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Brexit J-15 : après avoir poussé à la roue, l’Europe veut désormais ralentir la cadence
©Tolga AKMEN / AFP

Tu veux ou tu veux pas ?

Le Royaume-Uni s'apprête à quitter l'Union européenne le 31 janvier prochain. L'Europe semble dorénavant inquiète de ratifier un accord qui serait fait à la hâte.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico.fr : Le 9 janvier dernier, les députés britanniques ont donné leur accord sur le texte qui permettra au Royaume-Uni de quitter l'Union Européenne le 31 janvier prochain. Et si, pendant les trois années de crise qui ont précédé ce feu vert, l'Europe faisait pression sur le Royaume-Uni pour un accord rapide, elle apparaît aujourd'hui inquiète de ratifier un accord qui serait fait à la hâte. Pourquoi un tel revirement de situation ? 

Jean-Paul Betbeze : Parce que c’est la promesse de Boris Johnson qui est à l’oeuvre, celle sur laquelle il a été élu – et qui lui a permis de gagner. Il a mené le jeu en se mettant en nette opposition  avec Jeremy Corbyn, qui voulait d’abord un programme très à gauche, avec hausses de salaires et nationalisations, suivi d’un second referendum reprenant la même question que le premier : « Le Royaume-Uni doit-il rester membre de l'Union européenne ou quitter l'Union européenne ? ». Le parti travailliste, en tout cas Jeremy Corbin, mettait l’accent sur le social, la majorité des électeurs sur la question du Brexit.

Donc, sauf grande surprise, Boris Johnson ne demandera pas, fin juin, à bénéficier d’un report d’un ou deux ans pour préciser les conditions techniques de la séparation. Il s’est lui-même lié les mains dans la loi qui est en train de passer et où il a interdit une telle demande. Il continue à avoir l’initiative.

Certes, on ne sait jamais : le diable est toujours dans les détails, qui ne manquent pas. Ainsi, il est aujourd’hui surtout devant la porte. L’Union européenne a en effet indiqué que l’accès aux zone de pêche britanniques était un prérequis pour ouvrir les négociations commerciales. « Vous devez toujours avoir un budget en cas de manque absolu de sens commun, a alors noté Boris Johnson, cela va sans dire - mais je suis très, très, très confiant » !
Donc le « revirement de situation » vient de la réalisation de la promesse johnsonienne, qui entend fonctionner comme un rouleau compresseur, après une large victoire électorale. Nous verrons pour la suite, mais il « a la main ».

Alors que la réflexion autour du Brexit a duré trois ans, en quoi signer un texte concocté rapidement pourrait-il être risqué ?

Risqué parce que le temps passé à discuter lève les questions, les loups, les lacunes. Ensuite, les problèmes non traités ne manqueront pas d’apparaitre. On peut penser que le long accord mutuellement approuvé, entre Royaume Uni et Europe, aura déblayé une bonne part du terrain. Mais on ne sait jamais.

Surtout, l’essentiel sera dans la mise en œuvre pratique de l’accord de séparation, dans les comportements. Les douaniers anglais chargés de surveiller les biens qui arrivent  à « leur » frontière, pour passer par l’Irlande du Nord et arriver en Irlande, donc aller dans le Marché commun, seront-ils efficaces ? Vont-ils bien vérifier les normes réglementaires, sanitaires… qui permettront ensuite leur libre circulation dans les 27 pays ? Leur vigilance ne peut-elle être moindre devant des produits asiatiques, voire britanniques ? 

Il y aura nécessairement des tensions et des conflits ? Comment les arbitrer ? Ceci peut-il conduire à une frontière en dur entre les deux Irlande ?

Outre la « sortie » dans 16 jours, quelles étapes cruciales demeurent ? 

En fait, les mouvements à venir seront cruciaux à observer, pour avertir au plus tôt les autorités politiques et éviter ainsi déconvenues et tensions. On peut ainsi penser que des entreprises pourraient installer des usines filiales dans un pays européen, à charge à elles de compléter le produit, qui deviendrait ainsi « européen ». La question sera celle de la valeur ajoutée proprement européenne, pour mériter le label. En matière de finance, les entités de la City n’auront pas le « passeport européen » leur permettant de déployer partout leurs activités. Elles vont donc s’installer dans un pays de l’Union, mais la question sera alors celle de vérifier les transferts de personnel et d’équipement propres à servir tel ou tel marché. Il est ainsi exclu qu’une « boutique », comme on dit en finance, installée par exemple à Lisbonne avec quelques personnes puisse servir l’union, ou bien que quelques bureaux loués avec des banquiers voyageurs, puissent partout faire des deals. La question sera également de s’assurer que les serveurs informatiques qui gèrent les transactions sont bien sécurisés, à défaut d’être installés en Allemagne ou en France.

En fait, il y aura des étapes, notamment fin 2020, mais l’essentiel sera la surveillance. « Les étapes », ce sera en fait tout le temps. Ce qui est la meilleure façon de renforcer le marché unique, avec plus d’installations importantes, et de calmer les ardeurs de ceux qui rêvent d’être les Singapours du système, pour ne pas dire des passagers clandestins.

On ne mesure pas vraiment ce que Marché commun veut dire, avec ses normes, qui protègent les conditions de vie de ses membres, donc aussi leur emploi. Acheter moins cher, à qualité et sûreté égales, implique que les conditions de production puissent s’adapter chez le producteur local, ou bien il monte en gamme ou bien il importe ! Ce n’est pas pareil, surtout pour l’emploi. Le libre-échange permet le mieux-être, mais à condition de combiner concurrence et surveillance, dans le cadre d’accords qui deviennent de plus en plus complexes. Ils intègrent droit du travail, écologie, droits de propriété notamment. Autrement, c’est perdu. Les Brexiteurs le savent, à nous de montrer que nous aussi. Le libéralisme est toujours exigeant.

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