Bien gérer l’eau et l’énergie ne consiste-t-il vraiment qu’à chercher à s’en passer ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Environnement
Un agent EDF présent sur le site du barrage du lac artificiel de Soulcem, situé dans la vallée du Vicdessos, à Auzat, dans le sud-ouest de la France, le 25 août 2022.
Un agent EDF présent sur le site du barrage du lac artificiel de Soulcem, situé dans la vallée du Vicdessos, à Auzat, dans le sud-ouest de la France, le 25 août 2022.
©Valentine CHAPUIS / AFP

Environnement

Subvenir à l’approvisionnement en eau et en énergie primaire se révèle être plus que jamais vital.

André Pellen

André Pellen

André Pellen est Ingénieur d’exploitation du parc électronucléaire d’EDF en retraite, André Pellen est président du Collectif pour le contrôle des risques radioactifs (CCRR) et membre de Science-Technologies-Actions (STA), groupe d'action pour la promotion des sciences et des technologies.

Voir la bio »

Il suffit de lire Jean de Florette, Manon des sources et les souvenirs d’enfance du regretté Marcel Pagnol pour se faire une idée assez réaliste de ce que fut, des siècles durant, la condition des Provençaux tout entière suspendue à une gestion de l’eau parcimonieuse par la force des choses alors insurmontable de la nature.

Les gens du cru et assimilés, leurs descendants et les amoureux de la région et de son histoire n’oublient pas que, jusqu’au milieu du siècle dernier, la plupart des maisons individuelles, jas et autres mas provençaux étaient dotés de bassins en pierres ou de citernes enterrées destinés à recueillir les eaux de pluies en quantité. Ils n’oublient pas non plus que la fruste condition des anciens ne prit fin que relativement récemment, grâce à une adduction massive d’eau permise par la construction d’ouvrages de génie civil sur de grandes distances :

- Après avoir longtemps enduré de récurrentes épidémies de choléra et une sècheresse historique en 1834, les Marseillais ne purent bénéficier de l’eau courante et abondante de la Durance qu’à partir de 1860.

- Mais l’aménagement provençal le plus remarquable en la matière a certainement été celui du Canal de Provence, déterminant dans la lutte contre les incendies de forêt. Ces grands travaux témoignant d’un savoir-faire qui s’exporte ont consisté à permettre la récupération et le stockage les eaux de la Durance et du Verdon au printemps, afin de redistribuer leur considérable volume sur un vaste territoire de PACA, l’irriguant et préservant la bonne santé de son environnement. La construction d’un tel ensemble d'ouvrages hydrauliques desservant principalement en eau brute 110 communes des Bouches-du-Rhône et du Var, dont Aix-en-Provence, Marseille et Toulon, soit une population totale de plus de 2 000 000 d'habitants, commença en 1964. 

Aujourd’hui, le réseau de desserte de la Société du Canal de Provence (SCP) ne cesse de s’étendre, au point d’atteindre la zone Sainte Maxime-Saint Tropez et les abords de Saint Raphael.

De la pertinence d’instaurer une politique de rationnement de l’eau

Nous sommes là en présence d’un cas d’école amenant à se poser les questions suivantes auxquelles les réponses aujourd’hui trop systématiquement apportées tendent à être érigées en principe : en quoi la lutte contre le gaspillage d’une eau abondante depuis toujours dans la région de Gréoux-les-bains et de Vinon-sur-Verdon aurait-elle pu rendre un quelconque service aux habitants d’Aubagne et de ses environs, avant la construction des infrastructures dont il vient d’être question ? Désormais, de quoi d’autre que du niveau du lac de Sainte-Croix et des débits du Verdon et de la Durance les centaines de milliers de clients de la SCP ont-ils à se préoccuper, avant d’ouvrir leurs robinets à plein débit ? Devraient-ils se reprocher de causer quelque préjudice aux agriculteurs assoiffés de Sainte-Soline si, ce faisant, ils rendaient par négligence à la terre trop d’un produit vital que la nature nous ressert indéfiniment au milligramme près dans les sources, cours d’eau et cycles de pluie environnants ou desservant la région, le pays, voire le continent voisin ?

Où l’on réalise que la seule chose de laquelle l’humanité a toujours été contrainte de s’accommoder est la variation imprévisible dans le temps de la présence géographique de l’eau, en durée et en intensité. Aussi reste-t-il encore à déterminer sérieusement si oui ou non l’activité économique moderne est susceptible d’influencer climatiquement l’évolution de la carte mondiale des présences d’eau, au point de conduire à déshériter certaines régions au profit d’autres.

La réalité du caractère essentiellement anthropique de la cause de la sècheresse actuelle

S’il en était ainsi, l’histoire du climat européen depuis l’an mil écrite par Emmanuel Le Roy Ladurie (Histoire du climat depuis l'an mil) nous apprend que ce serait non seulement inédit mais très récent ; ce que confirme le journal anglais Ampshire Advertiser from Southampton qui, dès juillet 1852, faisait état des préjudices thermo climatiques observés entre 1132 et 1850 dont ceux-ci : …En 1538, 1539, 1540 et 1541 les rivières européennes étaient littéralement asséchées. En 1556 il y eut une sécheresse généralisée dans toute l'Europe. En 1615 et 1616 la canicule s'abattit sur la France, l'Italie et les Pays-Bas. En 1646 il y eut en Europe 56 jours consécutifs de grandes chaleurs…

Quoi qu’il en soit, l’Espagne et l’Europe doivent-elles mettre les bouchées doubles dans la transition écolo climatique pour sauver la première de la désertification ?

Selon des chiffres officiels, 74 % du territoire espagnol se trouve aujourd’hui en danger de désertification, avec, pour 18 % du pays, un risque élevé ou très élevé. L’Andalousie et la Catalogne, en particulier, souffrent de « processus d’érosion de grande ampleur » et, selon la formule désormais consacrée, cette vague de chaleur précoce est réputée sans précédent...

Il ne manquera sûrement pas d’hurluberlus gouvernementaux et associatifs pour répondre oui à la question ci-dessus, pour juger compatibles avec l’urgence de la situation espagnole les délais du renoncement massif et coercitif de l’Europe à toute production de CO2. Pourtant, ladite situation ne requiert sans tarder que la réalisation d’un vaste aménagement d’adduction et de stockage d’eau, façon Canal de Provence, en projet depuis plus de 20 ans. Hélas, ses détracteurs semblent en avoir eu raison, y compris sur le principe, considérant qu’entre une prospérité économique génératrice de confort social et la préservation d’un inventaire naturel réputé en péril, il convient d’opter pour cette dernière.  

Œuvrer pour le salut de l’Andalousie et de la Catalogne ne peut que consister à leur amener de l’eau ou à leur en produire, l’un n’excluant pas l’autre

Alors que s’impose le recours aux deux procédés, les deux régions semblent avoir déjà renoncé au premier. Auront-elles les moyens et la volonté de faire appel au second sur la mise en œuvre duquel on peut spéculer comme suit, conformément aux recommandations de l’article « une énergie abondante pour pallier le manque d’eau » ? Rien n’est moins sûr, car il en va de leur politique énergétique comme d’une politique écologique plus que jamais encline au rationnement de l’eau. 

Dommage, car il est d’ores et déjà possible de compter sur la distillation-flash pour produire de l'ordre du million de m3 d’eau dessalée par jour, déjà observé dans les pays pétroliers du Moyen Orient. Les grands acteurs du secteur sont Mitsubishi et l’Italien Ansaldo, le Français SIDEL tirant correctement son épingle du jeu. Pour les grandes installations, il faut compter le coût de la production du m3 à moins d’un euro. De plus, non seulement la cogénération électricité-chaleur est idéale avec la distillation-flash, mais si l’on dispose d’un désert établi ou en devenir l’énergie solaire doit pouvoir se révéler compétitive.

Quoi qu’il en soit, l’osmose inverse joue déjà dans la catégorie supérieure, avec des applications industrielles de grande taille, comme l’usine de Fujairah conçue par Degrémont naguère numéro 1 mondial. D’une capacité de dessalement de l’eau de mer de 63 millions de m3 par an, cette usine approvisionne un million de personnes en eau potable, au rythme de 450 000 m3 par jour, et délivre une puissance de 500 MW électriques. Elle a été la première à combiner une unité d’osmose inverse et une centrale électrique, associées à une unité de dessalement thermique par distillation. La combinaison des deux technologies confère à la production une grande flexibilité saisonnière.

L’Espagne premier pays à devoir prendre conscience que tout commence avec l’énergie ?

Toutefois, déjà dotée d’une dizaine d’usines de dessalement, on ne peut pas considérer l’Espagne comme un pays en retard dans ce domaine. Mais le coût d’exploitation de l’emblématique usine de Barcelone – la plus importante d’Europe, avec une capacité de production de 200 000 m3 par jour – résume à lui seul l’obstacle rédhibitoire auquel est confronté le développement de l’industrie du dessalement sur la péninsule ibérique : une électricité essentiellement gazière et accessoirement éolienne. Or, à raison de 3 KWh d’énergie électrique consommée par m3 d’eau produite, le fonctionnement de cette usine – exclusivement à osmose inverse – requiert en permanence une puissance de 25 à 30 MW… soit la production d’une soixantaine d’éoliennes de 2 MW, en tenant compte de leur facteur de charge !

Avec une production de bientôt 900 000 m3 par jour, la première tranche de la plus grande installation d’osmose inverse au monde vient d’être mise en service à Al Taweelah aux Émirats arabes unis. Combien d’usines de ce type la survie économique de l’Andalousie pourrait-elle prochainement requérir, pour pallier au moins partiellement une carence climatique dont personne, ici-bas, n’est en mesure de prévoir l’intensité et la durée ? Surtout, comment et à quel prix supportable fournir en Espagne les quelques 120 MW appelés en permanence par chacune de ces unités ? Est-il encore utile de rappeler à nos frères transpyrénéens que les prix du KW installé et du KWh produit par tous les « nucléaires historiques » du monde sont de très loin inférieurs à ceux du renouvelable quel qu’il soit, hormis l’hydraulique, et parmi les plus bas de tous, sinon les plus bas ? Par ailleurs, il semble opportun de rappeler aux Andalous et aux Catalans qu’une seule tranche nucléaire de 1000 MW est capable d’alimenter durablement 8 tranches de dessalement comme celle d’Al Taweelah.

Ainsi, subvenir à l’approvisionnement en eau et en énergie primaire se révèle-t-il plus que jamais vital pour une humanité foisonnante, en ne perdant surtout pas de vue que la première n’est qu’une transformée de la seconde. Or, après s’être fourvoyée dans l’illusion éolienne, l’Espagne ne semble pas aujourd’hui la dernière à donner dans la funeste imposture consistant à faire croire au pouvoir prométhéen des hommes de créer de toute pièce l’énergie primaire hydrogène.

Chers semblables, de grâce, ne gaspillez pas vos 3 KWh disponibles à générer un hydrogène qui vous rendra moins d’énergie, quand votre survie pourrait bientôt dépendre du m3 d’eau qu’ils sont capables produire !  

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !