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Cancer : l’alimentation joue effectivement un rôle sur la rapidité de son développement
©Reuters

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Selon plusieurs études, l'alimentation a effectivement un impact sur le développement des cancers.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Le journal scientifique Nature vient de publier une étude sur l'asparagine, acide aminé notamment présent dans l'asperge, mais aussi dans les fruits de mer, la viande ou les légumineuses, montrant que ces aliments pouvaient "faciliter" la progression du cancer du sein. En quoi la consommation d'un de ces aliments peut-elle être nocive ?

Stéphane Gayet : La connaissance des impacts de notre alimentation sur la cancérogénèse progresse régulièrement. Tout ce qui pénètre dans notre organisme par voie orale – mais aussi par voie nasale, bien sûr – a des répercussions plus ou moins importantes sur notre vie. On s’est longtemps focalisé sur les agents infectieux, car les conséquences de leur pénétration sont à la fois beaucoup plus visibles à court terme et généralement plus faciles à étudier. Si certaines bactéries potentiellement pathogènes restent un sujet de forte préoccupation, les plus redoutables de nos ennemis microscopiques sont aujourd’hui, d’un côté les agents infectieux ultra petits comme les virus et les prions, de l’autre les substances chimiques toxiques ou potentiellement néfastes dont l’étude est sans fin.

Au sujet des substances chimiques pouvant jouer un rôle dans le développement de cancers, on a jusqu’à présent surtout étudié celles qui pouvaient favoriser le processus cancérogène sensu stricto, c’est-à-dire l’initialisation de la formation d’un cancer microscopique. Car cette étape primordiale qui fait passer une cellule de l’état dit « normal » à l’état de cellule « monstrueuse anormale » (cellule cancéreuse) paraît tout à fait essentielle. En réalité, le processus de transformation cancéreuse d’une cellule est un phénomène très lent, particulièrement progressif ainsi que multifactoriel. En d’autres termes, la dégénérescence maligne d’une cellule - puis de sa descendance - est un processus extrêmement graduel et long.

On distingue en principe trois grades de 1 à 3 en matière de cellules dites cancéreuses ou malignes. Le grade 0 correspond à une cellule normale, le grade 1 à une cellule cancéreuse peu agressive et le grade 3 à une cellule cancéreuse très agressive qui a tendance à envahir et détruire les tissus voisins ainsi qu’à donner des métastases à distance. Le grade 2 est évidemment un état intermédiaire. Mais ces trois grades restent schématiques, ce sont des points de repère cytologiques. La réalité est qu’il existe un gradient très progressif depuis le grade 0 jusqu’au grade 3, et déjà entre le grade 0 et le grade 1. Or, on estime que chacun de nous – cela d’autant plus qu’il avance en âge – a de temps à autre une velléité de cancer, mais qui avorte grâce à tout un ensemble de mécanismes de régulation, dont l’action de notre système immunitaire.

Les protéines sont les molécules de base qui constituent - avec les glucides et les lipides - la matière vivante (protéines de structure). Elles jouent également un rôle capital dans la régulation des réactions biologiques (protéines enzymes). Les protéines sont elles-mêmes constituées de chaînes d’acides aminés. Les différents acides aminés qui forment les protéines du monde vivant ne sont pas très variés : il en existe une vingtaine de différents. Parmi eux, certains sont appelés essentiels, car notre organisme n’est pas en mesure de les synthétiser : l’alimentation doit impérativement les apporter en quantité suffisante. Les autres ne sont pas essentiels, car notre organisme peut les fabriquer. L’asparagine fait partie du deuxième groupe. A propos de l’asparagine, il faut surtout se garder de tomber dans le simplisme : si elle doit bien son nom au fait qu’elle a été découverte dans l’asperge, elle est en fait présente à concentration variable dans de nombreux aliments et pour cause : c’est un acide aminé.

Alors, que nous apprend l’étude citée en référence ? : une étude scientifique extrêmement rigoureuse et publiée dans une revue prestigieuse (revue « Nature ») a montré que l’asparagine avait une influence sur laprogression du cancer mammaire chez la souris. L’expérimentation a porté sur des souris déjà atteintes d’une forme grave de cancer mammaire (grade 3). L’hypothèse de travail était la suivante : certaines cellules cancéreuses – dont celles du cancer du sein – ont un besoin vital d’asparagine pour proliférer. Or, il existe deux moyens de réduire la quantité d’asparagine disponible pour l’organisme et donc pour les cellules cancéreuses qui s’y trouvent : premièrement, adopter un régime pauvre en asparagine (mais c’est difficile, car cet acide aminé est bien sûr très répandu) ; deuxièmement, recevoir un traitement à base d’une protéine enzyme qui détruit l’asparagine, à savoir l’asparaginase. Ce n’est pas une idée neuve : dans un article publié dans la revue scientifique « La recherche » en octobre 1980, on pouvait déjà lire « Un traitement par l'asparaginase, éliminant l'asparagine, aura un effet sur les cellules malignes… ». Or, l’étude citée en référence a bel et bien montré que, lorsque des souris déjà cancéreuses – ce point est très important – sont soumises à un régime pauvre en asparagine ou bien reçoivent de l’asparaginase, leur cancer n’évoluait que très peu, alors que spontanément il les tuait en quelques semaines avec un envahissement métastatique implacable de plusieurs organes.

Attention : il ne s’agit en aucun cas d’en déduire que la consommation d’asparagine pourrait favoriser le cancer du sein, car ce n’est pas ce qu’a montré cette étude. Elle a simplement montré qu’en présence d’une forme grave (grade 3) de cancer mammaire chez la souris, la privation d’asparagine en ralentissait de façon très nette le développement et l’envahissement.

Les modes nutritionnels des patients peuvent-ils donc influencer la progression du cancer ?

Les auteurs de cette étude scientifique pleine d’intérêt, ainsi que les autres scientifiques qui en relayent les résultats, insistent sur le fait que l’on ne peut pas - à ce stade - en tirer d’enseignement permettant d’adapter le régime alimentaire de tout un chacun. Il ne faut prendre cette information que comme un résultat de recherche porteur d’espoir. L’an passé, d’autres chercheurs de l’université de Glasgow avaient déjà montré que la privation d’autres acides aminés – à savoir la sérine et la glycine –ralentissait le développement de lymphomes malins et de cancers du côlon-rectum.

Or, tout comme l’asparagine, la sérine et la glycine sont elles aussi des acides aminés non essentiels. Ces découvertes viennent nous rappeler qu’une cellule cancéreuse est d’abord et avant tout une cellule profondément anormale, déviante et qui plus est monstrueuse. Elle n’a ni les mêmes besoins que les autres cellules dites « normales », ni les mêmes possibilités. C’est un monstre destructeur, mais ce monstre a quelques tendons d’Achille. En particulier, certaines cellules malignes sont devenues dépendantes de telle ou telle molécule dont les cellules dites « normales » ne sont pas dépendantes. C’est notamment le cas d’acides aminés pourtant non essentiels, comme l’asparagine, la sérine et la glycine. D’où l’idée – en présence d’un cancer avéré - de priver l’organisme entier de ces molécules de façon à affaiblir les cellules cancéreuses.

C’est cette même idée que l’on retrouve dans la conception du régime dit « cétogène » : ce régime proposé par certains courants de pensée consiste à priver l’organisme de glucose, au motif que certaines cellules cancéreuses en ont un besoin vital, incapables qu’elles sont d’utiliser une autre source d’énergie (car le glucose et l’oxygène sont nos deux principales sources d’énergie). Alors que les cellules dites « normales » peuvent en cas de besoin utiliser d’autres sources d’énergie, comme les « corps cétoniques » (expression consacrée par l’usage, mais impropre). Le régime cétogène est pauvre en glucides et donc riche en protides et en lipides. Le manque d’apport de glucose qu’il constitue est compensé par une voie métabolique palliative : la cétogénèse, qui produit des corps cétoniques. Soyons bien clair : nous ne sommes pas en train de recommander ce régime, nous ne faisons que le décrire.

Dans quelle mesure cette étude ouvre des perspec​tives intéressantes dans la lutte contre le cancer ?

Toujours est-il que les impacts de la nutrition sur la progression de certains cancers sont avérés. Mais ils sont fort complexes et encore très insuffisamment connus. Cette étude récente, citée en référence, vient en compléter d’autres sur le même sujet. Il faut voir ces découvertes comme porteuses de réels espoirs de possibilités thérapeutiques – encore à venir -  sélectives et non agressives pour combattre les cancers.

Ce qu’il faut retenir, c’est que la cellule cancéreuse est un colosse aux pieds d’argile. D’un côté, elle est capable d’envahir et de détruire tout ce qui se trouve en face d’elle – du moins pour les cellules malignes de grade 2 et surtout 3 -, de l’autre, elle est vulnérable sur certains points très précis. En particulier, on a réussi à bien montrer que certaines cellules cancéreuses étaient strictement dépendantes de telle ou telle molécule dont les autres cellules du corps pouvaient se passer. D’où l’idée de priver le corps de cette ou ces molécules ou bien de détruire cette ou ces dernières grâce à des enzymes spécifiques.

C’est donc une porte ouverte vers un champ thérapeutique porteur de réels espoirs, car radicalement différent des traitements cytostatiques – les médicaments anticancéreux qui s’opposent aux divisions cellulaires, mais qui ont des répercussions plus ou moins sévères sur tout notre corps (pertes de cheveux et de poils, lésions de la muqueuse buccale, troubles digestifs, perturbations hématologiques, etc.). C’est en fin de compte une avancée très prometteuse.

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