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Cameron, sa bite et son cochon : et au fait en France, à quoi jouent les élites dans leur jeunesse pour mieux se tenir la barbichette
©Reuters

Pig gate

En Angleterre, les frasques d'un jeune David Cameron ont provoqué un scandale mettant en lumière les pratiques des fraternités qui, pour assurer une certaine loyauté parmi leurs pairs, se lancent dans des soirées d'initiations douteuses.

William Genieys

William Genieys

William Genieys est politologue et sociologue. Il est directeur de recherche CNRS à Science-Po.

Il est l'auteur de Sociologie politique des élites (Armand Colin, 2011), de L'élite politique de l'Etat (Les Presses de Science Po, 2008) et de The new custodians of the State : programmatic elites in french society (Transaction publishers, 2010). William Genieys est l’auteur de Gouverner à l’abri des regards. Les ressorts caché de la réussite de l’Obamacare (Presses de Sciences Po [septembre 2020])

Il a reçu le prix d’Excellence Scientifique de la Fondation Mattéi Dogan et  Association Française de Science Politique 2013.

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Atlantico : Le scandale de David Cameron a mis en lumière le rôle des fraternités dans la construction des liens qui unissent les élites outre-manche, parfois bien après les années d'études. L’affaire Cameron révèle-t-elle des pratiques élitistes singulières ?

William Genieys : Les Universités anglo-américaines, tout comme leur société, ont un réel penchant pour les sociétés sécrètes et les clubs sociaux en tout genre. C’est d’abord un moyen de faire valoir une appartenance à un groupe social qui est particulièrement prisé dans ces pays. C’est également un moyen d’intégrer un réseau qui commence avec la vie étudiante et pourra se prolonger ensuite dans l’espace professionnel.

Toutefois, comme les sociétés secrètes par nature contrôlent l’information, il est difficile de savoir réellement ce qui s’y passe. Il est fort probable que certaines ‘parties’ soient le lieu d'excès où l’alcool et la drogue joue un rôle central dans la désinhibition des participants. L’excellent livre de Stéphanie Gousset-Charrière sur les ‘Final Clubs’ de l’Université d’Harvard, fondé sur une enquête de terrain avait permis de voir comment ces sociétés secrètes de 20 à 40 personnes régissaient la vie sur le campus de cette grande université américaine. L’apprentissage du secret et de la pratique du réseau est quasiment un art qui rend encore plus élitiste la formation universitaire.

Le paradoxe de cette histoire, c’est que le plus grand et le plus ouvert des réseaux du monde globalisé, Facebook avec ces 1,49 milliard d’utilisateurs, est né d’une commande d’un de ces finals clubs ! Marc Zucherberg s’est affranchi du secret pour s’ouvrir la voie du succès qu’on lui connait comme le montre magistralement le film ‘Social network’ de David Fincher.

En France, de telles organisations n'existant pas, qu'est-ce qui les remplace ? Où les futures élites nouent-elles des liens entre elles ? Comment se construisent - très tôt ?-  les réseaux de ce côté de la Manche ?

En France, les universités avec leurs collèges fermés de 200 à 300 étudiants vivant en vase clos durant leur scolarité n’existent pas. Il suffit d’avoir visité une fois un collège de l’Université d’Oxford et de s’être assis sur un des bancs qui se trouve dans les alcôves séparant les bâtiments pour comprendre que la culture du secret est même ancrée au sein de l’architecture.

En France, le système est très différent car il y a d’un côté l’Université massifiée et de l’autre les grandes écoles. Pour l’Université, l’absence de réel campus conjugué avec le grand nombre d’étudiants, fait que le secret et la formation de petits groupes susceptibles de fonctionner au secret et de générer un réseau passe par le canal des associations d’étudiants, historiquement les ‘Corpos’.

Depuis mai 68 et avec la ‘démocratisation’ des universités, ce sont les syndicats étudiants majoritairement de gauche comme l’UNEF qui ont joué ce rôle et dans une moindre mesure l’UNI et le GUD pour la droite dure. Par contre, secrets et réseaux y tiennent un rôle notamment grâce à des structures telles que l’Organisation Communiste Internationaliste (OCI) d’où sont sorties bon nombre de dirigeants du parti socialiste (Jospin, Cambadélis).

Pour les grandes écoles, si on prend le cas de l’ENA le faible nombre ‘d’élèves’ (80 par promotion de deux ans) favorise le développement de réseau. L’arrivé au sommet de l’Etat de membre éminent de la célèbre promotion ‘Voltaire’ en constitue la manifestation la plus flagrante.

Une fois les études terminées, comment ces élites entretiennent-elles les liens qui les unissaient pendant leur scolarité ? Quels sont les choix professionnels privilégiés pour accéder / conserver le pouvoir ?

Bien sûr les différentes loges de la Franc-maçonnerie française doivent faire leur ‘marché’ en cooptant des ‘frères’ à la sortie de ces écoles. Néanmoins, il faut faire attention à ne pas voir là-dedans la formation d’une main invisible au service de réseaux toujours gagnants dans la défense de leurs intérêts.

Je pense plutôt qu'après les grandes écoles, les étudiants optent pour des carrières professionnelles gagnantes où le rang obtenu au classement de fin d'année agit comme un "booster". Le réseau pas forcément structuré, on peut simplement s'en référer à la réputation attribué à ce classement pour choisir un jeune collaborateur.

Un commentateur étranger avisé qui avait pu comparer le mode de sélection de jeunes candidats (-40 ans) au programme Young Leaders de la French-American Foundation, soulignait que les grandes firmes américaines avaient toujours du mal à choisir leurs jeunes collaborateurs, alors qu'en France il suffit de se fier à un classement. Ce commentateur en avait tiré une formule sur la France: ‘bon un jour, bon pour toujours".

Le choix de la politique semble une voie privilégiée en France lorsqu'il s'agit de conserver du pouvoir, on parle notamment d'un passage obligé dans les cabinets ministérielles. Au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, cette relation entre élite et politique ne va pas d'elle-même. Qu'est-ce qui explique que la politique ait cette importance en France ?

En France, le passage par la politique ou encore l’engagement en politique est important chez les jeunes qui se politisent dès l’Université via le syndicalisme étudiant et qui quelque part se constitue un réseau sur cette base.

Après, il faut bien se rendre compte, même si cela est très compétitif et très dur qu’il y a tout une économie rétribuante qui se construit autour du militantisme politique (assistant parlementaire, permanent associatif, etc.). Dans ce registre, l’accès aux fonctions de ‘permanents’ de la politique est une première étape qui ouvre la voie à de possibles candidatures électorales au nom du parti. La MNEf en son temps et d’autres structures para-politiques ont été le creuset de formation des apprentis à la profession politique.

De l’autre côté, si je peux le dire ainsi, il y a la voie royale pour les membres de la ‘noblesse de l’Etat’. Je pense ici aux élèves des grands écoles qui sont ‘drafté’ tout jeune dans les cabinets ministériels comme chargé de mission ou encore expert et qui après cette expérience construisent leur parcours professionnel à cheval entre la haute administration et les poste de direction du secteur privé en raison des alternances politiques. Mais ce type de trajectoires n’est plus un secret pour personne, c’est la règle.

L'affaire Cameron montre que, parfois, un secret éventé rompt les liens forts entre les membres d'une élite jusqu'à mettre en danger la réputation ou la carrière d'une personne. A-t-on des exemples similaires en France ? 

Là, on voit bien la limite de la pratique du secret et du pouvoir omnipotent de l’élite complotente. Quoiqu’on en pense, si les élites ont des intérêts et des goûts sociaux communs la circulation entre les postes de direction dans le public comme dans le privé sont l’occasion de conflits entre différents réseaux, différents groupes, voire différentes loges maçonniques. Et il est fort probable qu’en période de crise mais également de mondialisation, des règles et les arrangements non écrits entre ces différentes composantes deviennent caduques. D’où les affrontements, les cabales et les ruptures du secret. En France, dans un registre différent, on dit (et on lit) ‘Merci pour ce moment’.

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