Casino : clap de fin pour Jean-Charles Naouri, un des derniers génies de la finance, asphyxié par une montagne de dettes <!-- --> | Atlantico.fr
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L’affaire Casino restera comme un cas d’école dans l’histoire récente du capitalisme français.
L’affaire Casino restera comme un cas d’école dans l’histoire récente du capitalisme français.
©PASCAL GUYOT / AFP

Atlantico Business

L’affaire Casino restera comme un cas d’école dans l’histoire récente du capitalisme français. Tous les ingrédients sont réunis. L’argent facile, les enjeux de pouvoir, un duel de prétendants. Et une histoire vieille d’un siècle.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Le dernier acte de « Casino » vient de commencer. Les deux écuries qui prétendent à la reprise du groupe ont déposé leurs proposition fermes pour sauver ce champion de la distribution de l’asphyxie annoncée. Maintenant il va falloir étudier les propositions, puis discuter avec tous les créanciers. Le principale acteur, Jean Charles Naouri, celui qui fut considéré comme une des stars de la finance internationale dans les années 1990 .Il est maintenant criblé de dettes, n’a peut-être pas dit son dernier mot.

Quelle histoire !

La première offre vient de Daniel Kretinski, un presque nouveau dans le monde des affaires français. Il est d’origine tchèque, il a fait une grande partie de sa fortune dans le secteur de l’Energie sur le gaz et sur le charbon, il a notamment mise sur des vielles centrales au charbon en pariant sur leur réouverture possible. Il a gagné son pari. Sa fortune personnelle doit avoisiner les 10 milliards. Mais Daniel Kretinsky a commencé à bâtir sa notoriété en investissant dans les médias (le groupe Marianne, Le Monde) il participe à la reprise du groupe Lagardère, mais il débarque aussi chez Darty, à Casino où il prend 10 % du capital. Pour reprendre ce groupe en difficulté, il propose d’apporter près d’un milliard d’euros avec l’aide de Marc Ladreit de Lacharrière ( Fimalac ) qui possède lui 12 % de Casino.

Cette première proposition est construite sur une stratégie industrielle qui consiste à relancer tous les magasins en Europe, y compris les hypermarchés, et le siège tres emblématique de Saint-Etienne, ce qui ne sera pas sans déplaire aux syndicats. 

La deuxième offre a été déposée par un trio d’hommes d’affaires français. Alexandre Houari, un des plus gros franchisés du groupe avec notamment les Franprix, Xavier Niel, le patron de Free, l’opérateur de téléphone, et Matthieu Pigasse, un ex-associé gérant de Lazard, passionné de médias ( les Inrockuptibles , Le Monde). Ces trois mousquetaires promettent d’apporter près de 1,5 milliards avec l’aide des créanciers.

L’enjeu de cette partie, c’est la prise de contrôle d’une vielle dame qui aurait pu célébrer ses 125 ans cette année puisqu’elle est née à la fin du 19e siècle dans la région de Saint-Etienne. Cette vieille dame rencontre un jeune homme dans les années 1990 qui ,en trente ans, va la transformer en diva de la grande distribution et lui offrir une deuxième vie.

Le jeune homme en question c’est Jean Charles Naouri. Il a 74 ans aujourd’hui. A l’époque, personne ne le connait en dehors des milieux d’affaires. Ce polytechnicien, énarque, va se forger une solide réputation. Entré au cabinet de Pierre Bérégovoy, il va organiser la dérégulation des marchés financiers et accoucher des innovations majeures qui vont permettre de libérer le capitalisme à la française. Mais comme il est de gauche, ça passera sans trop de grimaces du côté des amis socialiste de Pierre Bérégovoy. Jean Charles Naouri sera à l’origine d’une série d’outils qui vont brancher l’économie francaise sur la modernité et la finance internationale. Le Matif, c’est lui, le Mone, c’est encore lui. Les certificats de dépôts, les OAT, et tous les produits dérivés, c’est toujours lui. Les financiers vont user de tout, et souvent en abuser ...

Très vite, Jean-Charles Naouri va passer aux travaux pratiques et se mettre à son compte … Il n’est pas seul sur le marché des stars de la finance : c’est la moment où Bernard Arnault décolle, où François Pinault s’envole et où Vincent Bolloré se laisse surnommé par la presse le petit prince du cash-flow.Trois vedettes partis de rien ou presque et qui dominent encore le Cac 40. Jean-Charles Naouri est plus sombre, plus discret, il ne sera jamais connu comme ses trois confrères le sont.

Toujours est-il qu’en 1986, quand la droite revient au pouvoir, il quitte la sphère gouvernementale, s’engage chez Rothschild où il devient associé gérant mais très vite crée Euris, un holding à partir duquel il pourra gérer ses investissements. Jean-Charles Naouri est courtisé par tous les banquiers de Paris qui ont confiance dans ce nouveau Mozart de la finance. Par conséquent, il a peu d’argent, mais il en trouve beaucoup. Il multiplie les coups mais c’est en 1997, qu’il tombera sur l’affaire qui va transformer sa vie. Il prend le contrôle de Casino lors d’une OPA lancée par Promodès.

A partir de ce moment-là, Jean Charles Naouri va conduire, une chevauchée fantastique dans la grande distribution avec Casino et Rallye, Franprix , Monoprix, Naturalia, le e-commerce avec C discount, et développer son groupe dans le monde entier dont l’Amérique du Sud, avec le Brésil surtout. Au total , le groupe aujourd’hui emploie plus 200 000 salariés.

Son problème c’est que dans les années 2000, il va devoir affronter pas mal de tempêtes. Les vagues de terrorisme bousculent la sérénité des hyper-marchés,  le consommateur commence à prendre goût au commerce de proximité, mais surtout les univers financiers deviennent tres agitées.

Jean-Charles Naouri a une obsession : rester maitre chez lui, c’est-à-dire garder toujours 51% au moins du capital de ce qu’il acquiert. Il y parvient mais au prix d’une cascade de société un peu compliquée à gérer, et au prix d’un endettement à chaque étage. « Il a un côté petit épicier », dira Michel-Edouard Leclerc. Il veut posséder et contrôler.

Tout cela est gérable tant que la machine reste productive et que les taux d’intérêt ne sont pas trop élevés. Mais quand, à partir de la crise financière de 2009-2010, les marches d’Amérique du sud piquent du nez , les pays industriels s’étouffent un peu et les confinements liés au covid vont provoquer des révisions stratégiques…

Dans le groupe Casino, les dettes commencent à déborder de partout, les rumeurs sur d’éventuelles manipulations de cours boursiers commencent à circuler, mais ça ne trouble pas Jean-Charles Naouri, il se bat, il s’accroche.

Avec une dette nette pour le groupe de 6,4 milliards d’euros et une dette de la maison mère de 3 milliards. Jean Charles Naouri, sait très bien qu’il risque de perdre le contrôle de son groupe. Mais en dépit de tout, il espère garder l’intégrité du groupe, éviter l’éclatement et la vente au détail par un fonds un peu sauvage comme il en existe en Europe. Mais ça va être difficile.

Ce spécialiste de l’engineering financière se doute bien que l’intelligence  ne lui suffira pas. Il lui faudrait une stratégie industrielle, mais il est un peu tard.

Chez Carrefour, les dirigeants galèrent depuis plus de dix ans, et chez Auchan, ils sont en permanence en train de changer. Chez Leclerc ou chez Intermarché on joue sur la délocalisation et ça marche. Globalement le secteur tout entier se protège par une adaptation permanente aux effets de l’inflation, ou aux habitudes du consommateurs. Chez Casino, on ne sait toujours pas s’il faut jouer les petits prix, ou le haut de gamme, le bio ou le générique. Donc les marges fondent et le groupe a besoin de cash, de plus en plus de cash.

Le dépôt des propositions marquent la dernière étape, parce que les deux candidats ont une stratégie industrielle pour renouer le lien avec les consommateurs. En plus ils ont le cash nécessaire pour sauvegarder les finances tellement abimées.

Alors qui va décider. Juridiquement jean Charles Naouri devra le faire. Mais il n’a pas beaucoup de choix.

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