Ce délitement de la démocratie qui mine la France<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron s'exprimant lors d'une allocution au Parlement européen.
Emmanuel Macron s'exprimant lors d'une allocution au Parlement européen.
©Ludovic MARIN / AFP

Valeurs démocratiques

Une réflexion sur la démocratie, en particulier occidentale, implique de s’interroger sur l’évolution de la société et l’impact de celle-ci sur les valeurs démocratiques.

Jean-Pierre Schaeken Willemaers

Jean-Pierre Schaeken Willemaers

Jean-Pierre Schaeken Willemaers est  président du Pôle énergie, climat, environnement de l’Institut Thomas More, auteur de L’utopie du tout renouvelable (ed Académie royale de Belgique, 2017)

 

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La société est de plus en plus appréhendée et traitée comme un « réseau » plutôt que comme une structure. Elle est perçue comme une matrice de connexions et de déconnexions réalisées de façon aléatoire.

Les échanges sont si rapides dans l’espace numérique que l’expression des internautes pèse sur les faits eux-mêmes. Cette relation entre la pensée et la réalité des faits s’appelle la réflexivité. Il s’agit d’une autre façon d’être au monde, d’une manière de s’accommoder d’une réalité façonnée à partie du réel et de son extension numérique. Un espace où chacun s’exprime sans filtres héberge forcément des points de vue qui relèvent du délire ou de la paranoïa.[1]

Nombreux sont ceux qui ne cessent de consulter leur smart phone, voire leur tablette quel que soit l'endroit où ils se trouvent. Le comportement humain en est affecté. Bref, on assiste à un affaiblissement des liens entre personnes, à un nouvel individualisme nourri de l’accès illimité à l’information.

L’information immédiate et l’abondance des données transmises en flux continu laissent peu de place pour les internautes connectés quasi en permanence à la réflexion, au recul nécessaire pour une analyse plus approfondie et sont susceptibles de crédibiliser les fake news et la rumeur.

Le wokisme en est une belle illustration. La doctrine woke(éveillée) se représente comme une hypersensibilité aux revendications des minorités, renvoie chacun à son genre, sa race ou son ethnicité, procède a à des déconstructions tous azimuts et nie les réalités biologiques au profit de constructions sociales fluides[2]. Cette cancel culture trouve son origine dans les universités américaines. Elle a ensuite envahi les universités européennes.

Ces dernières ne remplissent plus leur fonction en assujettissant les enseignants aux critères wokeprécités allant jusqu’à interdire des mots, des expressions non conformes à leur pensée.

Depuis des siècles les universités sont des lieux de savoir, derecherches, de transmission des connaissances, d’exigence en somme, ainsi que de l’héritage culturel et de formation d’esprits libres et cultivés qui ne sauraient être contaminés par des élucubrations dépourvues de fondement scientifique et de rigueur de raisonnement.

L’invasionwoke ne se limite d’ailleurs pas aux universités, elle vise également les enseignements primaire et secondaire. Pour faire triompher ses idées, il est plus facile pour cette religion d’enrégimenter les nouvelles générations plus malléables que les adultes. Leur projet est de persuader les enfants, entre autres, que l’identité sexuelle n’a rien à voir avec le corps ou que le racisme est inhérent au fait d’être blanc. Les enfants seront ainsi endoctrinés par des enseignants qui eux-mêmes ont été convertis à l’université.

Il sera ainsi possible de former un homme nouveau, à cette différence près quecet homme ne sera ni homme ni femme, théorie du genre oblige, et ne sera pas nouveau puisqu’il faut en finir avec les illusions du progrès et de la modernité.

Il y a là une dimension totalitaire intolérable qui met en péril la démocratie.

Les anciennes dictatures promettaient au moins un avenir radieux ce que ne fiat pas la religion woke.[3]

Le wokisme assorti de sévères rétorsions contre tous ceux qui ont l’audace de s’opposer à sa doctrinen’est pas sans rappeler le roman historique à l’époque du règne de Domitien (1er siècle apr. J.-C.) : « la nuit des orateurs »[4]. On y retrouve tous les ingrédients de la tyrannie woke : la dominationabsolue, toutes déviances étant considérées comme un crime de lèse-majesté punissable au mieux de l’exil au pire de la peine de mort et de la torture (on peut se réjouir que le wokisme se limite à l’ostracisme et à la mise à l’index), l’endoctrinement permanent, l’incitation à la délation (instrument de toutes les dictatures), la soumission hypocrite, etc.

Il faut néanmoins noter que la vague woke ne submerge pour l’instant que le monde occidental. Le reste de la planète se contente d’observer avec étonnement. Beaucoup y voient un signe de l’épuisement de notre civilisation et s’étonnent que les héritiers d’une culture aussi riche que la nôtre s’acharnent à la détruire. La théorie du genre rompt avec la réalité pour entrer dans un monde imaginaire où le genre remplace le sexe et où le corps ne compte plus. En niant la réalité et le corps, la religion woke rejoint les utopies transhumanistes. Quant à la partie plus théorique de cette religion, autour de l’épistémologie du point de vue, elle vise à détruire toute possibilité de connaissance objective. Elle risque de conduire à une incroyable régression scientifique et technique.[5]

Bref, le wokisme est devenu un fourre-tout, une arme de disqualification massive, une idéologie sectaireportant atteinte à la liberté d’expression. C’est une doctrine antiscientifique procédant à des déconstructions sociétales non argumentées, affirmant la culpabilité sans pardon, un manichéisme total (allant jusqu’à bannir les professeurs qui ne s’alignent pas sur leur doctrine) de nature à attiser les conflits et la violence.

Pour résister aux wokes et sauver la démocratie, il faudrait simplement un minimum de courage, celui d’oser s’élever contre leurs positions aberrantes.

Just say no.

Dans la mouvance du wokisme, on peut également inscrire le droit à la paresse.

Les contestatairesde la valeur du travail considèrent que là où commence le travail cesse tout ce qui fait la vie belle et digne d’être vécue. Ce concept est résumé dans la formule lapidaire : perdre sa vie à gagner sa survie.

Ce droit est vain, car il ne contribue pas à l’épanouissement de l’individu. Il est illusoire, car il suppose que la société subventionne l’oisiveté de ceux qui choisissent la paresse par le labeur de ceux qui travaillent. À quel titre ces derniers seraient-ils prêts à offrir leur sueur et l’assistanat à ceux qui n’ont d’autres soucis qu’eux-mêmes ?

En fait ce qui est en jeu est le rapport du travail à la dignité humaine et à l’indépendance qu’il s’agisse d’activités professionnelles ou socialement utiles.

Le président Macron ne dit pas autre chose en déclarant que « ma vie aujourd’hui, c’est d’abord un combat pour des valeurs que j’ai chevillées au corps. La première c’est le travail. Car c’est la première source d’émancipation individuelle et parce que c’est le moyen le plus puissant de se libérer du déterminisme : c’est par le travail que l’on peut devenir celui ou celle que l’on a envie d’être ».

Une autre source d’inquiétudes pour la démocratie en Europe est le climat de contestations permanentes. Grâce aux réseaux sociaux, ces dernières peuvent réunir très rapidement des milliers de personnes, voire bien davantage, simultanément en différents endroits. Si en soi les manifestations de revendications sont parfaitement légitimes, la forte croissance de leur fréquence et les violences qui les accompagnent de plus en plus souvent sont un danger pour la démocratie. Elles empêchent la réalisation de projets pour lesquels les élus s’étaient engagés lors des élections. Ces dysfonctionnements sont une aubaine pour les partis extrémistes et populaires. Tous les pays européens en souffrent.

Les médias en Occident ne sont pas étrangers à l’emballement contestataire.

Ils se comportent comme des acteurs politiques autonomes, dotés de leurs propres priorités idéologiques, exerçant une forte pression sur les décisions politiques.

Même constatation au niveau international. Par exemple, depuis l’invasion de l’Ukraine, les médias poussent l’Occident dans une guerre contre la Russie en supprimant de l’espace public tout débat sur les risques d’une escalade militaire. Toutes réserves vis-à-vis de la mobilisation générale en faveur de l’Ukraine déclenchent polémique ou scandale, même à l’égard du célèbre acteur Omar Sy lorsqu’il avait simplement constaté que les guerres en Afrique suscitaient moins d’indignations. Non contents d’escamoter le débat sur les dangers d’un engrenage militaire, les médias assimilent toute idée de négociation à un quitus donné à Moscou. Quant aux mesures de rétorsion économique, ils rechignent à admettre leur échec relatif. Le FMI annonce pourtant une croissance russe de 0,3% en 2023 supérieure à celle de l’Allemagne (0,1%) et du Royaume-Uni (-0,6%).

Plus particulièrement en Europe, dans un contexte de crises successivesdont la dernière est celle du pétrole et du gaz, le repli des États membres sur eux-mêmes, préférant la politique du chacun pour soi,et le souci de préservation de leur souveraineté ne tarderont pas à se décliner en divers conflits identitaires (générés parla crainte d’une submersion par la globalisation).

Les nouveaux flux de populations à destination de l’Europe et la situation migratoire aux frontières conduisentà refuser à la fois l’immigration extérieure et la solidarité entrepays membres de l’Union.

Le manque de solidarité à l’égard des pays en première ligne de l’immigration extérieure tels que l’Italie et la Grèce et, dans une moindre mesure, l’Espagne, auquel vient s’ajouter  une carence de préparation de l’accueil des migrants, ne peut qu’exacerber  les divisions au sein de l’UE. Et ce d’autant plus qu’il est quasi impossible d’expulser les réfugiés entrés sur le territoire européen dans le cas où la demande d’asile est refusée.

Ces dysfonctionnements et le sentiment de défiance de plus en plus prononcé des Européens envers leurs gouvernements sont-ils à l’origine de ce que Jean-Yves Camus appelle les tentatives subversives ?[6]

En Allemagne, les Citoyens du Reich (Reichsbürger), groupuscule d’extrême droite[7] (qui s’apparente aux milices armées américaines) prétendent que la République fédérale d’Allemagne n’a pas d’existence juridique et en conséquence ignorent totalement les lois allemandes, un révisionnisme partagé par certains membres du parti populiste AfD (Alternative für Deutschland). Certains d’entre eux commencent à s’engager dans la violence politique. En août 2020,  quelques-uns de leurs membres ont tenté de pénétrer dans le parlement allemand pour protester contre les restrictions sanitaires visant à contenir l’épidémie de la Covid 19.[8]

En Italie en 2022, un groupuscule d’extrême droite a pris d’assaut un local syndical romain. Il n’y a pas eu de victimes. L’agression n’en pas moins été violente.

À Dublin, plusieurs manifestations contre les mesures sanitaires se sont soldées par des affrontements avec la police, ce qui est très inhabituel en Irlande.[9]

L’exaspération de larges tranches de populations européennes ayant le sentiment d’être abandonnées par les pouvoirs publics face aux crises successives de ces vingt dernières années et les sensibilités politiques divergentes entre l’Est et l’Ouest européen exacerbées par ces dernièrespourraient-elles déboucher sur des soulèvements de masse violents?

Toutes ces frustrations profitent auxpopulistes et à l’extrême droite, dont le poids politique ne cesse de croître face au désarroi des partis traditionnels.

L’approche politique pour les empêcher de prendre le pouvoir n’est-elle pas de donner enfin la priorité absolue à la satisfaction des besoins fondamentaux des populations : la sécurité alimentaire et des soins de santé, l’accès à une énergie abondante et bon marché et la relance économique restituant aux citoyens la dignité par l’indépendance que confère le travail ?

Jean-Pierre Schaeken Willemaers Institut Thomas More ex membre comité direction Engie Tractebel EG



[1]La condition numérique, Jean-François Fogel et Bruno Patino, Éditions Grasset, 2013.

[2]Raisons d’être des universités occidentales à l’heure du wokisme, Franck Leprévost 19 février 2022.

[3] La religion woke, jean-François Braunstein, Grasset.

[4]La nuit des orateurs, Hedi Kaldour, Gallimard, 2021.

[5] La religion woke, Jean-François Braunstein, Grasset, 2022.

[6]Malaise démocratique: L’ère de la tentative subversive est-elle revenue ?, Jean-Yves Camus, Atlantico, 7 décembre 2022.

[7]On parle d’une mouvance de 25 000 personnes ?

[8]Qu’est-ce que le mouvement Reichbürger, accusé de vouloir renverser le gouvernement allemand ?, The Conversation, 11 décembre 2022.

[9]Malaise démocratique : l’ère de la tentation subversive est-elle revenue, Jean-Yves Camus, Atlantico, 7 décembre 2022.

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