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Ce que la science sait maintenant faire pour retrouver les sens perdus
©Flickr/jeanbaptisteparis

5 sens

Aux Etats-Unis, des scientifiques viennent de mettre au point une peau artificielle permettant de ressentir les objets touchés. Elle pourrait éventuellement permettre aux personnes utilisant des prothèses de retrouver le toucher. Mais la sciences a aussi fait de belles avancées en matière d'ouïe et de vue. Pour l'odorat et le goût, il va encore falloir patienter.

José-Alain Sahel

José-Alain Sahel

José-Alain Sahel est président de l'Institut de la Vision

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Yann Nguyen

Yann Nguyen

Yann Nguyen est chirurgien ORL à l'Hôpital Beaujon, à Paris. 

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Jean-Luc Puel

Jean-Luc Puel

Jean-Luc Puel est professeur, directeur de l'unité de recherche "Surdités, Acouphènes et Thérapies" à l'Institut des Neurosciences de Montpellier. Au cours de son parcours, il a rédigé une thèse intitulée « sélectivité fréquentielle au cours du développement chez le rat après administration de drogues ototoxiques », puis a rejoint lle Professeur Richard P.Bobbin’s en Louisiane, pour un post-doctorat. Il est directeur de recherche au CNRS dès 1998 et nommé dans la foulée Professeur de Neurosciences à l’Université Montpellier 1. Il y devient directeur du Centre de Recherches et de Formation en Audioprothèse (2001) et crée en 2004 le Master d’Audiologie et Troubles du langage. Il co-fondera ensuite l’Institut des Neurosciences de Montpellier, inauguré en 2003.

 

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Roland Salesse

Roland Salesse

Roland Salesse est Ingénieur agronome de formation et chercheur en neurobiologie olfactive à l'INRA, à Jouy-en-Josas.

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Atlantico : Issue de l'université de Standford en Californie, l'équipe du professeur Zhenan Bao dévoilait mi-octobre, dans la très sérieuse revue Science, un travail long de trois ans et demi. Il sont parvenus à mettre au point des capteurs produisant des signaux pouvant communiquer avec le cerveau. Disposés dans un circuit électronique imprimé sur un polymère organique, imitant la peau, ceux-ci envoient des stimulus au cerveau et permettraient donc potentiellement de faire retrouver la sensation du toucher en restituant la flexibilité et l'élasticité de la peau. La science a aussi fait des progrès pour d'autres sens. Où en est-on du point de vue de la vue ?

José-Alain Sahel : Les possibilités sont diverses. Outre des approches qui deviendront classiques en thérapie génique et cellulaire, nous travaillons sur plusieurs innovations au sein de l'Institut de la vision. La plus avancée est celle des rétines artificielles, qui font l'objet d'essais cliniques depuis plusieurs années. Le dispositif se compose d'une caméra installée sur des lunettes, qui captent des images. Celles-ci sont transférées à un processeur de la taille d'un téléphone portable qui traite l'information, la simplifie, l'améliore, puis l'envoie vers un émetteur. Lequel émetteur envoie ces signaux à des capteurs reliés à une rétine artificielle placée sur la rétine du patient. Celle-ci produit alors une sensation visuelle.

Une deuxième technique sur laquelle nous travaillons fonctionne grâce à des diodes. Une caméra est reliée à un projecteur et des diodes transforment la lumière en signal électrique. Développée avec la start-up française Pixium Vision et en collaboration avec des chercheurs de l'université américaine de Stanford, elle sera testée prochainement.

Les protéines sensibles à la lumière constituent une troisième voie de recherche. Des protéines sont préalablement fabriquées dans la rétine du patient après injection d'un vecteur de thérapie génique. Un projeteur relié à une caméra projette une lumière dans l'œil à laquelle ces protéines réagissent. Cela s'appelle l'optogénétique. Nous menons des recherches à ce sujet, en collaboration avec des équipes de chercheurs de Bâle, Francfort, Philadelphie, du MIT, et  la start-up Gensight.

Enfin, à Jérusalem, l'équipe du professeur Amir Amedi avec qui nous collaborons mène un projet baptisé "EyeMusic" . L'objectif est de transformer l'information visuelle en information auditive et de permettre aux aveugles de voir avec leurs oreilles. Des tests sont en cours.

Dans le domaine de l'ouïe, on connaît les prothèses auditives, comment cette technologie fonctionne-elle et comment a-t-elle évolué depuis les premières prothèses auditives numériques des années 1990 ? Quelles sont les autres voies de recherche ?

Jean-Luc Puel :Les prothèses auditives implantées à demeure sur l'oreille du patient se sont améliorées au fur et à mesure du temps: le nombre d'électrodes est de plus en plus grand. Elles en contiennent entre 20 et 30 aujourd'hui, selon les fabricants. Le traitement du signal a beaucoup été amélioré depuis les premiers modèles. La technique s'appelle l'implant cochléaire. On équipe l'oreille du sujet sourd d'un petit microphone qui capte les sons et les transmet à une bobine, qui les transforme en impulsions électroniques. Celle-ci stimule les nerfs qui transmettent ensuite l'information au cerveau.

Cette technique est utilisée en priorité chez les enfants sourds, qui présentent une surdité congénitale. Il est important de les équiper le plus tôt possible afin que les zones du cerveau dont dépend l'audition, à l'intérieur du cortex cérébral, se développent correctement. Dans le cas contraire, le cerveau les réinvesti et les utilisent pour développer d'autres sens comme le toucher ou la vision.

De nouvelles technologies sont actuellement développées afin de créer des électrodes non traumatiques, car jusqu'à maintenant celles existantes détruisaient les reliquats de cellules auditives des patients qui n'étaient pas complètement sourds.

Sur un tout autre plan, nos recherches se concentrent aussi désormais sur le remplacement des cellules sensorielles. L'idéal serait de réussir à refaire pousser ces cellules. Chez l'oiseau, cela est naturel, par contre les mammifères ont perdu cette faculté. Nous tentons de comprendre pourquoi. Pour le fonctionnement de l'ouïe, des cellules dites de soutien fonctionnent avec des cellules  sensorielles. Ces dernières ayant disparues chez un patient sourd, nous cherchons à reprogrammer des cellules de soutien afin qu'elles se divisent et créé une nouvelle cellule de soutien et une cellule sensorielle. Pour l'instant, nous sommes encore loin des applications et des essais cliniques.

Yann Nguyen :L'"oreille artificielle" existe et est utilisé par des centaines de milliers de patients dans le monde. En 1957, André Djourno, professeur de physique médicale et Charles Eyriès, chirurgien ORL, ont découvert de manière inattendue que l'on pourrait recréer des sensations  auditives en stimulant électriquement la cochlée. Lors d'une intervention de l'oreille chez un patient ayant une paralysie du nerf facial et étant sourd suite à une infection chronique de l'oreille en rapport avec un cholestéatome, ils avaient voulu stimuler le nerf facial. Le courant avait cependant diffusé vers la cochlée et le patient avait eu une sensation auditive. A partir de cette découverte, plusieurs équipes se sont  simultanément lancées dans des travaux de recherche en France, Autriche, Etats-Unis et Australie dans les années 60-70. Ces travaux ont aboutis à la réalisation de dispositifs médicaux appelés implants cochléaires qui sont des prothèses électroniques capables de capter les sons de l'environnement, dont la parole, et les transformer en un message sous la forme d'impulsions électriques transmises au nerf auditif afin le conduire jusqu'au cortex auditif.

Ces implants permettent à des patients sourds de suivre une conversation dans le calme. L'écoute dans le bruit ou la musique est encore limitées avec les technologies actuelles mais le traitement du signal suit les progrès de l'électronique en général (augmentation des capacités de calculs, miniaturisation, baisse des consommations électriques). L'implant cochléaire est donc capable de réhabiliter la fonction neurosensorielle de la cochlée. Le but est aujourd’hui d’améliorer la communication des patients sourds. Les implants comme les aides auditives suivent la "révolution" des objets connectés. Il est ainsi possible grâce à des accessoires de relier à d'autres objets de la vie courante (smartphone, télévision) de manière similaire à des oreillettes bluetooth. Il est même envisageable que l'on puisse un jour apporter un jour à ces patients implantés un sens "augmenté", avec comme exemple concret des modules de traductions instantanées pour faciliter la communication dans une langue étrangère.

Des travaux similaires sont en cours dans des équipes de Boston et de Genève afin de réhabiliter la deuxième fonction de l'oreille interne qui participe à l'audition mais aussi à l'équilibre . C'est implants dit "vestibulaires" sont dotés de capteurs accélération afin de redonner au cerveau des informations sur le déplacement de la tête dans l’espace chez des patients chez lesquels dont la fonction vestibulaire est atteinte dans les deux oreilles internes.  

Une enquête réalisée par les chercheurs du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon, montre que 10 % des Français n'ont plus d'odorat. Que peut faire la science pour les personnes ayant perdu le goût ou l'odorat?

Dr Yann Nguyen: Il n'existe pas à ma connaissance de développement de prothèse artificielle afin de remplacer l'olfaction ou le goût. L'épithélium olfactif est l'organe neurosensoriel qui a le plus de capacités à se régénérer spontanément. Les récepteurs se renouvellent mais le fonctionnement du système de l'olfaction peut être perturbé par des tissus cicatriciels (fibrose) qui perturbent la reconnexion des fibres nerveuses entre le cerveau et les récepteurs olfactifs. Des travaux chez l'animal ont pour but de guider cette repousse nerveuses dites axonale.Des greffes nerveuses ont été proposée afin de réparer une des branches nerveuses impliquées dans la gustation. Concernant le bulbe olfactif, c'est une région du corps possédant des cellules souches qui pourraient avoir un intérêt pour d'autres applications (réparer des sections de moelle épinière après des accidents graves par exemple). 

Roland Salesse: A l'heure actuelle, pas grand-chose car à la différence de la vision ou de l'audition il n'y a pas de prothèse. La seule chance de retrouver le goût ou l'odorat est que les récepteurs olfactifs et gustatifs se renouvellent d'eux-mêmes, cela peut arriver. Si l'anosmie est causée par une inflammation chronique des fosses nasales, ce qui empêche l'accès de l'air à l'épithélium olfactif (situé dans le nez, entre les deux yeux, là où se situent les  récepteurs olfactifs), elle peut être traitée avec des anti-inflammatoires. Si la cloison nasale est décalée, on peut recourir à la chirurgie. Pour le goût, il n'y a rien, l'agueusie est encore mal expliquée.

Sur le plan des innovations, il y a peu d'endroits où l'on fait des recherches sur ce sujet. Dans notre laboratoire à l'Inra, nous travaillons sur un nez bioélectroniques, avec des électrodes portant des récepteurs olfactifs. Mais le premier objectif est d'en faire un outil de diagnostic olfactif, pas encore une prothèse.

Au niveau international, des Italiens utilisent des nez électroniques (qui existent depuis une trentaine d'années) pour le diagnostic médical depuis déjà une dizaine d'années. Le diagnostic par méthode olfactive avait longtemps été délaissé par la médecine et redevient en vogue. Enfin, des chercheurs coréens avancent à pas de géant dans le domaine des nez bioélectroniques. Je pense qu'ils pourraient arriver les premiers à des applications industrielles.

Propos recueillis par Adeline Raynal

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