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Boris Johnson et la place du Royaume-Uni dans le monde
©DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

L'appel du large

La course pour prendre la tête des Tories n'est plus, cette fois-ci les pronostics se sont avérés corrects, Jeremy Hunt a été battu par Boris Johnson.

Alphonse Moura

Alphonse Moura

Alphonse Moura est géopolitologue, maître en Sciences Politiques et Relations Internationales ; spécialiste des rapports de force et fondateur de l'école géopolitique bourguignonne, basée sur la Sainte Trinité du réalisme – Thucydide, Machiavel et Hobbes.

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Compte tenu du système britannique cela veut dire que BoJo est aussi le remplaçant de Theresa May, le nouveau premier ministre du Royaume-Uni. Il aura la tâche de délivrer le Brexit avant la fin d'octobre, le mot d'ordre pendant sa campagne a été simple: nous sortirons, avec la bénédiction de l'UE ou sans elle, la possibilité d'une sortie sans accord est aujourd'hui extrêmement probable.

La politique d'aujourd'hui sera l'Histoire de demain et toute l'Histoire fut à un moment donné de la politique. L'entrée de BoJo au 10 Downing Street invoque une conversation entre Winston Churchill et Charles de Gaulle. Le Français interrogeait l'Anglais sur la place du Royaume-Uni en Europe, la réponse fut courte et limpide: entre l'Europe et le grand large ils choisiraient toujours le grand large. Le Brexit est une manifestation actuelle de cette phrase churchilienne, et ce fut exactement à cause de ladite que De Gaulle bloqua deux fois l'entrée de l'allié britannique dans le projet européen, en 1963 et 1967. Le général savait pertinemment que les Britanniques allaient tout chambouler et, comme d'habitude, il ne se trompa point.

La vague qui frape les îles Britanniques avait déjà frappé outre-Atlantique, ce n'est pas un hasard si on entend que Johnson est le Trump britannique. Ce n'est pas non plus un hasard que Trump ait été l'un des premiers à féliciter le nouveau premier ministre. La gent progressiste regarde paumée l'ascension des deux blonds, dans un mélange de déni, frustration, incompréhension et souffrance.

Au parlement Jeremy Corbyn a été le premier à tirer la sonnette d'alarme: "Les gens craignent que loin de vouloir reprendre le contrôle, le nouveau premier ministre ferait de nous un état vassal de l'Amérique de Trump." Corbyn enchaîna: "Est-il [Johnson] en train de travailler avec les partenaires européens pour restaurer l'accord nucléaire iranien et refroidir la tension dans le Golfe Persique?" Les Travaillistes parlent d'Europe, les Conservateurs préfèrent l'Amérique.

Johnson connaît bien le passé et il est au courant des défis que l'avenir posera. Tout d'abord le possible éclatement du Royaume-Uni. Ledit royaume est constitué par 4 pays, l'Angleterre, le Pays de Galles, l'Écosse et l'Irlande du Nord: les deux premiers ont voté pour la sortie de l'UE, les deux seconds pour la permanence. Il est parfois difficile de saisir l'ordre juridique britannique mais la souveraineté symbolique réside dans la reine qui relie les quatre pays. Ainsi on ne peut pas affirmer que l'Écosse et l'Irlande du Nord devraient rester dans l'Union Européenne et que l'Angleterre et le Pays de Galles devraient en sortir, exactement parce que la souveraineté appartient au Royaume-Uni et non à ses territoires constitutifs. L'appartenance au cadre institutionnel européen permettait aux Écossais d'aller directement à Bruxelles sans passer par Londres, le gouvernement britannique ne pouvait plus le permettre. 

Contrairement au discours lambda ce ne furent pas les Anglo-saxons à faire gagner le Brexit mais les Vikings, les héritiers de la Danelaw. Sauf les Midlands de l'Ouest toutes les autres zones qui eurent un pourcentage très élevé pour la sortie faisaient partie de la Danelaw: Angleterre du Nord-Est, Yorkshire-et-Humber, Midlands de l'Est et Angleterre de l'Est. Quand on sait que le Danemark n'a pas adopté l'euro et que la Norvège n'intègre même pas l'Union Européenne on découvre qu'il y a des constances qui dépassent les siècles...

Le nouveau cabinet devra aussi s'appuyer initialement sur l'Amérique sans se laisser engloutir par elle, en sachant également que si l'administration américaine change sa position peut empirer. Quelqu'un plus admiratif de l'UE que Trump pourra être moins enclin à donner des avantages aux Britanniques.

Bojo a choisi un cabinet plein de Brexiteers, Dominic Raab, Priti Patel, Michael Gove, Jacob Rees-Mogg. Le temps du dialogue est passé, maintenant le gouvernement de sa Majesté se prépare aux heurts, convaincu que Nietzsche n'avait pas tort quand il disait que ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Sans cette décision les Tories seraient phagocytés par Nigel Farage et son Brexit Party comme les dernières élections européennes l'ont démontré. Délivrer le Brexit est une question de vie ou de mort pour le parti conservateur.

 Un autre élément décisif dans le choix du Brexit est politiquement incorrect mais les cercles anglo-américains en parlent de plus en plus. Il peut se résumer dans une phrase de Peter Hitchens: l'Union Européenne est la continuation de l'Allemagne par d'autres moyens (un jeu de mots avec la célébrissime phrase de Clausewitz.)

Après sa réunification l'Allemagne a recommencé à faire une politique plus sienne, loin de la politique atypique du temps de la République fédérale d'Allemagne. Les liens entre Berlin et Moscou sont très mal vus à Londres et à Washington. Deux camps refont surface, les Anglo-Américains contre les Prusso-Russes. Vous avez compris que la France est au milieu, et elle possède l'honneur d'appartenir aux deux mondes, l'atlantique et le continental. Pour l'instant elle demeure attachée au libéralisme libertaire anglo-américain, mais l'avenir est ouvert, et elle peut tomber sous le charme de l'illibéralisme prusso-russe.

La feuille de route est tracée. Maintenir la relation privilégiée avec l'Amérique, échapper au carcan bruxellois, renforcer sa présence mondiale ─ notamment en Asie ─ et, peut-être le point primordial, empêcher la fragmentation du Royaume-Uni.

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