Cas d’espionnage américain en Espagne<!-- --> | Atlantico.fr
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En février 1995, cinq Américains accusés d'espionnage pour le compte de la CIA avaient été priés de quitter la France
En février 1995, cinq Américains accusés d'espionnage pour le compte de la CIA avaient été priés de quitter la France
©SAUL LOEB / AFP

Ingérence

Il n’est un secret pour personne que dans le monde du renseignement, il n’existe pas de pays « amis » mais des pays partageant à un instant donné des intérêts communs.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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En clair, même entre alliés, il est possible de s’espionner mutuellement même si des relations interservices existent (dîtes « relations Totem »).

Il n’est pas question pour un État de faire totalement confiance à un « allié » dont la politique peut évoluer avec le temps. De plus, si généralement des sujets comme la lutte contre le terrorisme ou le crime organisé peuvent rassembler, il en est différemment lorsqu’il s’agit d’intérêts économiques. Là, il n’y a plus de « copains » mais de féroces concurrents.

Les Américains font comme les autres, mais à leur échelle, c’est-à-dire immense. Bien sûr, l’espionnage technique est toujours de mise (l’écoute de dirigeants européens a défrayé la chronique ces dernières années) mais le renseignement « humain » est également employé même s’il est très délicat à manier et s’il peut déboucher sur de vrais scandales.

Par contre, Washington apprécie peu que cela se passe aux États-Unis, les Israéliens s’en rappellent encore avec l’affaire Jonathan Pollard. Cet officier de renseignement de l’US Navy avait été arrêté en 1985 pour espionnage au profit de l’État hébreu. Malgré de nombreuses demandes, il n’a été libéré qu’en 2015 et n’a pu se rendre en Israël (dont il était devenu citoyen) qu’en 2020.

C’est ce qui vient de se passer en Espagne, pays allié des États-Unis qui y possèdent des bases militaires permanentes et qui est très impliqué dans l’OTAN.

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Madrid vient d’expulser discrètement trois « diplomates » américains et aurait demandé qu'un quatrième quitte également l'Espagne. Pour le détail, Washington a rappelé ses ressortissants avant que l’ordre d’expulsion ne soit transmis. Cela fait moins « désordre ».

Il leur est reproché d’avoir recruté  deux agents du Centre national de renseignement (Centro Nacional de Inteligencia, CNI), qui relève du ministère de la Défense. Les expulsions ont été effectuées à la suite de la protestation officielle du Ministère de la défense dont dépend le CNI.

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Les officiers de renseignement US occupaient un poste officiel au sein de la représentation diplomatique américaine en Espagne et étaient accrédités en tant que tels par les services de renseignement espagnols. Il n’a pas été dit quelles étaient leurs fonctions exactes et de quel organisme de renseignement ils dépendaient (il y en a 17). Logiquement, étant donnée la nature des « cibles », il y a des chances que certains appartenaient à la « station » (poste) de la CIA avec, en deuxième option, le bureau de l’Attaché de défense qui a aussi une mission de renseignement (Defense Intelligence Agency - DIA -).

Les « diplomates » américains avaient toute liberté de se déplacer sur le territoire espagnol et pour rencontrer d'autres professionnels. Pour le moment, Madrid boude et refuse d’accréditer des remplaçants aux diplomates évincés.

En effet, ces officiers auraient profité de leur liberté pour recruter deux membres du CNI et, au moins à une occasion, pour leur verser une rémunération en échange d'informations classifiées. C’est le summum du « succès » en matière de renseignement humain : échanger des renseignements secrets auprès d’un membre de services étrangers (même « alliés ») contre un paiement si possible accompagné d’un reçu signé, ce qui est un « must ». La source est alors « coincée » car si le temps passant, elle commence à se montrer rétive, cet échange constitue un moyen de pression considérable. Les esthètes vont jusqu’à immortaliser ce moment photographiquement.

Pour Madrid la question qui se pose en matière de renseignement est : « qu’est-ce que les Américains doivent payer si nous leur donnons tout ce qu’ils demandent ? ». La réponse est simple : pour un service de renseignement – américain ou autre -, recruter un « collègue » même d’un pays ami est un bon point. Peu importe ce qu’il a à raconter. De plus, comme la confiance n’est jamais la règle, cela permet de vérifier si les « fournitures » officielles du « service ami » sont bien complètes (la paranoïa au sein des services est la règle).

Parmi ces deux agents espagnols recrutés, il avait un « chef de zone » ayant trente ans de service. En outre, il était considéré comme un fonctionnaire précieux en raison de sa grande expérience professionnelle.

Pendant les années de pandémie COVID 19, il aurait bénéficié d’un congé pendant lequel il avait travaillé pour une entreprise américaine. Après son arrestation fin septembre, il a été placé en détention. Il est toujours détenu à la prison d'Estremera à Madrid qui est réservée aux membres des forces de sécurité qui purgent une peine ou sont en détention provisoire.

Le deuxième Espagnol recruté était un de ses adjoints avec lequel il entretenait des liens d'amitié. Ce dernier était le propriétaire d’entreprises privées lucratives mais cela lui aurait donné le goût d’avoir un niveau de vie élevé. Il est actuellement en liberté surveillée.

Les Américains savent jouer sur tous les archi-connus leviers du célèbre acronyme MICE (monnaie, idéologie, compromission, ego) : ils sont par définition des « amis » en tant que leaders du monde occidental, ils rémunèrent correctement les services rendus utilisant tous les intermédiaires nécessaires (universités, centres d’études, etc.) et savent flatter l’ego de chacun. La compromission n’est qu’un élément de sécurité car ils ne font pas travailler sous la contrainte qui peut s’avérer contre-productive. 

Cette affaire aurait été découverte cet été suite à une enquête interne du CNI lui-même car des « conduites irrégulières » pouvant être une cause d'infraction avaient été mise à jour. La directrice des services secrets, Esperanza Casteleiro avait demandé à la justice d’ouvrir une enquête et l'affaire est actuellement entre les mains des tribunaux de la Plaza de Castilla (Madrid).

En 2007, Roberto Flórez, un ancien officier du CNI ayant été accusé d’avoir transmis des informations confidentielles à la Russie, ce qui lui avait valu le surnom de « taupe du Kremlin ». Bien que le transfert des renseignements ne pu être formellement prouvé lors de son procès, il avait été condamné à douze ans de prison pour « crime de trahison ».

La ministre espagnole de la Défense, Margarita Robles, a convoqué, Julissa Reynoso, l’ambassadrice des États-Unis à Madrid pour lui demander des explications… De son côté, le chef de la diplomatie espagnole, José Manuel Albares, a fait de même pour lui faire part du « mécontentement » de son gouvernement.

La réponse de l’ambassadrice a été qu’elle « ne savait rien » et que l’affaire avait débuté sous l’ère de l’administration Trump… 

Et ce n’est pas nouveau

En 1986, huit officiers de la CIA avaient été expulsés d’Espagne pour avoir espionné le vice-président du gouvernement, Alfonso Guerra.

Pour mémoire, en février 1995 cinq Américains accusés d'espionnage pour le compte de la CIA avaient été priés de quitter la France.

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