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Ce que le Coronavirus a changé pour le meilleur et pour le pire dans le fonctionnement de la science mondiale
©PASCAL PAVANI / AFP

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Comment l’épidémie de Covid-19 et le confinement ont-ils bouleversé le monde de la recherche ? Quels ont été les effets et l'impact sur l’avancement des travaux de recherche ? Quelles pourraient être les conséquences de la crise sur les programmes, les financements et les contrats ?

André  Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est Professeur de Neurosciences à l'Université d'Aix-Marseille, membre de la Society for Neurosciences US et membre de la Société française des Neurosciences dont il a été le Président.

 

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François Vazeille

François Vazeille

François Vazeille est directeur de recherche émérite au LPC Clermont (CNRS/Université Clermont Auvergne), ancien responsable de l'équipe ATLAS, Prix Fernand Mège de l'académie des sciences, belles lettres et arts de Clermont-Ferrand.

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Hervé Chneiweiss

Hervé Chneiweiss

Hervé Chneiweiss est enseignant chercheur au CNRS, directeur du laboratoire Neurosciences à l'Institut de Biologie Paris Seine, et président du comité d'éthique de l'INSERM.

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Atlantico.fr : Comment l’épidémie et le confinement ont-ils bouleversé la recherche ?

André Nieoullon : Le premier élément de réponse à vos interrogations est un constat : pour la première fois dans notre histoire il est apparu en pleine lumière que, face à cette crise sanitaire d’une ampleur sans doute inégalée, soudain les responsables politiques prenaient avis des médecins et des chercheurs pour éclairer les décisions à prendre ; et ceci dans l’urgence ! Ce n’est bien entendu pas la première fois que l’opinion des acteurs de la recherche et de la santé est sollicitée, mais que ces interventions soient quasi quotidiennes et destinées au grand public est objectivement une grande première. Faut-il y voir une forme de désarroi des politiques devant une pandémie qui les dépassait ? ou une forme d’instrumentalisation des scientifiques et des médecins pour cautionner des décisions difficiles à prendre pour nos concitoyens ? La réponse n’est pas claire mais retenons la sagesse des politiques devant des « sachants » parfois bien en peine -et cela est légitime- de pouvoir arrêter une position à même d’aider les décideurs. Ainsi nos chercheurs, et en particulier ceux du domaine de la santé publique en charge de faire des prédictions sur les évolutions, y compris à court terme, de la pandémie, associés aux soignants infectiologues, urgentistes et réanimateurs, ont-ils occupé nos écrans et antennes à toute heure et au quotidien, à tel point que certains d’entre eux sont devenus des formes d’icônes face à une maladie qui, à cette heure, a causé près de 30.000 décès dans notre pays. Rendons leur grâce à notre tour : leurs mérites sont immenses et en dépit des catastrophes annoncées, notamment parce que leurs moyens n’étaient pas à la hauteur dans un pays qui se targue d’avoir l’une des meilleures politiques de santé du monde, ils ont fait face et ils ont tenus ! Et croisons les doigts avec eux pour que demain les engagements qui ont été pris à leurs égards soient tenus, et pas seulement en termes de médailles…

Le second élément de réponse, qui a certainement interloqué nos concitoyens, a été de mettre au grand jour les différences d’appréciation pour ne pas dire les divergences profondes, qui sont apparues entre chercheurs dans le débat public, parfois avec une violence et une passion à peine pensable pour qui place les chercheurs bien au-dessus de ce type de polémiques, voire de mesquinerie. Inconcevable pour tous alors même que les enjeux de l’urgence sanitaire étaient décomptés de façon morbide chaque soir par la litanie du nombre de décès quotidien ! Et tout cela attisé par des non sachants, en particulier mais pas seulement, responsables politiques ou autre pseudo-personnalité médiatique dont il semblait soudainement que l’opinion était déterminante pour justifier d’une prise de position en faveur de l’un ou d’un autre. Définitivement, la science ne se fait pas sur Youtube…

Le résultat est désastreux pour la recherche et nos concitoyens pourraient aujourd’hui avoir une bien piètre opinion de ce qui est pourtant l’une des toutes premières richesses de notre pays : la recherche dans le domaine de la santé, au tout premier rang de la recherche mondiale.

Le propre de la démarche scientifique est le doute face à l’inconnu et, en tout état de cause, cette démarche doit être nécessairement empreinte d’une grande humilité et de modestie devant les enjeux de santé publique tels qu’illustrés aujourd’hui par l’épidémie de Coronavirus. De plus, à minima, les chercheurs en question, s’ils ont aussi la responsabilité de rassurer les populations, se doivent aussi de faire montre d’une grande empathie devant la douleur de tous ceux qui sont touchés par la maladie. L’humilité et le sens de la responsabilité doivent aller de soi lorsque personne n’a de solution réelle à proposer. L’empathie devrait faire partie des premiers éléments de langage face à la détresse des populations. Quant à la modestie, elle devrait exprimer le fait que la recherche scientifique n’est pas une aventure individuelle mais bien une entreprise collective, qui mobilise de très nombreux acteurs, que ce soit dans le domaine de la recherche pré-clinique, que l’on désigne encore trop souvent dans ce domaine par le terme de recherche fondamentale, ou dans celui de la recherche clinique, au lit du malade. Ces deux façons d’aborder la crise sanitaire ne sont pas opposables et chacun doit au contraire assumer tout ce qu’il doit à l’autre, ce qui apparaît dans une forme de démarche plus moderne, que l’on désigne par recherche translationnelle, visant à transférer au mieux et au plus vite les connaissances acquises au laboratoire, au lit du malade, sans question d’égo ni de prééminence des uns par rapport aux autres. Telle est la grande leçon que nous devons tirer les uns et les autres de ces épiphénomènes. Retenons la grandeur et le dévouement sans faille de nos soignants et faisons confiance à nos chercheurs, parmi les meilleurs de la communauté internationale, je peux en attester ! Et le débat scientifique est une nécessité à l’avancée du progrès, loin de toute forme d’obscurantisme et de débat partisan.

Mais ce billet est aussi l’occasion de mettre l’accent à la fois sur les efforts considérables mobilisés en urgence pour accroître rapidement les connaissances sur les Coronavirus et leurs conséquences sur la santé publique. Si les efforts consentis par l’Etat face à la crise sociale et économique provoquée par la pandémie de COVID-19 sont d’ores et déjà perçus comme d’une ampleur inégalée -ce que commentent les économistes- il faut acter que, dans le même temps et avec une célérité rarement atteinte dans ce domaine, des budgets conséquents ont été soudainement débloqués pour faire face à la pandémie sur le plan de la santé publique, que ce soit dans le domaine de la recherche préclinique ou celui de la recherche clinique. Ainsi, au travers de son opérateur principal, l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), dès le 10 février un fonds était abondé pour permettre de soutenir sans délais les équipes de recherche mobilisées sur le COVID-19 au travers du programme REACTING (programme de recherche sur les maladies infectieuses) lancé en 2013 par l’alliance des organismes de recherche en santé (INSERM, CNRS, IRD, Institut Pasteur, etc.) et qui, jusque-là, s’est focalisé notamment sur EBOLA ou encore ZIKA. Au total, ce sont déjà 86 projets de recherche sur le COVID-19 qui sont ou vont être financés, pour environ 15 M d’euros. Dans le même temps, le Ministère des Armées propose également de soutenir des programmes de recherche sur le COVID-19, à hauteur de 10 M d’euros, et l’Union Européenne débloque quant à elle 232 M d’euros pour renforcer les efforts internationaux. Et il faut ajouter à cela les actions de certaines collectivités régionales, ou encore des associations, telle la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM) qui multiplie ses appels pour collecter des fonds. Et dans ce contexte, de nombreux partenariats publics-privés ont également été activés, en particulier pour la recherche d’un vaccin (plus de 130 programmes sur les vaccins sont en cours dans le monde), toute polémique sur les prises de position de tel ou tel industriel par ailleurs lié à la recherche publique et notamment à l’Institut Pasteur, mise à part.

En conclusion, l’Etat est bien présent pour soutenir ses équipes et mettre en œuvre une véritable « task-force » visant à lutter le plus efficacement possible contre la pandémie. Devant un tel déferlement de moyens, les chercheurs font preuve d’optimisme tout en répétant à l’envi que la recherche est un processus lent et qu’il ne faut pas attendre de retombées immédiates. Les vaccins en sont une illustration et les chercheurs les plus optimistes considèrent raisonnablement que les premiers vaccins ne pourraient, au mieux, voir le jour qu’en 2021… et encore parce qu’un certain nombre d’étapes réglementaires de mise au point ont été réduites au minimum. Et il ne faut jamais perdre de vue que la recherche n’offre jamais de certitudes et que ce n’est pas parce qu’un effort sans précédent a été consenti que le vaccin sera à coup sûr produit. Les vaccins contre nombre de maladies infectieuses sont toujours attendus, du paludisme au SIDA en passant par Ebola ou Zika, même si des avancées incontestables ont été réalisées.

Et, comme dans le cas des controverses sur les masques, chacun pourra aussi arguer que notre pays a peut-être sous-estimé l’intérêt de la recherche sur les Coronavirus en ne soutenant pas dans le passé récent cette recherche à la hauteur de ce qu’elle aurait du être puisque, schématiquement, il ne restait avant la crise sanitaire que 2 grands laboratoires dans le pays dont c’était la spécialité après la crise du SRAS en 2013, alors même qu’un certain nombre de signaux d’alerte avaient été actionnés sur de possibles nouvelles pandémies, y compris dans un rapport du Sénat de 2012.

François Vazeille : Prétendre être compétent dans l’évocation des effets de la crise du Coronavirus sur le fonctionnement de la science mondiale serait faire preuve d’un manque de modestie patent. Chercheur dans un domaine n’est certainement pas le gage d’une vision globale de la recherche mondiale dans tous les champs de la science, et puis il est prématuré d’avoir des avis définitifs alors que la crise sanitaire et ses effets, provisoires ou définitifs, sont toujours présents. Cependant, j’ai le privilège de travailler dans un domaine, la physique des particules aux hautes énergies, et dans un lieu, le CERN (Laboratoire européen pour la physique de hautes énergies), où les recherches s’effectuent dans le cadre de collaborations à l’échelle mondiale. A titre d’exemples, la collaboration à laquelle j’appartiens regroupe 181 laboratoires issus de 38 pays de tous les continents (habités, bien sûr) et des chercheurs de 120 nationalités se côtoient au CERN. Tout cela pour indiquer que des problèmes scientifiques extrêmement complexes relevant du monde de l’infiniment petit se traitent à l’échelle mondiale, indépendamment de toute considération politique, ethnique, religieuse, avec une très grande réactivité. Nous serons conduits à reparler de l’organisation du CERN au cours de cet article.

Le monde de la recherche comme celui de la culture et de l’économie en général a été très fortement perturbé, puisque l’accès aux laboratoires a été interdit - à l’exception de passages très courts dûment justifiés et autorisés par les instances compétentes-  ainsi que les déplacements à l’étranger. Ce fut particulièrement compliqué lorsque des expériences étaient en cours et qu’il fallait assurer des services d’intérêt général comme le fonctionnement de l’informatique et, j’imagine,  les soins à donner à des animaux, les cultures cellulaires et autres activités qui ne peuvent pas être interrompues. Les rencontres avec des collègues français ou étrangers ont été interrompues, les séminaires de laboratoire et les conférences nationales ou internationales ont été supprimés, alors qu’il s’agit d’éléments essentiels de confrontation des idées et de communication des résultats. Les programmes courts sont évidemment les plus touchés, car il sera très difficile de récupérer le temps perdu, sous réserve en plus que les disponibilités financières et en personnels soient prolongées. Les programmes à long terme, comme ceux qui sont menés au CERN, pourront être rafistolés », à condition d’augmenter les rythmes de travail. Le grand accélérateur du CERN (le LHC) n’était pas en fonctionnement, car il est en cours d’amélioration de ses performances. Le CERN est capable de multiplier les postes de travail (il l’a déjà fait dans le passé) pour atteindre les objectifs prévus. Les expériences pratiquent de la même façon. Les analyses de physique en cours portant sur des données déjà enregistrées, le confinement ne les a pas trop perturbées.  Mais qu’il s’agisse des recherches au CERN ou dans tout autre domaine, ce sont les jeunes chercheurs en cours de thèse ou en positions postdoctorales qui ont le plus souffert, car ils disposent d’une durée et d’un financement limités, sans oublier les soutenances de thèses différées ou maintenues dans des conditions "confinées" qui ne rendent pas justice aux travaux exécutés.  Les optimistes estiment que ce temps de latence aurait permis de prendre du recul sur les programmes en cours ou futurs ; ce n’est pas mon point de vue, car cela sous-entendrait qu’en temps "normal", les chercheurs seraient négligents, ce qui ne traduit pas la réalité de la recherche et de sa pratique. Nous ne savons pas combien de temps va durer, encore, cette période de crise, mais d’ores et déjà, je suis convaincu que la science mondiale va être profondément perturbée par cette crise sanitaire.

Le seul effet positif est que les états ont dû faire appel, pour une fois, aux scientifiques avant de prendre des décisions concernant la lutte contre la pandémie et les soins à apporter aux personnes infectées. Les états n’avaient pas le choix, mais procèderont-ils encore de la même façon, une fois la crise passée, sur d’autres sujets sensibles concernant d’autres domaines où, du politique au citoyen, chacun à une croyance bien éloignée de la réalité scientifique ? Les exemples sont nombreux : l’énergie, le climat, les pesticides, les OGM. Les vrais scientifiques, et non les pseudos, alters, croyants … seront-ils enfin écoutés ?

Tout le monde a constaté, avec regret, que les efforts passés concernant la santé (Hôpitaux, soignants, chercheurs, etc.) avaient été insuffisants et qu’il conviendra de corriger toutes les erreurs commises. Mais il y a un risque : considérer que cette priorité doit impacter tous les autres domaines de la science, alors qu’aucun progrès scientifique n’est possible en se polarisant sur une discipline unique. Et puis, il y a un autre risque : celui de considérer que, puisque de nombreux scientifiques ont affiché leur rejet de la démarche scientifique habituelle et de la rigueur, en privilégiant des études d’urgence pour soigner la Covid-19, il serait possible d’avoir une nouvelle science fondée uniquement sur la conviction, sans tentative de reproduire les résultats, sans le contrôle de ses pairs. Certaines publications litigieuses sur leur contenu et/ou sur leur examen par les pairs ont même été acceptées dans la hâte.  La science mondiale amorcerait alors une période de régression et d’obscurantisme.

Hervé Chneiweiss : Dès le 11 ou 12 mars (une semaine avant la décision de confinement) les mathématiciens et physiciens nous alertent sur le fait que nous allons devoir fermer le laboratoire en raison des courbes de propagation du virus. Nous n'avons dès lors que quelques jours pour nous préparer ce qui est impossible dans un laboratoire expérimental où nos expériences, par exemple sur le comportement animal et sa modulation pharmacologique, peuvent durer 2 à 3 mois. Nous allons être rapidement obligé à sacrifier des centaines de nos souris pour réduire au minimum le nombre d'individus indispensables au redémarrage post confinement. Impact scientifique et économique (il faudra reproduire chaque individu) mais aussi psychologique majeur (perte de nos résultats, de notre dynamique, brisure de notre attachement à nos animaux qui ne sont pas que des objets d'étude...). Toutes les expériences s'arrêtent au 14 mars. Nous donnons tout notre matériel (tests PCR, masques, blouses, gants..) à nos collègues hospitalier qui en manque déjà cruellement. Les deux mois d'arrêt sont l'occasion de nouveaux modes de communication pour garder le lien au sein des équipes et entre les équipes: visio-conférences régulières. Nous avions déjà en tant que laboratoire de neuroscience une activité de modélisation et de bio-informatique importante. Cette activité a bien entendu été très développée durant le confinement.

Comment les équipes se sont-elles réorganisées et adaptées ?

André Nieoullon : On le voit, les programmes mis en place par les Ministères et l’UE, plus la structuration préexistante du programme REACTING, ont déclenché une vague de propositions dans la communauté scientifique, impliquant une forte dimension pluridisciplinaire qui allie la biologie la plus fondamentale aux projets cliniques les plus audacieux. Une autre caractéristique de ces actions étant aussi leur caractère souvent fortement international. Ceci est de bon augure et il est envisageable que très vite des résultats seront obtenus avec une bonne visibilité, en espérant vivement que la coopération des Etats, notamment en Europe, dépasse les déclarations d’intention qui ont manifestement hypothéqué l’essai clinique multicentrique Discovery qui a toutes les difficultés à recruter les 3000 patients nécessaires à son exploitation, hors polémiques sur l’hydroxy-chloroquine…

Fondamentalement, les conditions sont ainsi réunies pour de réelles avancées des connaissances, tant fondamentales que cliniques, sur le virus et sa pandémie et chacun se doit d’avoir foi dans une recherche scientifique qui allie d’extrêmes compétences à une grande éthique et déontologie, quoique l’on puisse entendre. Une telle mobilisation sans précédent devrait assurément produire ses effets et tout nous engage, dans cette période d’incertitudes immenses, à faire preuve d’optimisme et de confiance dans l’avenir. Toutefois, une certaine note de réalisme, qui persiste au fond du chercheur de terrain que j’ai longtemps été, m’amène à espérer que, dans le cas du COVID-19, une part significative des budgets de recherche aille bien à la recherche amont (préclinique) qui en a tant besoin. L’expérience m’a montré, hélas,  que bien souvent, dès qu’une recherche était centrée sur une pathologie, aussi majeure soit-elle, l’essentiel des financements allaient directement aux soins et aux actions sociales -qui par ailleurs en avaient aussi bien besoin ! - plutôt qu’à la recherche préclinique. Tel fut le cas dans le domaine des Neurosciences qui est le mien s’agissant du Plan Autisme, du Plan Alzheimer, du Plan sur les maladies neurodégénératives, ou encore, il y a encore plus longtemps, du Plan de lutte contre la Maladie de la vache folle…

François Vazeille : Le télétravail était déjà en cours et reconnu officiellement dans certains secteurs de la recherche. Son extension, lors du confinement, ne fut pas une grande surprise, mais si cela présente nombre d’avantages, y compris selon certains aspects liés à l’écologie, il souffre de  de difficultés certaines, autant sur le plan de la vie privée que sur celui des activités professionnelles en raison, justement, de l’éloignement du lieu habituel de travail.  De plus, il ne se prête pas à toutes les activités de recherche qui nécessitent des laboratoires, des ateliers, et autres services tels que le fonctionnement permanent de l’informatique.   De nombreuses réunions par visioconférence ont été organisées, mais là aussi, ce n’est pas nouveau, à part le fait que c’est devenu exclusif. Dans mon laboratoire, par exemple, et c‘est probablement représentatif de nombreux autres, des réunions hebdomadaires étaient organisées au sein de l’équipe, une portant sur les activités de recherche, une autre sur la cohésion du groupe, ce qui est particulièrement important lorsqu’il y des chercheurs étrangers. Il y avait également une Assemblée Générale hebdomadaire du laboratoire, également fort utile à propos de l’évolution des consignes sanitaires et des directives des agences de tutelles, l’Université et le CNRS dans notre cas. Le télétravail est toujours recommandé, mais des périodes de présence au laboratoire sont maintenant définies. Le CERN a pratiqué d’une façon très similaire. 

Hervé Chneiweiss : D'abord maintenir le lien social: visio-conferencing intensif et autres usages des messagerie type Whatsapp. Ensuite faire un bilan de ce qui a été laissé en suspens et comment cela pourra reprendre. Développer les analyses des travaux déjà effectués et la modélisation (approches théoriques complémentaires des approches expérimentales). Lecture plus intensives (car plus de temps) de la littérature et préparation de nouveaux projets.

Quels ont été les effets sur l’avancement des recherches ? La crise sanitaire s’accompagnant d’une crise économique : quels impacts sont à prévoir sur les programmes, les financements, les contrats ?

François Vazeille : La crise sanitaire n’a évidemment pas fait progresser la recherche en général, c’est ce que nous venons de voir. Les recherches ciblées pour soigner la Covid-19 ont été très nombreuses; le nombre de publications a explosé, avec un soucis positif de soigner effectivement pour certains auteurs, et pour des raisons moins avouables pour d’autres : flatter son ego, prendre une bonne place et obtenir ainsi des crédits confortables pour d’autres … puisque c’est ce qui est attendu de la part des tutelles. Les promesses seront-elles tenues une fois la pandémie finie, car je n’ose pas dire vaincue ? Et si tel est le cas, et comme nous l’avons indiqué précédemment, quels seront les effets sur les autres domaines scientifiques ?

Nous avons cependant pu constater le manque de coordination internationale, y compris au niveau de l’Europe, alors qu’il y a toujours urgence. Pouvons-nous rêver … et imaginer la création d’un centre de recherche à l’échelle mondiale copié sur le CERN ? Il est utile de rappeler que le CERN a servi de modèle à d’autres organismes  pour le spatial, pour la biologie moléculaire et même pour ITER qui connaissait de gros problèmes d’organisation. Les recherches ne seraient jamais orientées en fonction de considération de politique ou de marchés commerciaux ; la réactivité pourrait être immédiate en période de crise sanitaire.
Rêvons donc … un peu !

Hervé Chneiweiss : Beaucoup d'impact: 1- évidement beaucoup de temps perdu. Compte-tenu du type d'expériences que nous menons nous pouvons considérer que nous avons perdu Les résultats des 2 à 3 mois précédent le 17 mars (expériences qui n'ont pu être menées à leur terme) plus les 2 mois de confinement, plus 4 à 6 mois de redémarrage. Donc une année blanche. Premiers impactés: nos jeunes. Stage expérimental impossible pour les mastères, ce qui est dramatique pour les M2 dont le stage constitue le marche-pieds vers le doctorat. Impact majeur sur le déroulement des programmes doctoraux. Les plus en difficultés étant les étudiants en 3e année donc qui devaient finir leur thèse mais en réalité tous les étudiants en thèse sont impactés. Terrible aussi pour nos post-doctorants qui eux-aussi perdent un an à un moment crucial de leur dynamique de carrière scientifique. Des prolongations sont annoncées mais peu de financements à l'heure actuelle: l'ANR a annoncé un soutien budgétaire, la FRM pour les doc et post-docs.

A noter par ailleurs 2 impacts majeurs de la crise :
1- le Paradoxe de la collaboration internationale: énorme succès pour le mouvement de la Science Ouverte avec des centaines de publications en libre accès et un usage devenu courant de la publication ouverte en avance "pre-print" (medrxiv ou biorxiv) avant revue par les pairs; mais incroyable repliement sur les espaces locaux ou nationaux particulièrement pour les essais cliniques qui sont dispersés (plus de 1000 en cours à travers le monde) et n'arrivent pas à inclure les patients ni à la puissance statistique. Idem pour des projets de recherche souvent redondants et sans collaborations internationales. Faillite des institutions internationales qui s'avèrent inexistantes et/ou incapables d'organiser une coordination des efforts. Idem à l'échelle nationale où l'on a vu fleurir les appels d'offre d'urgence sans aucune tentative de réellement faire travailler les gens ensemble. Exacerbation de la compétition individualiste et faillite du système de la recherche sur projet? Bref: la communication passe mais le travail collaboratif est resté en rade. Petit cocorico et coup de chapeau toutefois à la structure REACTing mis en place par l'Inserm suite à l'épidémie Ebola en 2015 et qui a parfaitement jouée son rôle en initiant des recherches dès le mois de février et en coordonnant plusieurs programmes multicentriques.

2- Manque criant de dialogue/communication entre la Science et la Société. La méthode scientifique est mal connue et mal comprise. Les chaines d'info en continu ont inventé des experts autoproclamés et donné la vedette à des annonces sensationalistes qui s'avèrent aujourd'hui sans fondement voir dangereuses. L'image de la science va en sortir terriblement affectée car les gens ne comprennent pas que c'est d'abord une méthode pour réduire l'incertitude mais qu'il faut agir en temps de crise en situation d'incertitude. L'instrumentalisation par le politique (affaire des tests, affaire des masques) est également terrible.

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