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Ce à quoi pourrait ressembler une réforme efficace de la fonction publique qui ne mette pas le feu au pays
©PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP

Fonctionnaires

Les fonctionnaires étaient appelés à la grève ce jeudi 9 mars, dans l'objectif de protester contre le projet de loi sur le statut des agents de la fonction publique qui sera présenté devant l'Assemblée nationale le 13 mai prochain.

Hubert Landier

Hubert Landier

Hubert Landier est expert indépendant, vice-président de l’Institut international de l’audit social et professeur émérite à l’Académie du travail et de relations sociales (Moscou).

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Jean-Marc Boyer

Jean-Marc Boyer

Jean-Marc Boyer est diplômé de Polytechnique et de l’Ecole Nationale de la Statistique et de l’Administration Economique (ENSAE). Il a commencé sa carrière en tant que commissaire contrôleur des assurances puis a occupé différentes fonctions à l’Inspection Générale des Finances (IGF), à la Commission de Contrôle des Assurances et à la direction du Trésor. Il est cofondateur de GLM et de la Gazette de l’Assurance.

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Atlantico :  Peut-on envisager un terrain d'entente entre le gouvernement et les syndicats sur ces questions des conditions de travail, du nombre de postes concernés par le statut de la fonction publique ?

Jean-Marc Boyer : Cette manifestation du 9 mai peut apparaître comme un baroud d’honneur des syndicats ou une tentative de remontada, digne des meilleurs clubs de football anglais. Ils craignent que leur poids dans les instances de dialogue soit divisé par 2.

Cette protestation intervient dans un contexte de sursaut syndical inhabituellement unifié. Jusqu’ici, les syndicats n’avaient guère réussi à faire reculer le Gouvernement sur les réformes du code du Travail et de la SNCF. Ils ont ensuiteeu un cahier des charges incomestible sur la réforme de l’Unédic. Ils risquent aussi de perdre de nombreux postes d’administrateurs, si les caisses de retraite fusionnent dans un système universel. Enfin, le paritarisme pressent son érosion programmée dans le pilotage de la protection sociale, avec la montée en charge du financement étatique par la CSG,au détriment des cotisations sociales.

Le Premier ministre fait mine d’une concertation avec les organisations syndicales, « en même temps » qu’il impose un projet de loi sur la fonction publique faussement concerté. Cela rappelle le spadassin enfonçant sa dague dans le ventre de l’ennemi en lui faisant admirer l’éclat du nacre de son manche. En fait de modernisation, les syndicats y voient une remise en cause des statuts, garants selon eux de l’indépendance et de la qualité du service public.

Hubert Landier : La réforme des services publics est une affaire très lourde dans la mesure où elle remet en cause une sédimentation de règles et de pratiques qui se sont accumulées sur des dizaines d’années, peut-être même un siècle. Cette réforme, jusqu’à présent, a été envisagée d’une manière comptable, avec l’annonce de suppressions  de postes, ainsi supposés inutiles. Ce qu’envisage cette fois le gouvernement, dont chacun sait qu’il siège à l’Elysée, prétend aller beaucoup plus loin puisqu’il s’agit de reconstruire complètement l’organisation humaine des services publics sur le modèle de ce qui existe dans les entreprises.

Une véritable réforme de la fonction publique et du statut des fonctionnaires supposerait d’abord de s’interroger sur les missions de l’Etat, ce qui devrait relever d’un débat public. Il en a été un peu question dans le « grand débat », mais on n’en retrouve pas la trace dans le projet gouvernemental relatif à la fonction publique. Et ensuite seulement, après avoir répondu à cette question en y associant toutes les parties concernées, il faudrait en venir à une négociation portant sur ce qu’il faut faire pour atteindre les objectifs retenus en tenant compte des attentes exprimées par les uns et par les autres. Mais cela prend nécessairement du temps. Il faut être clair, il faut que les esprits s’habituent à la perspective du changement, que chacun  fasse peu à peu son deuil de ce qui ne peut plus être maintenu, que les uns et les autres aient l’occasion d’échanger sur les enjeux. Et ce n’est qu’ensuite seulement que l’on peut avancer dans le sens d’un compromis.

La « négociation » à l’arraché dans laquelle s’engage le gouvernement ne peut pas aller très loin. D’abord, parce que ce n’est pas une véritable négociation. Les décisions ont déjà été prises, elles ne souffrent aucune contestation, et ce qu’on demande aux syndicats, c’est accompagner une mutation qui n’a pas été expliquée et encore moins discutée. En fait, ce n’est pas une négociation. Le gouvernement ne sait pas négocier. C’est bien le drame. Il se comporte à la manière du despote éclairé, qui sait ce qui est bon pour le peuple et qui ne souffre aucune remise en cause de son point de vue. Et ça, ça ne passe pas. Ou ça ne passe plus, compte tenu du niveau d’éducation et d’information de la population française.

D'un point de vue théorique, et en considérant que les parties en présence affichent une volonté de négocier, quelle serait "la monnaie d'échange" envisageable, pour le gouvernement, pour permettre de faire venir les syndicats "autour de la table" sur ces questions ?

Jean-Marc Boyer : La pilule est effectivement dure à avaler : plan de départs volontaires, remontée du temps de travail dans certaines collectivités territoriales, accroissement du nombre des contractuels, bref un rapprochement avec les normes du privé.

En échange, le Gouvernement dispose de « monnaies d’échanges » : cotisations ou non à l’Unedic, élargissement des primes au mérite (ce que les syndicats ne poussent pas, puisque cela échappe aux négociations globales), congés de transition professionnelle, accroissement des détachements,…

Gage d’une timide décentralisation au cœur d’un jacobinisme triomphant, le Gouvernement envisage de faire partir en province certains services, mesure qu’il faudrait mieux vendre. C’est perçu comme une sanction alors que,dans la fonction publique, le salaire étant inchangé dans l’hexagone, cela signifierait un meilleur niveau de vie pour les agents concernés. Mais comment vendre à son conjoint une mutation à Guéret (étymologiquement une jachère) dans la Creuse, préfecture de 13 000 habitants et ses rares divertissements de la place Bonnyaud ?

Hubert Landier : On ne peut pas dire quel pourrait être une quelconque monnaie d’échange parce qu’on n’est pas dans le troc. Une véritable négociation consiste à rechercher et découvrir ensemble, autrement dit à co-construire, des solutions qui répondent aux attentes des parties en présence. Cela supposerait que le gouvernement ne se mette pas dans la posture de « celui qui sait » et qu’il admette que ses interlocuteurs ont peut-être eux aussi une part de vérité. Mais cela supposerait également des syndicats qui soient capables de se mettre dans une posture qui ne soit pas celle du simple « rapport de forces ». Et là, ce n’est pas gagné d’avance.

Il faut bien voir que, d’un côté comme de l’autre, la confiance n’est pas au rendez-vous. Chacun reste prisonnier de ses certitudes, telles qu’elles lui viennent de son héritage culturel ou de son éducation. Les hauts fonctionnaires qui nous dirigent n’ont qu’une très vague idée de ce que vivent leurs interlocuteurs et ceux (et celles) qu’ils représentent. Ils sont eux-mêmes des produits du système qu’il s’agit de faire muter. Je crains que leur état d’esprit ne se limite à rechercher comment éviter sue les syndicats ne s’opposent avec efficacité à ce qui a été déjà décidé. On est dans la manœuvre, pas dans la recherche de solutions acceptables par les uns et par les autres, à défaut de faire consensus.

De la fin de l'ENA au nombre de départs à la retraite de fonctionnaires prévu pour les prochaines années, quelles sont les opportunités que pourrait saisir le gouvernement pour faire avancer cette négociation ?

Jean-Marc Boyer : Une première concession a de fait été accordée, puisque la réduction du nombre de fonctionnaires n’atteindra pas les 120 000 promis par le candidat Macron. Au rythme actuel,quelques milliers de postes seront supprimés sur le quinquennat. C’est un retournement majeur car, faute de baisse des dépenses publiques, toute réduction d’impôt n’est que temporaire. Les allègements actuels sont financés par des déficits qu’il faudra bien rembourser plus tard. Et le pouvoir d’achat baissera alors d’autant.

Cet abandon de la rigueur budgétaire est à la fois un constat d’impuissance et une volonté d’apaisement (gel des fermetures d’écoles et d’hôpitaux), suite au grand débat et à la vindicte des gilets jaunes.

La nature craignant le vide, le Gouvernement imagine probablement en remplacement de l’ENA la création d’une plate-forme de formation du service public (pour les administrateurs, les magistrats, et les corps techniques). Une formation continue accessible aux agents méritants (certains attachés principaux d’administration par exemple) donnerait un espoir aux classes intermédiaires de fonctionnaires et déverrouillerait le plafond de verre actuel (constitué par les hauts fonctionnaires désignés à la fin de l’adolescence ou par copinage au tour extérieur dans les grands corps).

Le défi de la fonction publique est de passer d’agents administrés à des personnes gérées.

Hubert Landier : Tel qu’il est parti, le gouvernement ne peut que passer en force tout en essayant de faire croire qu’il a sincèrement essayé de négocier. Il essayera de faire porter la responsabilité de la rupture sur ses interlocuteurs, en les faisant passer pour des esprits archaïques, attachés à leurs « énormes prérogatives » et ainsi de suite. Il fera de la communication. Le problème, c’est que l’expérience des entreprises montre que l’on ne peut pas opérer le changement en ayant contre soi tous ceux et celles qu’il impacte et sur qui repose finalement sa mise en oeuvre concrète. On sait que ça ne marche pas, ou très mal et très lentement..

Bien entendu, l’opposition des intéressés ne se manifestera pas, la plupart du temps, d’une façon brutale. Par contre, on  assistera à un désengagement des fonctionnaires ; et ce désengagement se manifestera par une perte d’efficacité, une progression de l’absentéisme, le départ des meilleurs… Le désengagement coûte très cher aux entreprises, là où il se manifeste. Dans la fonction publique, mieux vaut ne pas y penser.

Ce qui est étonnant, c’est que l’affaire des gilets jaunes aurait dû faire comprendre au gouvernement ce qui se produit quand on n’écoute pas les gens, mais il semble qu’il n’ait pas compris la leçon. Et donc, il recommence. Il reste prisonnier d’un récit rationaliste et économique qui sur le plan politique est celui du despote éclairé. Il est persuadé une fois pour toutes d’avoir raison (pour le bien des autres, bien sûr). Peut être qu’il faudra un nouveau « grand débat » dans la fonction publique ? En attendant, il est étonnant de voir à quel point le mode de gouvernance de la république est archaïque par rapport aux transformations culturelles et sociales de ces dernières décennies. On se croit revenu à l’époque de Napoléon III.

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