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Reinhart et Rogoff, les inspirateurs des politiques d’austérité pensent que cette crise est radicalement nouvelle... mais se trompent-ils moins qu’auparavant ?
©SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Cette fois-ci, c’est différent

Dans une étude publiée en 2010, la population avait l’illusion que les crises étaient toujours différentes.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico.fr :  Après une publication d’une étude économique en 2010, les économistes Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff avaient déclenché une vive polémique en admettant plusieurs erreurs de calcul dans les rapports dettes publiques / PIB. 

Quel a été l’impact de cette étude ? Comment une telle erreur a-t-elle pu se produire ? Quelles en ont été les conséquences ? 

Michel Ruimy : En 2010, les pays sortaient tout juste de la crise des subprimes et, en zone euro, où des critères de finances publiques doit, en théorie, permettre aux Etats-membres de bien gérer leur endettement, débutait la crise des dettes souveraines. A cette époque, le taux d’endettement explosait dans une myriade de pays. C’est dans ce contexte que les deux économistes de Harvard, Reinhart et Rogoff, ancien chef économiste du FMI entre 2001 et 2003, avaient conclu, dans leur étude, qu’une dette publique supérieure à 90% du PIB aboutissait, en moyenne, à un taux de croissance légèrement négatif (-0,1%) dans les pays concernés. 

La conclusion des travaux des deux universitaires américains a fait polémique car elle a servi de référence aux politiques visant à défendre les politiques d’austérité. Elle a renforcé le camp des partisans de la rigueur. Le Commissaire européen aux Affaires économiques, Olli Rehn, a même utilisé ce texte pour encourager les pays en difficultés de la zone euro à prendre le chemin de l’austérité. 

Ce résultat a été, par la suite, contesté. Des économistes de l’Université d'Amherst (États-Unis), Herndon, Ash, Pollin ont repris leurs calculs et ont réfuté le lien de causalité entre endettement élevé et croissance négative. Selon eux, une dette publique de plus de 90% du PIB aboutit à un taux de croissance de +2,2% et non de -0,1%. Résultat opposé ! Deux chercheurs français, Minea et Parent, vont dans le sens de Reinhart et Rogoff mais établissent que le ratio Endettement public / PIB commence à avoir un impact négatif sur la croissance à partir de 115% et non 90%. 

Dans leur nouvelle étude corrigée, Reinhart et Rogoff concluent désormais à une croissance comprise entre 1,8% et 2,8% lorsque la dette dépasse le seuil de 90% du PIB. Il n’est donc plus question de récession et un taux d’endettement élevé ne présente pas systématiquement un caractère nocif pour la croissance. 

Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui, le seuil de 90% fait désormais figure de règle dans les débats de politique budgétaire et que l’accroissement de la dette publique peut hypothéquer les perspectives de croissance.

Les deux économistes admettent aujourd’hui que la crise sanitaire que nous traversons est radicalement différente de tout ce que nous avons connu jusqu’à présent. Se trompent-ils à nouveau ?

Depuis le début des années 1990, plusieurs crises sanitaires majeures ont marqué les esprits : celle du sang contaminé et celle de la « vache folle » en sont des exemples significatifs. À la différence de la peste ou encore de la grippe espagnole du début du siècle dernier, ces crises se caractérisent par la réunion de trois éléments : une origine très incertaine au début (à cette époque aucun traitement contre le sida n’était connu, et le risque encouru par la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob était inconnu), un retentissement médiatique sans précédent ensuite et une déstabilisation complète des systèmes institutionnels de gestion sanitaire enfin.

La spécificité de la crise du coronavirus réside en son caractère universel même si certains territoires sont davantage touchés que d’autres. Aucun statut ne permet d’y échapper et de nombreuses célébrités, souvent considérées comme des nantis, ont été infectées par le virus (Tom Hanks, Boris Johnson, le Prince Charles…), certaines ayant perdu la vie (Manu Dibango, Pape Diouf, Patrick Devedjian…), la majorité subissant une situation de confinement. 

En fait, cette crise est la première « guerre » mondiale de l’humanité. En ce sens, elle est bien différente des autres. En effet, si on compare la période actuelle aux grands drames du passé : les pandémies, les guerres mondiales qui n’étaient d’ailleurs pas tout à fait mondiales, l’humanité craint, pour la première fois, la même chose, en même temps. C’est un traumatisme collectif sans précédent. A la différence des autres, une des caractéristiques de la crise que nous traversons est que ce n’est pas l’économie qui décide, mais le virus.

Comment pouvons-nous imaginer l’avenir économique de l’Europe si l’analyse des économistes Reinhart et Rogoff, bien qu’américano-centrée, s’avérait exact ?

Avec la pandémie du coronavirus, le questionnement sur l’Europe est devenu réellement existentiel. Le Covid-19 agit comme un stress test. Il révèle l’égoïsme des Etats membres. L’Europe s’est montré dispersée, peu solidaire, chaque Etat choisissant sa version d’un confinement plus ou moins strict, d’un déconfinement plus ou moins rapide. La crise a mis l’accent sur des défaillances des systèmes de santé nationaux et sur le manque de compétence de l’Union européenne (UE) pour répondre à ces défaillances. De plus, le Conseil européen du 26 mars a mis en lumière la désunion, avec le retour du clash entre le Nord et le Sud du continent.

Notons toutefois que les institutions européennes ont fait preuve d’une capacité d’adaptation inaccoutumée. Si elles n’ont pas les marges de manœuvre dignes d’un État fédéral, elles ont réagi de manière assez honorable, surtout en regardant en arrière, lors de la crise des dettes souveraines de la zone euro, où les positions entre Nord et Sud de l’Europe étaient encore plus irréconciliables.

Les actions politiques, économiques, sociales et sanitaires de l’UE en réponse à cette crise sans précédent montrent que le niveau européen est pertinent et nécessaire pour relever des défis mondiaux aussi graves. Des mesures importantes ont déjà été prises ou annoncées par les institutions de l’UE, en particulier la Commission européenne et la Banque centrale européenne.

Le programme de travail de l’Europe devrait être chargé dans les mois qui viennent. Cela va engendrer, comme d’habitude, des débats, des controverses, des oppositions. Toutefois, une telle adaptation ne suffira pas à l’avenir. L’Union européenne devra vraiment consolider ses politiques publiques, en particulier dans le domaine de la santé, tout en affirmant sa défense de l’État de droit, de plus en plus bafoué en Europe centrale, où la Pologne et la Hongrie profitent de la crise sanitaire pour le grignoter encore plus.

Nous sommes dans une situation de « quitte ou double ». La crise du Covid-19 est une épreuve décisive pour l’Union européenne. « L’Europe se fera dans les crises. Elle sera la somme des solutions apportées à ces crises » écrivait Jean Monnet dans ses Mémoires. A l’heure où l’Union Européenne vit sa plus grande crise sanitaire, il sera intéressant de voir si, à long terme, cette maxime d’un des pères de la Communauté européenne se vérifie.

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