Bilan coûts/avantages du système de garantie universelle des loyers proposé par Cécile Duflot<!-- --> | Atlantico.fr
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"Les relations entre bailleurs et locataires sont entachées d’une asymétrie d’informations."
"Les relations entre bailleurs et locataires sont entachées d’une asymétrie d’informations."
©Reuters

Comparatif

Ce mercredi 26 juin, Cécile Duflot présentera son "projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové" en Conseil des ministres. Il propose notamment la mise en place d’une garantie universelle des loyers.

Nicolas  Costes

Nicolas Costes

Nicolas Costes est économiste spécialiste du logement. 

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Atlantico : La ministre du logement proposera aujourd'hui en Conseil des ministres son "projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové" qui devrait permettre aux locataires en difficultés de prendre en charge leur loyer. Pourquoi réglementer les relations bailleurs-locataires ?

Nicolas Costes : Les relations entre bailleurs et locataires sont entachées d’une asymétrie d’informations : le propriétaire ne sait pas à l’avance si son futur locataire paiera son loyer régulièrement et s’il entretiendra correctement le logement ; le locataire lui n’a qu’un aperçu très rapide de la qualité du bien à louer avant de s’engager. La loi du 6 juillet 1989 a donc mis en place un arsenal de dispositifs dont l’objectif est d’encadrer ces relations afin de prévenir l’apparition de conflits (avant la signature du bail par la diffusion d’informations concernant le bien et le candidat à la location et après la signature par des mesures de dissuasion des comportements déviants) et de lestraiter en cas de survenance.

Quels sont les dispositifs actuels ?

Parmi ces dispositifs, la possibilité pour le propriétaire de se prémunir contre les impayés de loyers a une importance capitale dans la mesure où la prise en compte du risque locatif intervient dans l’estimation de la rentabilité de l’investissement. Son niveau influencera donc le fonctionnement du marché du logement à deux niveaux :

  • un niveau de risque élevé détournera les investisseurs des placements immobiliers au profit de placements alternatifs et certains propriétaires renonceront à remettre leur bien sur le marché, préférant s’en défaire ou le laisser vacant. L’offre locative peut donc être directement influencée.
  • en cas de maintien d’un intérêt pour l’investissement locatif, les bailleurs incorporeront dans les loyers une prime de risque élevée et multiplieront leurs exigences en opérant notamment une sélection plus stricte des candidats à la locationaux dépens des ménages les plus modestes.

Depuis 1986, les assureurs privées proposent une GLI (Garantie loyers impayés) que les propriétaires peuvent souscrire mais uniquement si leur locataire dispose d’un contrat de travail à durée indéterminée et de revenus au moins trois fois supérieurs au montant du loyer. Autrement dit, seul le "bon risque" était assurable…

Depuis 2007, la mise en place de la GRL[1], conçu par Action Logement (ex 1% logement) et soutenu par l’Etat, permet aux bailleurs de se couvrir contre le risque d’impayés même si leur locataire présente une situation financière moins favorable (revenu au moins deux fois supérieur au loyer). L’objectif était alors double :

  • faire en sorte que les propriétaires acceptent de louer leur bien à des candidats dont la situation financière est relativement moins favorable.
  • desserrer le frein au développement d’une offre locative privée que constitue le risque d’impayés en garantissant les revenus locatifs du propriétaire.


Pourquoi ces dispositifs ne suffisent-ils pas à régler les problèmes ?

Dans les faits, la GRL n’a pas rencontré le succès escompté. Cela s’explique notamment par le fait que trop peu d’assureurs proposent la GRL ce qui la rend peu lisible. Et pour cause, ce dispositif public vient en partie concurrencer les assurances privées (GLI) !

De plus, malgré son coût raisonnable (entre 3% et 4% du montant annuel des loyers) et sa déductibilité partielle des revenus fonciers, beaucoup de propriétaires préfèrent se prémunir contre le risque d’impayé de loyer en sélectionnant drastiquement les candidats à la location.

Les propriétaires qui souscrivent une GRL sont donc généralement ceux dont les locataires présentent un risque relativement plus important d’impayés. De ce fait, le fonctionnement même de la GRL est remis en cause ; il repose en effet sur le principe de la mutualisation des risques, autrement dit les primes payées par les propriétaires assurés servent à financer les indemnités versées à ceux qui subissent des sinistres. Or, en se concentrant sur les locataires risqués, les primes payées peuvent ne pas suffire à couvrir la sinistralité (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’Etat a dû apporter sa garantie en cas de sur sinistralité). Le "mauvais risque" n’est donc pas compensé par le "bon risque". 

Quelles sont les alternatives à ces dispositifs pour une meilleure efficacité ?

Les limites de la GRL actuelle plaide a minima pour son évolution :

  • Faut-il rendre obligatoire l’assurance contre le risque d’impayé (à l’image de la multi-risques habitation)? Cela poserait sans doute des difficultés juridiques obligeant à faire appel aux assureurs privés. La généralisation assurerait certes la mutualisation du risque d’impayé qui fait aujourd’hui défaut mais il est certain que les assureurs privés moduleront le coût de l’assurance en fonction des caractéristiques du locataire (revenu, type de contrat, etc.). La charge pour le bailleur sera donc au final répercutée sur le loyer et on ne réglera donc en rien les difficultés d’accès au logement des ménages modestes. Idem si elle devait être directement payée par le locataire. Rendre la GRL obligatoire pourrait en outre être mal perçu par certains propriétaires qui estiment courir un risque très faible (location dans le cadre familial, etc.).
  • Faut-il abandonner le principe de la GRL au profit de la création d’un fond national de garantie contre le risque locatif ? Pas certain dans la mesure où ce fond devra être alimenté… Il faudrait instaurer un prélèvement sur les loyers perçus par les propriétaires. La rentabilité locative est déjà jugée faible par les propriétaires (raison qui explique en partie la baisse de l’investissement locatif) ; un tel prélèvement contribuera à détourner un peu plus les investisseurs de l’immobilier résidentiel et donc à contraindre davantage encore l’offre locative. Les locataires pourraient aussi être mis à contribution mais cela ne ferait qu’accroître les difficultés que beaucoup rencontrent à s’acquitter de leur loyer, notamment dans les grandes agglomérations.

Les solutions qui nécessiteraient le versement d’une contribution, que ce soit par les propriétaires ou les locataires (ou par les deux), ne semblent pas viables dans le contexte actuel. Ni les propriétaires ni les locataires ne semblent à juste titre disposés à payer.

La solution est sans doute plus institutionnelle que financière. Le contentieux locatif est statiquement faible ; chaque année, moins de 2% des ménages locataires font l’objet d’une demande en paiement des loyers par voie judiciaire à la suite d’impayés. Rares sont donc les propriétaires à subir un dommage financier important mais son éventualité suffit à crisper les relations bailleurs-locataires.

Le traitement judiciairedes contentieux locatifs et des procédures d’expulsion est aujourd’hui inefficace, tant pour les bailleurs que pour l'Etat (qui peut être condamné à indemniser les propriétaires). Sans remettre en cause la dimension sociale qui doit accompagner l’application de telles procédures, il faudrait, en relation avec les services sociaux, anticiper le risque d’impayé et distinguer celui relevant de la bonne foi du locataire (évolution de la situation personnelle et/ou professionnelle, etc.)des autres. Une procédure d’indemnisation rapide du propriétaire (en mobilisant les fonds disponibles d’Action Logement par exemple) devrait être mise en œuvre le temps que les services sociaux trouvent une solution de relogement compatible avec les ressources du locataire. Mais il faut aussi responsabiliser le locataire débiteur en l’obligeant, une fois que sa situation personnelle le permet, à rembourser au moins une partie de sa dette.

Plus généralement, des mesures simples pour rassurer les propriétaires existent (le raccourcissement du délai pour obtenir la libération du bien pour motif de vente n’est qu’un exemple parmi tant d’autres mesures qui n’impliquent aucun financement préalable) mais elles ne doivent pas être perçues comme une perte de protection par les locataires. La pédagogie joue un rôle essentiel, ce sont desmesures "gagnant-gagnant" : un investisseur rassuré est un propriétaire immobilier en puissance qui contribuera à accroître l’offre de logements et ainsi à infléchir la hausse des loyers.



[1] Les loyers impayés sont pris en charge par l’assurance à concurrence de 70 000€, les dégradations sur le logement à concurrence de 7 700€ pour les logements non meublés et 3 500€ pour les logements meublés, les frais de contentieux à hauteur de 70 000€.

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