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Brexit fais moi peur : ce que pourrait coûter au Royaume-Uni le départ de plus d’un million de travailleurs étrangers qualifiés du d’ici à 2022
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All talk and no trousers

Le choix d'un "Hard Brexit" risque de coûter très cher au Royaume-Uni, alors que quelques 5 500 sociétés financières présentes sur le territoire britannique envisageraient de délocaliser.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Plus d'un million de travailleurs étrangers se prépareraient à quitter le Royaume Uni post Brexit, d'ici 2022. Parmi eux, les travailleurs les plus qualifiés seraient les plus concernés, 47% d'entre eux envisageant ce départ. Quelles seraient les conséquences d'un tel choc pour l'économie britannique ? Que peut faire le Royaume pour contrer un tel choc ?

Michel Ruimy : rappelons tout d’abord qu’à la différence du Grexit, où la mise à l’écart de la Grèce de la zone euro (et non de l’Union européenne) pouvait être envisagée comme une sanction envers le pays, il s’agit, dans le cadre du Brexit, d’un départ volontaire de l’Union. Cette erreur de « stratégie politique » se traduit, pour les travailleurs originaires de l’Union européenne (EU), par une grande incertitude quant à leur avenir.
Comme vous l’avez dit, environ la moitié d’entre eux serait prête à partir d’ici 3 à 5 ans. Ceci n’est pas sans conséquence pour l’économie britannique et pourrait même lui être néfaste si les chefs d’entreprise ne remplacent pas les postes vacants. Cet objectif risque d’être difficile à remplir car il semble, à ce jour, que du fait de son choix de sortie, un «  hard Brexit », le Royaume-Uni se voit contraint de durcir les modalités de recrutement international. Déjà, il devient moins attractif. Le nombre de ressortissants européens recherchant du travail au Royaume-Uni, via l’Internet, a reculé de près de 20% depuis janvier 2017, et la livre sterling s’est fortement dépréciée par rapport à l’euro, ce qui dévalue le salaire et rend l’expatriation vers l’Angleterre moins intéressante.
Ce constat est inquiétant car le marché du travail britannique dépend grandement des travailleurs venus de l’Union européenne, notamment dans les secteurs de l’industrie agro-alimentaire et de l’hôtellerie-restauration. Une main d’œuvre souvent jeune et peu qualifiée dont le pays n’est pas en mesure de se passer. Cette situation se révèlerait être un sérieux handicap dans la compétition internationale si la libre circulation des travailleurs est interrompue.
Ainsi, le Brexit, en élargissant la Manche, change complètement la donne. Les employeurs, qui dépendent depuis longtemps de la main d’œuvre européenne, n’ont pas eu jusqu’à présent à être proactifs pour recruter au niveau local. Dans le nouveau contexte, ils vont devoir s’adapter en augmentant probablement les rémunérations pour retenir leurs employés, voire payer des taxes supplémentaires si le gouvernement mettait en place des restrictions à l’embauche des étrangers. Ils devront également recruter parmi d’autres catégories de personnel que les jeunes : les seniors, les femmes sortant de congé maternité… Mais, s’ils pourront recourir parfois à la robotisation pour les emplois à fort potentiel d’automatisation, ceux justement tenus majoritairement par les Européens, ils devront surtout cibler les compétences dont ils ont besoin afin d’éviter une certaine « fuite des cerveaux » ou, afin de pallier cette émigration, faire venir une main d’œuvre qualifiée.

Du point de vue des nationaux, ces départs peuvent-ils être considérés comme une opportunité de trouver un emploi, ou de s'élever dans leur hiérarchie ?

Les départs, s’ils venaient à se confirmer, créeraient de nombreuses opportunités d’embauche … à condition d’être la personne idoine, d’être impliqué dans son travail, etc. Mais surtout à la condition que la situation économique s’améliore ! Car, à terme, ce divorce pourrait déclencher une crise économique et, même, conduire l’économie britannique à une forte récession, caractérisée par des pertes nettes d’emplois, une hausse de l’inflation, une baisse de la confiance des consommateurs, etc., qui risque d’être plus importante que celle enregistrée lors de la crise financière de 2008.
On voit bien que de nombreuses conditions doivent être réunies pour pouvoir observer un retour de l’ascenseur social.

Alors que l'économie de la finance est bouleversée depuis la crise de 2008, dans quelle mesure le Brexit vient il révéler un mouvement plus profond de transformation du secteur financier ? La sur-représentation de la finance dans l'économie britannique était-elle simplement viable ?

Le Royaume-Uni a choisi, depuis bien longtemps, comme modèle de croissance le dynamisme de son secteur financier. Cela a bien marché puisque Londres était devenue une place financière d’envergure mondiale. Aujourd’hui, les craintes d’un « hard Brexit » s’étant précisées, la position de la capitale britannique comme hub financier global pourrait être affectée. Les segments dans lesquels la confiance baisse le plus, sont les sociétés de crédit et les gestionnaires d’actifs. Quelques 5 500 sociétés financières notamment américaines, japonaises, suisses, basées au Royaume-Uni, seraient touchées et beaucoup envisageraient de se relocaliser. Dans un article (Fifth of City revenues could be hit by ‘hard Brexit’ https://www.ft.com/content/72aa537a-7116-11e6-a0c9-1365ce54b926), le Financial Times, estime à 20 % des revenus de la City - près de 9 milliards de livres sterling - qui seraient menacés par un accès restreint au marché unique des services financiers c’est à dire par la perte des droits de « passeport » européen (libre prestation de services). Le directeur de la bourse de Londres affirme, de son côté, que 100 000 emplois pourraient quitter le Royaume-Uni si la City perdait sa capacité à faire des transactions en euro. On voit bien là l’impact du Brexit.
Le Royaume - Uni va-t-il se réinventer ? L’impact négatif du Brexit pourrait le conduire à être encore plus agressif dans le domaine fiscal. En d’autres termes, il pourrait vouloir devenir un « paradis fiscal ». L’objectif serait alors de maintenir la « gentillesse des étrangers » et, dans le domaine financier, de compenser les pertes de la City par un retour massif des fonds spéculatifs, par exemple.
Mais auparavant, il faudra faire le ménage dans plus de 40 ans d’imbrication à l’Union européenne en 2 ans c’est-à-dire réécrire, amender près de 19 000 lois voire combler le vide. C’est un travail législatif titanesque et deux ans, c’est particulièrement court. Dès lors, il faut envisager que le nouveau modèle de croissance du Royaume-Uni pourrait être opérationnel d’ici une quinzaine d’années... si tout se passe bien.

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