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Budget 2015, le verdict de Bruxelles : comment la France a en fait cédé à l’Allemagne sans le dire
©Reuters

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C’est la saison du budget de l’Etat et, une fois de plus, la façon dont se passe l’exercice prétendument démocratique de l’adoption des textes laisse pantois. On voudrait prouver aux Allemands qu’ils ont raison de torpiller les efforts de la BCE pour relancer l’économie qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Les Allemands nous accusent de ne pas vouloir réformer le budget de l’Etat…

Un argument répété en boucle en Allemagne pour dénoncer les revendications budgétaires et monétaires de la France et des pays su sud de l’Europe est de soutenir que nous cherchons tous les prétextes et toutes les solutions de fortune pour ne pas réformer. Pour les Allemands, en opinant du bonnet chaque fois que la BCE maintient des taux de refinancement à des niveaux historiquement bas, les pays qui ne maîtrisent pas leur endettement public reprennent à bon compte une bouffée d’air pur: ils se garantissent un accès à de l’argent frais pour pas cher, alors que la situation réelle de leur économie devrait les obliger à payer très chèrement le recours incessant à la dette pour boucler leurs fins de mois. Ces facilités les poussent à continuer à mener grand train et retardent d’autant les ajustements douloureux.

Les Allemands savent que cette politique de taux bas n’est crédible que grâce à la garantie allemande. Du jour où les marchés anticiperont des difficultés économiques en Allemagne, les taux remonteront mécaniquement, car la BCE devra mieux rémunérer l’épargne pour continuer à l’attirer.

Aussi agaçant que cela puisse être, les Allemands considèrent donc que ces doses de morphine appelées taux bas et « quantitative easing » de la BCE permettent de mourir en douceur, mais sont inefficaces pour soigner le cancer du laxisme budgétaire dont les pays du Sud, et singulièrement la France, souffrent depuis de nombreuses années.

…ils ont raison

Le drame français est d’être juste en position de pouvoir répondre: les Allemands ont raison. Les deux textes budgétaires soumis à l’approbation du Parlement en ce moment en sont la preuve.

Revenons rapidement sur le projet de budget 2015.

Je cite juste quelques phrases d’anthologie tirées du texte présenté aux députés et aux sénateurs:

"Pour l’année 2015, le solde s’améliorerait de 0,1 point de PIB, pour s’établir à – 4,3 % du PIB. L’évolution de l’activité serait de nouveau inférieure à la croissance potentielle, si bien que le solde conjoncturel se dégraderait de 0,1 point. (…)

En 2015, la dépense publique hors crédits d’impôts ralentirait encore avec une croissance s’inscrivant à 1,1 % en valeur, contre plus de 3 % en moyenne entre 2002 et 2012. Ce rythme serait permis par la mise en œuvre des premières mesures du plan d’économies de 50 Md€. En particulier, la cible de progression de l’ONDAM sera de 2,1 % et les dépenses du budget général hors charge de la dette et pensions seront abaissées de 4,2 Md€ par rapport à la loi de finances initiale pour 2014. Au-delà des dépenses placées sous norme, les dépenses seront ralenties par l’accord des partenaires sociaux sur les régimes complémentaires et celui sur l’assurance-chômage, la stabilisation jusqu’en octobre 2015 de certaines prestations sociales, des économies sur le champ de la famille et celles sur les frais de gestion des caisses de sécurité sociale. Sur le champ des administrations publiques locales, les dépenses, notamment de fonctionnement, ralentiraient de nouveau en 2015 à la faveur du cycle électoral, qui entraînerait un nouveau repli de l’investissement local, et de la baisse de 3,7 Md€ des concours financiers prise en compte dans la norme de dépense de l’État."

J’ai souligné ce qui me semblait important, à savoir que le budget en France est établi en fonction d’une « croissance potentielle » et non de la croissance réelle. La croissance potentielle est évidemment très supérieure à la réalité. Grâce à cet optimisme légendaire, on continue en France à bâtir des projets de budget qui évitent des arbitrages douloureux et permettent au pays de vivre la crise selon une sorte de méthode Assimil: apprendre la croissance sans peine.

Résultat: le déficit s’améliorera officiellement de 0,1 point de PIB, c’est-à-dire de 2 milliards€, avec un « ralentissement de la croissance des dépenses publiques ». Celle-ci ne sera que de 1,1%, soit 0,1 point supérieur à la croissance globale du pays. Officiellement, on fait donc des économies, mais en réalité, on présente un budget où la dépense publique continue à augmenter plus vite que l’activité réelle du pays.

L’Etat n’économisera que 400 millions€ en 2015

Dans le grand baratin que la loi de finances pour 2015 nous sert, on lit que les « dépenses du budget général hors charge de la dette et pensions » seront abaissées de 4,2 milliards€. Là encore, la formulation mérite question, puisqu’on voit mal pourquoi l’Etat continue à ne pas comptabiliser la retraite des fonctionnaires dans son budget général.

Mais supposons, voici néanmoins la réalité des chiffres:

Source: PLF 2015

Ce tableau récapitule les postes de dépense du « budget général » pour 2015. Il montre clairement que, sur 4 milliards d’économies annoncées aux citoyens, l’essentiel est supporté par les collectivités locales. L’Etat (ligne 1) ne réalisera que 700 millions d’économies, minorés par l’augmentation (à hauteur de 300 millions€) des dépenses de pensions.

En réalité, l’Etat ne modifie pas son train de vie, et les milliards d’économies annoncées dans un charabia auquel plus personne ne comprend rien ne le concernent pas.

La même blague se produit en 2014

Le même exercice drolatique, consistant à écrire des choses qui ne sont pas, et à faire des choses qu’on n’écrit pas, se produit avec la loi de finances rectificative pour 2014.

Celle-ci ne manque d’ailleurs pas d’inquiéter, puisqu’elle s’ouvre par le tableau ci-dessous, qui récapitule les crédits ouverts en urgence:

Source: PLFR 2015

Les petites guerres menées partout dans le monde par François Hollande coûtent 600 millions€ de plus que prévu, et la France doit 350 millions de plus que prévu à la politique agricole commune. Surtout, il manque 540 millions€ pour payer les salaires des fonctionnaires, et là, curieusement, Bercy ne tonitrue plus sur les grandes réformes qui permettent de baisser les dépenses de l’Etat.

Aujourd’hui, les fonctionnaires sont payés à crédit, et plus personne ne parvient à juguler leur masse salariale. C’est un peu fâcheux, puisque les recettes fiscales ont donné 8,5 milliards€ de moins que prévu.

Le budget de l’Etat 2014 donne raison à l’Allemagne

Pour 2014, si les recettes diminuent de plus de 8 milliards, et les besoins augmentent de 2, Bercy a trouvé une cagnotte pour financer les fins de mois difficiles: la dette à prix cassé permise par les taux écrasés de la BCE!

Voici en effet les « lignes » où Bercy a trouvé de l’argent pour éviter un naufrage absolu et trop voyant au terme de l’excellente gestion 2014:

Source: PLFR 2014

On compte ici trois ministères contributeurs majeurs: la Défense avec 572 millions€ (c’est vrai que l’armée ne sert à rien! et qu’elle n’a supprimé que 25.000 emplois ces dernières années), le Travail avec 216 millions€ (mais c’est pas comme si le gouvernement avait décrété que l’emploi était une priorité), et l’Education Nationale avec 202 millions€ (vu l’utilité relative de l’école…).

Surtout, la cagnotte de Bercy, c’est le 1,6 milliard de charge de la dette, qui diminue grâce aux exploits de M. Draghi.

Autrement dit, sur 3,5 milliards d’efforts supplémentaires pour 2014, la moitié est uniquement portée par la politique accommodante de la BCE, grâce à laquelle on peut éponger le dérapage de la masse salariale de l’Etat.

Et après, on voudrait que Merkel relance l’économie…

Cet article a également été publié sur le blog d'Eric Verhaeghe, Jusqu'ici tout va bien...

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