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Bras de fer avec les autoroutes : l’Etat engagé dans une course contre la montre pour essayer de sauver la face
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Beaucoup de bruit pour rien ?

Depuis qu’un rapport de l’Autorité de la concurrence a dénoncé en septembre 2014 la rente autoroutière dont bénéficient les sociétés concessionnaires, le gouvernement s’efforce de parvenir à un accord avec ces dernières sur les tarifs des péages et la répartition des profits. Et d'après les contrats de concession, il ne lui reste plus que quelques jours.

Alain Bonnafous

Alain Bonnafous

Alain Bonnafous est Professeur honoraire à l’Université de Lyon et chercheur au Laboratoire d’Economie des Transports dont il a été le premier directeur. Auteur de nombreuses publications, il a été lauréat du « Jules Dupuit Award » de la World Conference on Transport Research (Lisbonne 2010, décerné tous les trois ans).

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Atlantico : Pourquoi cette course contre la montre avant le 31 décembre ?

Alain Bonnafous : Il est prévu depuis plusieurs années que le contrat de concession peut être dénoncé par l’Etat avant le 31 décembre. Si tel n’est pas le cas, l’échéance est reportée à l’année suivante, ce qui implique donc que le contrat dure encore sur toute l’année 2015. Les deux parties peuvent discuter d’avenants au contrat : par exemple, les sociétés peuvent limiter l’augmentation des tarifs aux péages en échange d’un aménagement effectué par l’Etat. Les négociations portent essentiellement sur des travaux non prévus au contrat, ce qui a déjà été le cas sous le gouvernement de François Fillon.

La ministre de l'Ecologie Ségolène Royal s'était prononcée pour "un gel des tarifs des péages" pour 2015, là où les concessionnaires envisageaient une hausse de 0,57% à compter du 1er février, conformément aux contrats qu'ils ont passé avec l'Etat. Quelle est la marge de manœuvre crédible et légale pour l'Etat ?

En réalité tous les éléments du dossier sont "contractuels" et ont fait l’objet de négociations entre l’Etat et les concessionnaires, y compris sous ce quinquennat, c'est-à-dire avec la signature d’un gouvernement socialiste, signature qui est en général validée par le Conseil d’Etat. Tout manquement à cette signature, en particulier pour les péages autorisés, donnerait lieu à un contentieux qui ne pourrait être que perdu par l’Etat.

Il n’y a donc pas de marge de manœuvre là où la signature de l’Etat est engagée. La "manœuvre" consistera donc à faire semblant.

Comment le gouvernement peut-il faire pour sauver la face ?

Des mots malheureux ont été dits, apparemment Madame Royal n’avait pas toutes les informations en main. Cela est surprenant, lorsque l’on sait que sa directrice de cabinet est tout à fait au courant de ces questions-là. Finalement, ces négociations consistent principalement à gérer des propos incontrôlés de ministres et de députés. Le gouvernement va chercher à donner l’impression qu’il a obtenu ce qu’il voulait. Tout se jouera sur des détails, qui ne remettront en rien en cause le système tel qu’il existe. Rétrospectivement, on comprend mal que cette affaire ait provoqué autant de bruit.

Le meilleur des cas serait celui où l’Etat ne déshonore pas sa signature. Tout cela se terminera par des avenants sans contenu réel mais qui seront présentés comme un progrès décisif. En somme une gesticulation royale.

Des tarifs différenciés pour les voitures diesel et les voitures électriques avaient été envisagés, puis démentis  lundi 29 décembre par le gouvernement. Quel était l’intérêt de cette proposition dans le cours des négociations ?

Depuis que l’affaire a été lancée, nous assistons à un véritable concours Lépine : gratuité le dimanche, gel des tarifs, tarifs plus élevés pour les voiture polluantes, etc. Certains – un bon paquet de députés – sont allés jusqu’à dire qu’il serait intelligent de renationaliser… Une approximation étonnante, de la part de personnes censées occuper des fonctions à haute responsabilité. De toutes ces propositions, il ne restera rien au 1er janvier.

La menace d’une résiliation pure et simple des contrats de concession semble avoir été définitivement écartée par le gouvernement. Combien cela aurait-il coûté à l’Etat, et donc au contribuable ?

Le titre d’un grand quotidien qui n’est pas réputé pour être d’extrême-droite résume bien la situation : "Péages autoroutiers : l’Etat est impayable". Il faut évidemment prendre le mot impayable au double sens du terme.

Le minimum comptable dépasserait certainement les 20 milliards d’euros auxquels il convient évidemment d’ajouter la reprise de la dette des sociétés d’autoroute de l’ordre de 31 milliards. C’est vraiment le moment.

Par ailleurs, quels risques de réputation une résiliation des contrats ferait-elle courir notamment dans l'optique de la signature de nouveaux contrats de concession ?

Il n’y a pas que dans le cas des concessions d’autoroutes que les engagements de l’Etat posent un problème : le marché des porte-hélicoptères Mistral, le contrat avec ECOMOUV’, les concessions autoroutière, sans parler de nos engagements européens en matière de finances publiques, cela commence à faire beaucoup et risque de provoquer une défiance vis-à-vis de la signature de la France qui peut faire surgir un "risque pays".

Le projet de loi Macron prévoit que les tarifs autoroutiers soient plus "contrôlés", par une autorité indépendante.  Un contrôle renforcé est-il le moyen d'inciter au mieux les concessionnaires à des prix qui restent stables ? Cette option est-elle compatible avec le cadre actuel ?

Si l’on considère la situation actuelle, les péages sont mécaniquement établis par des règles contractuelles. Celles-ci font partie du contrat de concession. Comme tout contrat, il peut donner lieu à des avenants négociés et signés par le concédant (l’Etat) et le concessionnaire (la société privée d’autoroute). Un tel avenant peut par exemple prévoir la réalisation de travaux non inscrits dans le contrat initial et financés par un allongement de la concession ou une hausse des péages supérieure à la hausse automatique.

Ce mécanisme avait été, par exemple, utilisé dans le cadre du plan de relance de Sarkozy et a été réutilisé depuis. La faiblesse de ce dispositif tient à ce que les économistes appellent des asymétries d’information. En substance, le concessionnaire est techniquement mieux armé pour la négociation que ne l’est l’administration comme l’a relevé la Cour des Comptes. Elle suggérait, dans le même rapport, que soit mis en place un régulateur de même nature que l’ARAF qui a autorité sur les péages ferroviaires.

La loi Macron doit concrétiser cette suggestion. On pourra l’apprécier après le passage à la moulinette du parlement et surtout après sa mise en place. Trouvera-t-on un président aussi incontestable que celui de l’ARAF qui est Pierre Cardo, où recyclera-t-on un battu des élections ou un reliquat de la promotion Voltaire ?

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