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Bras de fer avec la Grèce : respecter les règles européennes, oui... Mais qui les respecte vraiment ? Petit tour d'Europe des "désobéissants"
©Reuters

Pas si sages

La Grèce est mise à l'index par plusieurs pays européens lui reprochant son manque de respect de ses engagements envers les règles. Sauf que l'évitement des critères contraignants est une des valeurs les mieux partagées dans l'Union européenne. Le signe que ces règles, loin d'être des objectifs pertinents, semblent plutôt des carcans aux Etats membres.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Jakob Höber

Jakob Höber

Jakob Hoeber est chercheur associé en économie, compétitivité et modèles sociaux européens à l'Institut Thomas More.

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La crise de nerfs européenne marque un nouveau sommet en ce 20 février, date fatidique pour le règlement, ou non, de la crise grecque qui rythme l’histoire de la zone euro depuis cinq années. Mais si  La Grèce ne respecte pas les règles fixées par la communauté, est-elle vraiment seule dans ce cas?

-  La France devra encore passer sous les fourches caudines de la commission européenne le 27 février prochain afin de faire évaluer son programme de réduction des déficits, qu’elle ne semble pas être en mesure de respecter avant 2018, et ce, malgré les incessantes promesses de François Hollande.

- L’Allemagne vient encore de publier un excédent commercial de plus de 7% de son PIB pour l’année 2014, dépassant ainsi le seuil de 6% de PIB fixé par le "six pack" signée en 2011, et signalant un déséquilibre macroéconomique excessif au sein de la zone euro alors même que la Commission Européenne avait pu attirer l’attention du pays sur la nécessité de soutenir sa demande intérieure.

- Mais encore la Banque centrale européenne qui se doit de maintenir l’inflation au sein de la zone euro à un niveau inférieur mais proche de 2% alors que le niveau actuel est de -0.6% pour le mois de janvier 2015, témoignant ainsi d’une incapacité de l’institution à remplir son mandat.

Atlantico : Entre les déficits des Etats (3% maximum), les excédents commerciaux excessifs de l’Allemagne (+de 6%, limite fixée dans le "six pack"), et une inflation bien en-deçà de l’objectif fixé par la BCE (inférieure mais proche de 2%), l’Europe tout entière semble s’affranchir des règles qu’elle a elle-même fixées. Ces règles sont-elles tout simplement inapplicables ? Ou est-ce le fait du laxisme généralisé au sein des institutions et des Etats ?

Nicolas Goetzmann : Le processus d’intégration européen a été pensé sous la forme d’un carcan. Un ensemble de règles contraignantes ayant pour objectif de permettre une convergence des différents membres de la zone euro, parce qu’il s’agit ici plus de la zone euro que de l’Union européenne. Après 15 années, et même 20 ans si l’on compte la période de convergence antérieure à l’arrivée de l’euro, le résultat est que les économies ont fortement divergé. Et ce processus a été activé depuis l’entrée en crise. Pourquoi ? Parce que ces règles ont été conceptualisées en dehors de toute possibilité de crise. La zone euro n’était pas armée pour faire face à des évènements de cette nature, et elle ne l’est toujours pas. Je pense ici, le plus sévèrement, au mandat de la Banque centrale européenne qui a eu un effet dévastateur sur l’ensemble du déroulé de la crise. La rigidité monétaire européenne a conduit un continent entier à devoir accepter une crise de très forte intensité. Si on veut conceptualiser cette idée, cela revient à dire que l’Europe a fait le choix de subir le chômage de masse plutôt que de voir sa monnaie privée de sa parfaite et totale stabilité. D’un point de vue macroéconomique, ce constat est tout simplement factuel.

Concernant les excédents allemands, ils ne font que traduire la trop faible demande intérieure au sein du pays. De la même façon, les déficits des Etats, comme ceux de la France, ne sont que le résultat de leur trop faible croissance. Tout conduit à la même cause : la trop faible croissance. Et c’est la mission de la BCE.

Jakob Hoeber : D'abord, il faut distinguer entre les règles respectives: chacune à son propre objectif, sa propre raison ou non-raison d'être, et surtout des causes propres du non-respect actuel. Elles ont toutes un côté raisonnable et bien justifié par les leçons que l'histoire nous a appris; en même temps, elle connaissent toutes un élément arbitraire, d'où par ailleurs les discussion fréquentes quant à leur sens.

Commençons par la plus simple, l'objectif d'une inflation proche de 2%. On est sûr que de deux choses: une déflation est très nuisible à l'économie, autant qu'une hyperinflation. Mais le niveau idéal d'un taux d'inflation reste inconnu – le fixer à 2% est alors assez arbitraire. Cependant l'introduction de cette règle a introduit une période de stabilité des prix qui dure depuis des décennies. Si le taux d'inflation est aujourd'hui bien en-dessous de cet objectif, la faute n'est pas attribuable à la BCE, mais plutôt autres Etats membres qui ne trouvent pas de moyen pour établir un climat économique favorable qui relancerait la demande de crédit et des investissements.

Continuant par les excédents commerciaux excessifs, comme les enregistre par exemple l'Allemagne. Encore une fois, on part d'un chiffre assez arbitraire – le 6% fixée dans le “six-pack” - pour adresser un problème bien réel: un déséquilibre commercial dans le monde ne peut que se terminer dans une déstabilisation. Ainsi, ces inégalités dans le commerce mondial, où trois pays (Chine, Allemagne, Japon) plus quelques pays exportateurs des matières premières enregistrent des excédents commerciaux phénoménaux, tandis que d'autres, tout d'abord les Etats-Unis, sont bien dans le rouge, a contribué à la crise économique que nous vivons aujourd'hui. Est-ce que c'est un problème pour la zone Euro aujourd'hui? Pas tout à fait. Il est vrai que l'Allemagne a exceptionnellement profité de l'introduction de l'Euro. Mais depuis le début de la crise, les importations n'ont cessé de croître comparées aux exportations – faisant que la différence est de seulement 18 milliards d'euro en 2014, tendance à la baisse. Si sa balance commerciale contribue alors aux déséquilibres commerciaux mondiaux, elle ne joue plus un rôle décisif au sein de la zone euro.

Finalement, le seuil de 3% pour le déficit des états. Encore une règle qui a du sens, mais qui est fixée arbitrairement. Tandis que les Etats membres de la zone Euro ont la main sur la politique fiscale, il est nécessaire de limiter la dette totale de chaque pays. C'est comme dans une colocation, où les devoirs à la fin du mois devront être réglés par l'ensemble des habitants. Il y a probablement un qui tentera de
profiter de cette situation pour dépenser au-delà de ses moyens – au détriment des autres. Interdire un déficit plus élevé que 3% du PIB (sauf dans des situations exceptionnelles) est alors un moyen pour aller à l'encontre de cet aléa moral.

Pour résumer, les règles existantes sont et applicables, et ont un certain sens. Si elle ne sont pas toujours respectées, c'est dû aux désavantages que leur stricte respect engendrerait (sauf dans le cas de la BCE) pour le pays respectif. Il le fait alors, il faut bien le préciser, au détriment de la communauté même.

Existe-t-il une hiérarchie dans l’importance de ces différentes règles ? Une faute commise par l’un des acteurs entraîne-t-elle nécessairement la faute de l’autre ? Et dans quel ordre ?

Nicolas Goetzmann : La règle la plus importante pour la zone euro est celle qui régit l’activité de la BCE. Cela est trop souvent sous-estimé, mais le pouvoir monétaire est de loin le plus décisif au sein de l’ensemble. Il s’agit finalement du pouvoir qui a le plus d’impact sur la "vraie vie". La BCE maîtrise la conjoncture économique, parce qu’elle est en réalité capable de soutenir ou de contracter le niveau d’activité au sein de la zone euro ; c’est-à-dire la demande intérieure européenne. Ainsi, lorsque la BCE affiche un taux d’inflation proche de 0%, comme cela est le cas aujourd’hui, alors que son mandat lui impose d’être proche de 2%, cela signifie que le niveau d’activité économique, la croissance, est bien trop faible par rapport à ce qu’il, elle, devrait être. Et que cela est de sa responsabilité. Il me semble donc tout à fait curieux de constater que le non-respect des règles budgétaires attire autant l’attention.

Si aujourd’hui la BCE respectait son mandat et que la zone euro était proche de 2% d’inflation, elle aurait également une croissance avoisinant les 2%. De fait, une telle croissance viendrait compenser les défaillances actuelles des autres acteurs, et je pense notamment aux Etats en proie à des déficits publics excessifs. De la même façon, une plus forte demande au sein de la zone euro aurait sans doute pour effet de voir l’Allemagne perdre un peu de compétitivité par la voie de la hausse des salaires, et verrait ainsi son excédent de compte courant se réduire mécaniquement. La hiérarchie est claire, le non-respect des règles de la part de la BCE provoque une réaction en chaîne.

Jakob Hoeber : Vue l’hétérogénéité des règles et des ambitions, établir une hiérarchie paraît chose futile. Cependant, leur soudain respect ne résoudra pas les autres. On le voit avec l'Allemagne et son excédent commercial : sa baisse de 75 milliards à 18 milliards d'Euro dans la zone de la monnaie unique est lié à une augmentation des importations, tandis que les exportations sont restées stables (chiffres Eurostat). Or, les pays qui ont le plus profité de cette hausse de la demande allemande sont surtout ceux qui se sont engagés dans la voie des réformes – aussi dans le but de respecter le Pacte pour la Croissance et la Stabilité. Les efforts et engagements à prendre devraient être alors d'une manière réciproque.

Cette faillite relève-t-elle alors de la responsabilité de gouvernements incapables de respecter les règles ou de gouvernements qui ont mis en place des règles inapplicables ?

Nicolas Goetzmann : La défaillance est de ne pas avoir su donner une priorité à ce qui devait être respecté. S’affranchir des règles budgétaires lorsque les règles monétaires sont bafouées ne me semble même pas relever de la possibilité, mais plutôt de l’exigence. Car si tous les Etats avaient respecté la règle des 3% de déficits publics lors de la survenance de la crise, l’Europe aurait déjà explosé. Les Etats-Unis ont creusé leur déficit à près de 12% du PIB lors du creux de la crise, cela ne les empêche pas d’être proche du plein emploi aujourd’hui. Les Européens n’ont pas su être pragmatiques. Il existe une défaillance objective de la part de la BCE : un mandat de stabilité des prix guidé uniquement par les évolutions de l’inflation ne permet pas de remplir le rôle essentiel d’une banque centrale : stabiliser l’économie et la croissance. C’est la grande leçon de 2008 pour tous les banquiers centraux de la planète. Voilà pourquoi tant de banques centrales ont changé de mandat, ou d’objectif depuis lors.

Si le mandat de la BCE était revu et corrigé, et permettait d’intégrer une vision plus « moderne » du rôle de la monnaie dans l’économie, alors le respect des autres règles, comme les 3% de déficits, ne serait qu’une formalité pour la plupart des Etats.

Jakob Hoeber : Depuis l'installation du seuil de déficit dans la Traité de Maastricht, cette règle a connu des modifications considérables quant à sa conformité avec la réalité économique et politique – surtout si on parle de la marge de manœuvre dans un temps de crise, mais aussi des sanctions automatiques. Dans sa forme d'aujourd'hui, le non-respect relève surtout de la responsabilité des états, même si la règle elle-même reste une solution second-best comparée à une meilleure harmonisation  de la politique fiscale entre les pays-membres de la zone euro.

Les différentes règles européennes méritent t’elles d’être modifiées, ou suffit-il d’imposer plus fermement leur application ?

Nicolas Goetzmann : La mise en œuvre d’une relance monétaire de la part de la Banque centrale européenne, le 22 janvier dernier, a été une très bonne nouvelle. Par ce biais, la BCE tente de revenir "dans les clous" de son mandat en réactivant la demande intérieure de la zone euro. Donc, sur ce point, un effort est fait, et cela facilitera le travail des gouvernements qui tentent de rejoindre le chemin de la vertu budgétaire. Mais je crains que cela ne soit pas suffisant. Encore une fois, le mandat de la BCE est trop strict. Sans une réelle prise en compte, dans les traités, d’un objectif de plein emploi, l’ensemble de la zone euro se mettra toujours et encore dans une position de vulnérabilité maximale face aux crises économiques. Parce que la règle de la stabilité des prix absolue donne une priorité à la valeur de la monnaie par rapport à toute autre considération. C’est l’esprit de la zone euro. Et cette hiérarchie ne me semble pas convenir à un ensemble démocratique qui vise l’intérêt général. Il ne s’agit pas d’aller dans l’excès inverse, mais au moins d’équilibrer les valeurs. Un tel équilibre a été trouvé aux Etats Unis, avec le mandat dual : stabilité des prix ET plein emploi. Dès lors que cette règle est en place, on pourra aller sanctionner les Etats qui ne respectent pas leurs engagements au niveau budgétaire. 

Jakob Hoeber : Comme expliqué plus haut, les règles quant au déficit excessif se trouvent dans un processus de modification continue, mais sont toujours loin d'être parfaites au sens qu'elles ne peuvent que cacher l'absence des transferts automatiques, comme par une assurance de chômage européenne de court durée, ou bien une intégration plus poussée de la politique fiscale. De même pour la règle de 2% qui limite l'inflation – on peut toujours discuter, et on le fait, d'établir le seuil plus haut. En ce qui concerne la balance commerciale allemande, ceci reste un enjeu au niveau mondial, mais la dynamique aujourd'hui fait que son excédent est plutôt un garant pour la stabilité dans la zone euro au lieu d'un élément déstabilisateur.

Finalement, une modification des règles demande tout d'abord d'une proposition comment faire mieux, et un plan clair comment les appliquer et comment cela changera l'Europe pour le mieux. Sans cela, elles devront être ce que les règles sont faites pour : être respectées.

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