de choses à dire sur ce genre d'accord. 
Le libre-échange, pour conclure, est tellement efficace qu'il peut aller trop loin. Et il faut trouver les mécaniques un peu intelligentes pour que les pertes nettes soient lissées budgétairement et dans le temps. 

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