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Carlos Ghosn : garde à vue prolongée, le dossier s’alourdit... mais les questions restent sans réponse
©KAZUHIRO NOGI / AFP

Business

​L’affaire Carlos Ghosn devient invraisemblable. L’un des plus grands patrons du monde est en garde à vue prolongée jusqu'au 10 décembre, parce que soupçonné de graves malversations fiscales et sociales sans qu’on ait la moindre information précise.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La garde à vue de Carlos Ghosn a donc été prolongée de 10 jours à la demande du parquet de Tokyo. Dix jours supplémentaires. Le juge a accepté. Arrêté le 19 novembre, M. Ghosn va donc rester donc en détention jusqu’au 10 décembre, soit vingt-deux jours au total, le maximum permis par la législation nippone.Le 10 décembre, il pourra alors soit être libéré sans charge, soit être mis à nouveauen garde à vue, soit inculpé. Dans ce cas, deux hypothèses : ou bien il est incarcéré en attendant un procès, ou libéré sous caution. Au même moment ou presque, la gouvernance franco-japonaise de l’alliance Renault-Nissan s’est réunie hier à Amsterdam, siège officiel de l'alliance, comme tous les mois, mais rien n’a filtré. Ni du côté français qui préside l’alliance, ni du côtéjaponais.

Ce qui est assez extravaguant dans cette affaire, c’est que depuis l’arrestation spectaculaire de Carlos Ghosn arrêté au petit matin par la police du Japon à son arrivée à l’aéroport de Tokyo il y a plus de quinze jours, on ne sait rien. Les bruits et les rumeurs l’accablent de turpitudes financières, qui, si elles étaient avérées, seraient évidemment inexcusables. Mais ce ne sont que des bruits et rumeurs, à moins qu’elles ne soient alimentées par des fuites du dossier dument organisées. 

Depuis, le président de Renault, ex- patron de l’alliance Renault-Nissan, est détenu sans qu’on sache exactementpourquoi, dans quelles conditions et à quelles fins.

Or dans cette affaire, la France et le Japon étaient liés au plus haut niveau. La France comme le Japon sont des Etats de droit, démocratiques, où le pouvoir judiciaire est indépendant certes, mais respectueux des règles et des lois qui protègent les justiciables.

Cette affaire soulève une série de questions sans réponse, et sans que ça émeuve à priori, qui que ce soit en France ou au Japon.

Première question (sans réponse) : que reproche-t-on exactement à Carlos Ghosn ? La rumeur de source japonaise indique qu’il serait coupable de fraude fiscale d’une part et d’abus de bien social. Ou plutôt qu’il aurait utilisé des actifs de Nissan à des fins personnelles, utilisés ou détournés via des montages financiers très sophistiqués mais incompréhensibles pour le commun des mortels...  Donc, le PDG de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi Motors serait soupçonné d’avoir minimisé ses revenus chez Nissan d’un milliard de yens par an (ce qui représente 7,7 millions d’euros) sur la période d’avril 2010 à mars 2015, dans des documents publics remis par la société aux autorités financières nipponnes. Ajoutons à cela que, selon une source proche du dossier interrogée par l’Agence France-Presse, l’enquête montre que cette situation a débuté dès 2009 et perdurait encore l’an dernier. Les investigations pourraient donc théoriquement être étendues à d’autres années, ou bien à d’autres motifs. On lui reprocherait aussi d’avoir acheté des maisons un peu partout dans le monde avec l’argent de Nissan, et d’avoir salarié fictivement des membres de sa famille. Tout ce qui se dit ou s’écrit n’est absolument pas vérifié. L’enquête est en cours dit-on, elle porte sur des faits extrêmement graves... Selon le DG de Nissan, celui-là même qu'avait nommé Carlos Ghosn, cette affaire serait le résultat d’une longue enquête de six mois à l’intérieur de Nissan, en lien avec le ministère japonais du budget, qui, s’il dit vrai, doit y avoir quelques documents et quelques faits chiffrés.

Le cabinet international d’audit EY, qui était chargé d’auditer les comptes de Nissan, aurait émis à plusieurs reprises des doutes sur les transactions immobilières qui sont actuellement au cœur des accusations de fraudes financières sur les actifs Nissan, mais le constructeur japonais lui a toujours assuré que tout avait été fait dans les règles. EY, basé à Tokyo, aurait notamment demandé à la direction de Nissan si l'entité néerlandaise Zia Capital BVP, qui a acheté les résidences à l'étranger pour Carlos Ghosn, exerçait son activité conformément à son statut affiché de société d'investissement. Le constructeur aurait répondu que c'était bien le cas. Les médias japonais affirment que le montant de ces transactions immobilières a dépassé les 2 milliards de yens (15,5 millions d'euros).

Autre questionnement portant sur le traitement fiscal des plus values sur option qui paraissait très favorable à Carlos Ghosn. Nissan aurait toujours affirmé que tout était en règle.

 Le cabinet EY ne confirme ou n’infirme aucune de ces informations. Ni les questions, ni les réponses.  Tout est possible. La vraie question serait de savoir qui, chez Nissan, a depuis si longtemps assuré les auditeurs que tout était en règle. Il y a évidemment derrière ce débat un enjeu de responsabilité.

Deuxième question (sansréponse) : Comment se fait- il que personne en France, ni chez Renault, ni à Bercy, ni même à l’Elysée, n’ait aucune information ? Ou alors si les autorités françaises ont des informations, pour quelles raisons se taisent-ils ? Ce black out aussi est invraisemblable. Renault est le principal actionnaire de Nissan. L’Etat français est le principal actionnaire de Renault, et ni Renault, ni l’Etat n’aurait été au courant que les dirigeants de la filiale japonaise menaient en cachette une enquête sur le grand patron, pendant six mois. Et personne n’a cru bon d’informer les autorités françaises.

Cette absence de transparence pose un sérieux problème de contre pouvoir au sein de la direction de Renault, de l’alliance et de Nissan. A la limite, on peut même se demander ce qu'ont fait les services de renseignement français. Parce que Carlos Ghosn était quand même classé "personnalité sensible", il était donc très protégé, partout, dans sa vie professionnelle et personnelle. Ne soyons pas naïf, le devoir de protéger une personnalité donne aussi tous les moyens de le surveiller. En dépit de tous les pouvoirs que sa responsabilité lui donnait, Carlos Ghosn n’était pas un homme libre de ses mouvements.

Il y a des services en France, ou des agents qui doivent savoir ce qui s’est passé. Forcément.

Troisième question : quel est véritablement l’enjeu porté par la mise à l’écart de Carlos Ghosn ? C’est une vraie question. Le scénario du complot qui aurait été monté par les Japonais pour écarter Carlos Ghosn, parce qu‘il préparait la fusion entre Renault et Nissan, alors que les Japonais (le clan japonais) ne voulaient pas abandonner un fleuron de leur industrie à des mains étrangères. Ce scénario est évidemment imaginable, mais il a du mal à tenir la route, parce qu’il n’existe pas d’alternative crédible à l’alliance entre Renault et Nissan dans l’état actuel du marché mondial de l’automobile. On ne peut pas imaginer que les dirigeants japonais de Nissan, ceux là même qui ont travaillé avec Carlos Ghosn depuis dix ans, ignoraient l’interpénétration entre les deux groupes. Pas d’alternative possible, sauf à prendre le risque d’asphyxier le groupe. Ce qui peut se passer si l’alliance n’a plus de stratégie.

C’est apparemment le point où le ministre de l’économie reste le plus vigilant : garder le pouvoir de l’alliance pour préserver le potentiel. Mais officiellement, c’est le seul point où la France paraît vouloir porter le fer.

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