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Cabinet noir anti-Sarkozy à l'Elysée : le pouvoir hollandais fait-il pire que la moyenne de ses prédécesseurs ?
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Officines

Selon le journal Valeurs Actuelles, un cabinet noir aurait été mis en place à l’Élysée pour fouiller dans les archives de l'ancien président Nicolas Sarkozy. Une pratique qui s'inscrit dans la longue tradition des officines de la Ve République.

Atlantico : Selon Valeurs Actuelles, qui révèle l'information dans son numéro du 31 octobre, une cellule serait chargée de fouiller dans les archives de l'ancien président de la République. Comment avez-vous procédé pour parvenir à ces révélations ?

Geoffroy Lejeune : Tout est parti d’une enquête que j’ai menée en juillet concernant la « chasse à l’homme » dont était victime Nicolas Sarkozy, menée par certains pour empêcher son retour au pouvoir. Nous évoquions, à l’époque, les attaques dont était victime l’ancien Président de la part de la droite, de la justice, des médias, etc. En enquêtant, j’ai découvert via une source – que je préfère garder secrète - qu’un chef de service de l’Élysée avait été mis au placard pour avoir refusé d’effectuer une recherche dans les archives de la présidence Sarkozy. Ce que nous révélons aujourd’hui.

Quelles ont été vos principales sources ?

Geoffroy Lejeune : A la suite de ce premier article, le chef du service transmissions et informatique, monsieur Bernard Muenkel, m’a envoyé un courrier. Il voulait me remercier et disait le réconfort que lui avait procuré la lecture de son histoire dans Valeurs actuelles. Je l’ai contacté et nous nous sommes rencontrés. A la suite du premier rendez-vous, où il m’a raconté son histoire, j’ai décidé d’enquêter. Nous nous sommes revus deux fois. Avec les pistes qu’il me donnait, je suis allé vérifier auprès des principaux acteurs ce qui était vérifiable. La plupart de mes rendez-vous ont été fructueux, et ont permis de vérifier certaines informations. Une seule source a refusé de répondre à mes questions : la présidence de la République, qui est restée muette sur tous les points que je soulevais, et qui a répondu – par mail – exactement la même chose que dans le communiqué lénifiant qu’elle a publié mercredi midi…

Ce mercredi midi, la présidence française a en effet démenti les informations de Valeurs actuelles : "La présidence de la République n'a fait qu'exécuter les réquisitions adressées par les juges d'instruction et par le Conseil constitutionnel. En aucun cas elle n'est allée au-delà des demandes des juges". Le communiqué ne conteste pas le licenciement de Bernard Muenkel, l'ancien chef du service des télécommunications et de l'informatique de l'Élysée, qui détaille l'affaire à votre magazine. Ce démenti vous paraît-il convaincant ?

Geoffroy Lejeune : Pas le moins du monde ! Si la présidence de la République n’avait rien à se reprocher, elle aurait commencé par répondre sur le fond ! Au lieu de ça, aucune réponse : comme je l’ai dit, nous avions interrogé l’Élysée dans le cadre de notre enquête, qui nous avait apporté exactement les mêmes réponses. L’Élysée invoque des réquisitions judiciaires, mais qu’on nous les montre ! Qui sont les juges ? Quelle était leur requête ? Ont-ils demandé que ces recherches soient poussées jusque dans les archives ? Si c’était le cas, ce serait une première dans l’histoire judiciaire ! car les juges ont le pouvoir de perquisitionner eux-mêmes les archives, sans demander aux collaborateurs du Président de le faire à leur place… Pourquoi Nicolas Sarkozy n’a-t-il jamais été sollicité, alors que le protocole d’archives signé à la fin de son mandat dispose qu’il doit donner son accord pour que soient consultées les archives de sa présidence ? Tant de questions restent sans réponses… et la ministre de la justice, madame Taubira, se livre à un exercice d’enfumage à l’Assemblée nationale !

On se souvient de l'affaire des écoutes téléphoniques sous François Mitterrand ou de l'affaire Clearstream sous Jacques Chirac. La pratique des cabinets noirs n'a-t-elle pas toujours existé ? Dans quelles proportions ?

Geoffroy Lejeune : La question n’est pas tant de savoir si le pouvoir aime confier ses basses œuvres à des cabinets noirs, mais de constater que la Gauche, quand elle gouverne, ne s’embarrasse pas des libertés publiques qu’elle prétend défendre ! En l’espèce, j’aimerais juste apporter une observation : qu’il s’agisse des écoutes de Élysée ou des Irlandais de Vincennes, par exemple, ces affaires, quand la Gauche est au pouvoir, mettent en scène des gendarmes. Comme c’est le cas ici…

Frédéric Charpier : Pour ce qui est de la présidence de François Hollande, j'ignore s'il existe une "cellule" installée à demeure et chargée de contrer un éventuel retour aux affaires de Nicolas Sarkozy ou de mettre à mal Bernard Tapie. En revanche, l'histoire avérée de ces trente dernières années a bien établi qu'au cours des présidences de François Mitterrand et de Jacques Chirac, l’Élysée avait hébergé diverses formes de "cabinets noirs" et recouru à des officines spécialisées, qu'elles aient été totalement parallèles ou intégrées à des organigrammes officiels.

Sous François Mitterrand, une cellule antiterroriste dévoyée a, depuis l’Élysée, couvert les activités d'une incroyable machine à espionner tous ceux qui, d'une façon ou d'une autre, mettaient en danger la présidence. On écoutait et on menait aussi des enquêtes très approfondies. L'entourage de Jacques Chirac n'a pas lésiné non plus. Lui, exploitait davantage des réseaux plus informels directement coiffés par l’Élysée, comprenant des journalistes, des hauts fonctionnaires des RG ou de la DGSE, ou bien des barbouzes spécialisées dans les écoutes ou les filatures. Les chiraquiens se sont particulièrement illustrés par leur présence constante lors des phases successives de l'affaire Clearstream. Ils campent dans la coulisse, de la fabrication des faux listings à la parution de cette incroyable falsification dans un grand hebdomadaire français. Il s'agissait de compromettre Nicolas Sarkozy en lui attribuant de chimériques comptes dans des banques étrangères. Le cabinet noir chiraquien s'est également illustré dans des opérations de flinguage ciblées visant des personnalités politiques aussi diverses qu'Edouard Balladur, François Léotard, Lionel Jospin ou encore Charles Pasqua. Il s'agissait de faire passer l'un pour un homosexuel, l'autre pour un employé de la mafia, le troisième pour le fils d'un grand collabo et le dernier pour un trafiquant d'armes. Il s’agissait de nuire, de salir, de déstabiliser, de compromettre.

Sous la Ve République, cette pratique a-t-elle été quasi-institutionnalisée ? Peut-on aller jusqu'à parler de police politique sous Mitterrand et Chirac ? Comment ces officines fonctionnaient-elle ?

Frédéric Charpier : Pour avoir beaucoup enquêté sur cet objet insolite et méconnu qu'est l'officine politique, indiscutablement, la Ve aura été son âge d'or, qu'il s'agisse de capter des fonds, de compromettre des personnes, de salir des réputations ou d'espionner sans vergogne ses adversaires politiques. Oui, les officines constituent une sorte de « police politique », d’autant que les services officiels renâclent à servir à cet emploi. Leur objet principal est, selon  la formule consacrée, de monter des « dossiers » les plus compromettant possibles. Ainsi s'intéressent-elles avant tout à la vie privée, aux mœurs, aux revenus, au passé ainsi qu'aux fréquentations, de préférence les plus fâcheuses. Les informations délicates ainsi recueillies servent aussi bien à exercer un chantage secret qu’à alimenter une poursuite judiciaire via un envoi discret à un magistrat, que contribuer à des campagnes de presse ou salir une personne lors d'une campagne électorale en recourant aux tracts anonymes.

En matière d’officines, sans doute, les réseaux gaullistes de Jacques Foccart, l'homme des services secrets et de la "France Afrique" ont-ils fourni à la Ve les plus redoutables, d’autant qu’elles ont longtemps bénéficié d’une incroyable impunité. L'une d'elles, le SAC (Service d'action civique), avait une vocation compulsive pour le fichage et les écoutes clandestines, un domaine dans lequel la cellule de l’Élysée, en dépit de son hyper-activisme, ne lui a fait qu'une modeste concurrence. Une des filiales du SAC excellait de son côté dans le chantage sexuel. Elle organisait des soirées galantes dont elle monnayait ensuite les images, car les ébats étaient soigneusement photographiés et filmés.

Sur ce point, la tradition ne s’est pas perdue. Les officines chiraquiennes ont su perpétuer ce goût immodéré de l’indiscrétion. Lionel Jospin et Nicolas Sarkozy ont été ainsi minutieusement épiés. L'un et l'autre avaient sur les talons le directeur central des RG de l'époque, Yves Bertrand (aujourd'hui décédé) qui entretenait des relations avec l’Élysée, où Jacques Chirac avait veillé à le reconduire à son poste en dépit de son exécrable réputation de "fouilleur de poubelles". Yves Bertrand n'affirmait-il pas que "Si la République n’avait pas de concierges […], elle s’écroulerait" ?

Durant l'affaire Clearstream, Nicolas Sarkozy avait violemment condamné ces méthodes. Ont-elles vraiment disparu sous son mandat ?

Geoffroy Lejeune : Je n’étais pas à l’Élysée sous la présidence de Sarkozy, mais il y a une certitude : jamais un journal ou un juge n’a révélé de telles pratiques durant son quinquennat.

Qu'en est-il sous François Hollande ? Va-t-il plus loin que ses prédécesseurs ?

Geoffroy Lejeune : A aucun moment Valeurs actuelles ne vise directement François Hollande, mais ses services, et certains de ses plus proches collaborateurs. Tous les éléments que nous apportons – preuves à l’appui – sont vérifiés. C’est maintenant à la justice de faire la lumière sur cette affaire.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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