Ce que l’utilisation d’enfants kamikazes par l’Etat Islamique révèle de l’embrigadement massif de la jeunesse sur son territoire<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Ce que l’utilisation d’enfants kamikazes par l’Etat Islamique révèle de l’embrigadement massif de la jeunesse sur son territoire
©Capture d'écran Dailymail

2e génération

Si l'Etat islamique en vient à envoyer des enfants faire sauter des bombes, ce n'est pas parce qu'ils n'ont plus de soldats. Mais c'est qu'une autre menace émerge sur les terres tenues par les islamistes, celle d'une nouvelle génération allaitée à la doxa de ses pères.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

Voir la bio »

Atlantico : Dimanche 21 août au soir à Kirkouk, les forces de sécurité irakiennes ont arrêté un jeune adolescent d'environ 15 ans qui portait sur lui une ceinture d'explosif. Il avait été envoyé pour se faire exploser dans un lieu de pèlerinage chiite à quelques kilomètres de son lieu d'arrestation. Selon le Washington Post, de telles techniques permettent de mettre en évidence l'affaiblissement de l'Etat Islamique, celui se révélant incapable de recruter. Cette analyse est-elle pertinente ?

François-Bernard Huyghe : Non, parce qu'il me semble que l'Etat islamique, malgré des pertes considérables, n'a pas de mal à recruter des kamikazes. Ils le prouvent en dépensant sans retenue des vies humaines sur le front et évidemment dans des attentats. Ce n'est donc pas un signe de faiblesse ou de difficultés à recruter. Par exemple, de plus en plus de Français partent en Irak pour faire ce qu'ils appellent la "hijra", c'est-à-dire aller sur la terre du califat pour y vivre un "Islam sain" et bien entendu si nécessaire pour y mourir. L'idée de voir un affaiblissement dans l'utilisation d'enfants kamikazes ne me parait pas être du tout un bon argument. En revanche, les motifs d'utilisation de ces enfants sont d'une part des motifs d'efficacité : ils sont nécessairement plus discrets que des grands gars barbus. L'autre raison est idéologique et symbolique. Les leaders de l'Etat islamique veulent confier un rôle de plus en plus important à la relève des jeunes générations, ceux qu'ils appellent les Lionceaux. 

Quels sont les processus de recrutement de ces enfants, sont-ils contraints, comme cela a été indiqué par l'adolescent de Kirkouk, ou s'agit-il de processus plus longs, visant à "embrigader" des enfants et des adolescents dans ce conflit ?

Il y a un peu des deux. Est-ce qu'on peut contraindre un enfant à aller se faire sauter en le menaçant d'une fessée : cela je ne sais pas (et ne le pense pas). Il faudrait sur ce point demander son avis expert à un psychologue ayant travaillé sur le sujet. Première remarque : l'Etat islamique n'est pas le premier à employer des kamikazes. Boko Haram l'a fait, et on raconte qu'ils leur lavaient le cerveau ou leur racontaient des histoires. On n'en sait pas grand-chose. On est un peu dans le même cas que le Vieux de la Montagne dans sa forteresse d'Alamut qui racontait à ses combattants qu'ils iraient chez les houris etc. Le processus est tout simplement celui de l'éducation d'enfants dans l'esprit de l'Etat islamique. Il ne faut pas oublier qu'ils occupent l'équivalent d'un Etat, dans lequel il y a des écoles où on apprend aux enfants des "valeurs". Ils sont formés dans cet esprit-là. Il y a un autre facteur qui joue dans le lavage de cerveau qui est opéré chez ces jeunes. C'est qu'il y a souvent des petits (ou petites) kamikazes qui descendent de "héros" islamiques. Une vidéo montrait ainsi un jeune enfant français d'environ huit ans, fils d'un martyr (venu de France et mort sur le front en se faisant exploser), qui affirmait que sa plus grande ambition plus tard était de faire comme papa. Dans la littérature de l'état islamique que je lis beaucoup, on remarque que les partisans de l'Etat islamique insistent énormément sur le fait que les enfants seront les Lionceaux de l'Islam. Ils sont, selon leurs mots "le second espoir de l'Islam après Allah". Ce genre d'expression n'est pas futile chez eux : il y a à mon avis une véritable pensée stratégique : on est rentré pour eux dans une guerre d'assez long terme (plus de dix ans) qui nécessite de préparer la génération suivante. Ils sont dans l'idée que la jeune génération va prendre le flambeau du djihad, et que c'est donc bien qu'ils se préparent dès aujourd'hui à mourir en héros (et n'ont évidemment aucun scrupules à les envoyer se faire sauter). 

Avec l'exemple de Boko Haram au Sahel, une telle stratégie, visant à se servir d'enfants dans une lutte terroriste, est-elle réellement nouvelle ? Quels sont les précédents ?

Il y a eu le cas des Tamouls dans les années 1990. De même, on a vu les chiites du Hezbollah faire défiler des enfants avec des tenues de kamikazes, ceints de dynamites comme des futurs martyrs. On retrouve ça chez les sunnites aussi, chez les Tigres tamouls qui, s'ils ne revendiquaient pas un combat religieux, étaient majoritairement hindouistes… En Irak, Al-Zarkaoui avait innové sur ce point et est en quelques sortes l'ancêtre de l'actuel califat, dans sa capacité à vouloir mener un conflit total, agaçant même Ben Laden qui lui reprochait de s'attaquer aux chiites alors que l'ennemi d'alors était américain. Il avait participé à cette idée que tout le monde, même les femmes et enfants, a le droit de mourir comme martyr pour l'Islam qui vous envoie directement au paradis d'Allah. L'idée n'est donc pas nouvelle, et évidemmment assez inquiétante car il est difficile de tirer sur un enfant suspect. Et plus il y aura de Lionceaux, plus on peut craindre un exemple exaltant pour ces enfants abandonnés à l'Etat islamique.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !