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Toulouse : "BFMTV est désormais le média dominant, mais l’info continue pousse au dérapage"
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Même si la chaîne a annoncé par erreur l'arrestation du tueur, l'affaire de Toulouse a permis à BFMTV de connaître des pics d'audience. Mais pour Daniel Schneidermann, les chaînes d'info continue répandent dans les médias une "culture du comblage" néfaste.

Daniel Schneidermann

Daniel Schneidermann

Daniel Schneidermann est journaliste. De 1995 à 2007, il a dirigé et présenté l'émission de télévision Arrêt sur images sur France 5. Après 2007, suite à l'arrêt du programme sur décision de la chaîne, l'émission est transposée sur internet sous le nom @rrêt sur images.

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Atlantico : Dans l’un de vos derniers billets, vous dénoncez le recours excessif aux experts et la façon dont la tuerie de Toulouse a été couverte par les médias. En quoi s’agit-il d’un phénomène nouveau ?

Daniel Schneidermann : La spécificité de cette élection par rapport à 2007 tient au rôle des chaînes d’info en continue. Pas forcément en termes d’impact : il y a plus de personnes qui regardent le 20h que BFMTV, mais les chaînes d’info donnent la tonalité. Vous allez dans n’importe quelle rédaction de journalistes en France, tout le monde vit à leur rythme. Elles finissent donc par infuser et répandre cette culture du comblage.

BFMTV est désormais le média dominant. Je ne vous dis pas qu’ils sont fiables, la preuve ils ont annoncé par erreur la reddition de Mohamed Merah mercredi après-midi. Mais ils ont un vrai impact. Plus qu’un journal comme Le Parisien, par exemple, dont l’influence lors de cette campagne est nulle, contrairement à 2007.

Cette évolution médiatique a-t-elle des conséquences sur la façon dont les hommes politiques se comportent ?

Évidemment ! Ils alimentent la machine : Nicolas Sarkozy fait désormais deux ou trois allocutions par jour pour nourrir le feuilleton.

Quid du rôle joué par Internet ?

Je ne pense pas qu’un homme politique ait pour but de nourrir les sites d’informations. Internet a certes modelé le personnel politique, mais d’une autre manière : il a créé des politiques mutants comme Cécile Duflot ou Nadine Morano dont certains tweets ont été abondamment commentés.

On pourrait comparer les chaînes d’info continue avec le « covering live » des sites d’information. En début d'après-midi, ce mercredi, 260 000 lecteurs avaient consulté le site du Monde.  L’an dernier pour les révolutions arabes, ils n’étaient que 20 000 ! C’est donc un vrai phénomène. Mais le live du Monde ne prétend pas proposer de scoop. Ils sont davantage dans une logique de décryptage et de réponses aux questions des internautes. Le problème de BFMTV c’est qu'ils mélangent tout.

Vous dénonciez également dans l’un de vos derniers billets « la météo des experts ». Mais sachant qu’en règle générale les journalistes ont des formations généralistes, le recours aux experts n’est-il pas inévitable ?

Je ne condamne pas le recours aux experts de manière générale. Je condamne l’overdose des experts. Je pense notamment à BFMTV que j’ai regardé abondamment ces derniers jours : ils convoquent un pseudo expert avec une fonction ronflante de « criminologue » et celui-ci passe sa journée à extrapoler sur la vie de Mohamed Merah dont il ne connait rien.

Christian Prouteau qui a créé le GIGN se trouvait également sur le plateau de BFMTV. Il dispose d’une certaine légitimité…

Certes, il dispose d’une certaine légitimité sur la façon dont on mène une négociation. Mais le criminologue à qui l’on demande son avis sur un homme qu’il n’a jamais rencontré et dont il ne connait rien… Il passe sa journée à déclarer que Mohamed Merah était moitié névropathe, moitié psychopathe… Le but reste donc de meubler.

Comment expliquez-vous que ce phénomène ne concerne pas seulement la France, mais l’ensemble des pays occidentaux ? Tous les journalistes du monde entier seraient donc contaminés ?

Il y a un effet pervers de l’info continue, de l’info chewing-gum, qui pousse au dérapage. On doit créer l’événement, il faut meubler, et ainsi on en arrive à annoncer la fausse reddition de Mohamed Merah. Si vous mettez un journaliste à l’antenne pendant quatre heures d’affilée, il finira forcément par dire une bêtise à un moment donné, avec un mot qui lui échappe. Ce fut le cas.

Mais BFMTV a battu ses records d’audience à l’occasion de sa couverture de la tuerie de Toulouse. Il existe donc bien une demande pour les programmes proposés par cette chaîne. Ce serait donc le public qui serait responsable de ce que vous dénoncez…

Non, le public prend ce qu’on lui propose. Rien n’obligeait BFMTV à tenir l’antenne toute la journée sur un même sujet. Il se passe tout de même d’autres choses dans le monde !

Mais les feuilletons, ça marche toujours. Le suspense est un moteur d’audience. Il y a des personnages, une intrigue (Va-t-il se rendre ? Le Raid va-t-il faire exploser la porte ? S’en sortira-t-il vivant ?). Selon moi, tout ceci n’est pas de l’information. L’information consiste à dire « il a été tué à telle heure » ou « il s’est rendu à telle heure ».

Vous n’en avez pas marre de passer pour un donneur de leçons en matière de journalisme ?

(rires) Non, ça fait 15 ans que cela se passe ainsi. Mon métier consiste juste à faire un travail de journaliste sur le journalisme.

Vous êtes finalement devenu l’un de ces « experts » que vous dénoncez. Un expert en journalisme…

C’est vous qui le dites. Moi, je me contente d’écrire mon petit papier tous les matins en peignoir de bain, les yeux à moitié fermés, en essayant de comprendre le monde.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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