Ce que l’Allemagne doit à l’Europe (mais s’obstine à ne pas voir) <!-- --> | Atlantico.fr
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e chancelier allemand Olaf Scholz écoute la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avant le début d'UNE réunion à Bruxelles le 23 juin 2022.
e chancelier allemand Olaf Scholz écoute la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avant le début d'UNE réunion à Bruxelles le 23 juin 2022.
©Ludovic MARIN / AFP

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Le chancelier Olaf Scholz affirmait ce lundi dans la presse allemande que l’UE devrait abolir le droit de veto en matière de politique étrangère. Un pas supplémentaire vers l’intégration fédérale dont il peut être utile de débattre. Mais certainement pas sans réflexion sur le poids que la stratégie de développement allemande fait peser sur le reste de l’Europe depuis des années.

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Atlantico : Le chancelier Olaf Scholz a affirmé ce lundi dans la presse allemande que l’UE devrait abolir le droit de veto en matière de politique étrangère. Quel serait l’intérêt d’une telle décision ? A quel coût cette décision viendrait-elle pour les différents états européens ?

Rodrigo Ballester : Quel intérêt ? A mon avis, aucun, abolir l’unanimité serait même totalement contreproductif, la fausse bonne idée par excellence dont on parle de plus en plus dans les cénacles européens. A première vue, en pleine guerre, certains s’exaspèrent de ne pouvoir adopter des sanctions d’une manière agile, comme un seul homme ou, plutôt, comme si l’UE était un pays. Ceci dit, l’adoption de six paquets de sanctions depuis le 24 février, (dont seulement l’un d’eux, le plus crucial, fut bloqué pendant trois semaines) montre que bien qu’avec un peu de perspective, l’unanimité est moins paralysante qu’on veut bien le faire croire quand il y a une vraie volonté politique. Mais comment faire émerger cette volonté si les Etats membres, sur des sujets aussi cruciaux que leurs intérêts vitaux en politique étrangère, n’avaient pas un filet de sécurité ? En outre, en général, derrière un véto se cachent plusieurs pays qui pensent tout bas ce que l’un d’eux est prêt à défendre tout haut. Ce fut le cas du sixième paquet de sanctions (la Hongrie parlant également pour la Slovaquie et la Croatie) ou le blocage de l’ouverture des négociations avec la Macédoine du Nord et l’Albanie en 2019 où la France était en fait le porte-parole des Pays-bas et de certains pays nordiques.

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En fait, sur le long terme, se débarrasser de l’unanimité signerait le déclin d’une politique étrangère européenne qui prend de l’ampleur. Les Etats membres ont des intérêts très divers. Si l’Amérique latine est essentielle à l’Espagne, elle importe peu à la Pologne, si les Balkans sont stratégiques pour  les pays de Visegrad, ils le sont nettement moins pour la Finlande, et si le Sahel est crucial pour la France, les Baltes n’y voient qu’une région lointaine. Alors, il me paraît justifié que chaque pays puisse mettre sur la table des lignes rouges qui ne le sont pas pour les autres. Imaginez, en plus, que la France soit en minorité sur le Maghreb, la Grèce sur la Turquie, la Pologne sur la Biélorussie ou…l’Allemagne sur la Chine ? Leurs opinions publiques seraient extrêmement remontées. Appliquez ce cas de figure dans trois ou quatre cas et vous aurez trouvé la meilleure façon de dynamiter la politique extérieure de l’Union.

L’Allemagne cherche à renforcer ses intérêts, ce qui passe pour l’instant par un renforcement de l'Union européenne, mais cela n’a pas toujours été le cas. À quel point la stratégie de développement allemande doit-elle à l’Union européenne et à sa capacité à imposer ses choix à l’Europe ?  

L’Union européenne repose sur certains compromis tacites, par exemple, éviter que les gros poissons ne mangent les petits et ne leur imposent leurs intérêts. Comment ? Entre autres, à travers l’unanimité. Si l’Union s’en débarrasse, ce sera un avantage crucial pour les grands pays, surtout l’Allemagne et la France, et une menace pour les petits et moyens pays. Sans unanimité dans des sujets vitaux, quel petit pays oserait s’opposer à Berlin ou Paris sans craindre leurs représailles dans d’autres dossiers ?  Du coup, les grands pays pourraient conserver, de fait, le privilège de l’unanimité alors que la majorité des autres ne pourrait en faire autant. Que deviendrait l’UE dans ce cas, un directoire ? Un club de pays de première et deuxième classe ? Ce serait la négation même de l’idée d’équilibre entre pays qui est l’une des clés de voûte de l’Union.

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Une anecdote : il y a une bonne vingtaine d’années, un diplomate néerlandais me disait que son pays commença à être eurosceptique à partir du moment ou Chirac et Schröder décidèrent unilatéralement de s’affranchir des contraintes du Pacte de Stabilité de l’Europe sans d’autres arguments que leur taille et leur rang. Par après, le passage en force de l’Allemagne sur le gazoduc Mainstream II (le scandale de porte tournante le plus stupéfiant de l’histoire de l’UE, l’ancien Chancelier Schröder, encore lui, étant nommé chez Gazprom quelques jours après la fin de son mandat !) montre bien à quel point ce pays peut cavalièrement faire prévaloir ses intérêts nationaux.  Il l’a fait dans le passé, mais est-il en mesure de le faire en ce moment ?  

Dans quelle mesure l’Allemagne a pesé, négativement, sur le reste de l’Europe depuis des années en faisant valoir ses intérêts ?

Soyons mesurés, on ne peut parler de l’influence de l’Allemagne qu’en termes négatifs. Qu’on le veuille ou non, ce pays a dominé l’Union pendant le règne de Merkel faute de concurrence, à cause de la faiblesse des autres Etats. Au-delà de ces  institutions, l’UE a besoin d’un ou plusieurs pilotes et pendant une longue période, seule l’Allemagne pouvait tenir ce rôle. Exercer ses responsabilités implique également de faire des erreurs et la tentation de privilégier son agenda national.

Bien sûr, vu son poids et sa taille, ce risque est plus élevé quand l'Allemagne assume un leadership sans contre-poids. Les quinze dernières années ont surtout été marquées par la crise de l’Euro depuis 2008, une situation d’une complexité inouïe, certes, mais dans laquelle on peut en effet reprocher à l’Allemagne d’avoir poussé (voire imposé) des solutions idéologiques et contre-productives. Avec le temps, cette obsession dogmatique de l’austérité aura été une erreur de calcul monumentale dont beaucoup de pays payent encore les conséquences y compris au niveau politique et social. Si certains pensent que l’Allemagne a sacrifié le Mark sur l’autel de l’Euro, d’autres affirment au contraire que l’Euro n’est que le nom d’un Mark à l’échelle européenne avec la politique monétaire qui va avec. Par ailleurs, on pourra également reprocher à l’Allemagne son mercantilisme à la fois rapace et béat dont les conséquences géostratégiques sont aujourd’hui catastrophiques. La gestion de la crise migratoire de 2015 et le célèbre et vertueusement téméraire « wir schaffen das »  de Merkel ainsi qu’une politique énergétique aussi dogmatique qu’ahurissante ont également laissé des traces et ont nourri une certaine méfiance non seulement sur la tendance allemande de faire prévaloir ses intérêts, mais également sur la stratégie globale et à long-terme que certains jugent erratique et naïve.

Mais encore une fois, ne soyons pas catégoriques. Une grande partie de l’opinion publique allemande a l’impression de s’être beaucoup sacrifiée pour l’Europe (et surtout pour l’Euro) ces dernières années et nous aurions tort de l’ignorer. Surtout que certains de leurs arguments sont recevables, notamment les doutes sur la légitimité du  programme de « quantitative easing » de la Banque Centrale Européenne qui a fait bondir la Cour Constitutionnelle allemande car elle l’estime (et pas de manière infondée) contraire aux Traités. Alors que l’inflation refait surface, n’oublions pas le traumatisme historique qu’elle implique pour ce pays.

Comment l’Union européenne peut-elle se positionner pour réfléchir à la position allemande tout en cherchant des garanties pour se protéger ?

Encore une fois, évitons d’être trop manichéens. L’Union, d’un côté, doit-elle se protéger d’une position allemande de l’autre ? Non, je ne le pense pas, l’Allemagne n’est pas une menace hégémonique, surtout en ce moment où elle est géopolitiquement vulnérable et affaiblie comme jamais alors qu’économiquement elle reste le moteur de l’Union. Si Putin coupe le gaz à l’Allemagne cet automne, toute l’Europe en pâtira, alors gardons-nous d’antagonismes et de « Schadenfreude », gardons la tête froide et faisons preuve de pragmatisme.

L’Union doit surtout faire émerger une position commune sur la base solide des intérêts de tous ses Etats membres face à la guerre. Comment ? En conservant la règle de l’unanimité en matière de politique étrangère, certes, en faisant émerger un leadership multipolaire et oubliant les « moteurs fanco-allemands ». Mais plus largement en évitant de monter les Etats membres les uns contre les autres et en ayant le sens des priorités.

A mon avis, le plus grand obstacle actuel à cette sérénité vitale est le Parlement Européen qui est en roue libre sur ces croisades idéologiques et qui réussit à intimider une Commission timorée qui n’ose le contredire. Quand Von der Leyen a essayé de trouver un compromis avec la Pologne sur le Fonds de Relance, Strasbourg lui a répondu avec une motion de censure, heureusement rejetée. C’est ahurissant de stupidité que cette assemblée joue la carte du chantage moral hystérique en pleine guerre. C’est surtout révélateur d’une classe politique d’une médiocrité sans précédents et d’un dogmatisme adolescent. Je tremble à l’idée que l’avenir de l’Europe soit en partie dans les mains de députés plus actifs sur Twitter à coups de messages binaires que dans les commissions parlementaires. Exemple paradigmatique de cette dérive ubuesque, Daniel Freund, député vert allemand (ironie du sort !) qui critiquait récemment que la Commission cherche des alternatives d’approvisionnement de gaz en Azerbaïdjan car ce pays…n’est pas une démocratie, et dont la priorité obsessive est de changer les traités et de  bloquer toute entente avec Varsovie et Budapest.

Une attitude qui anime en partie la coalition rouge-verte à Berlin. Je crois qu’en ce moment, cette Allemagne totalement déboussolée et trop sensible à l’idéologie (par exemple sur le nucléaire) est surtout une menace pour elle-même.  Et je pense également qu’en ces temps de turbulences extrêmes, l’Europe ferait mieux de se mettre en mode intergouvernemental que fédéral pour les traverser.  

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