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Berlin et Athènes, la lutte au couteau : qui réussira à rallier l’Europe à sa cause ?
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Alors que Jean-Claude Juncker, le président de l'Eurogroupe, a déclaré que la Grèce jouait sa "dernière chance", le Premier ministre grec estime qu'une sortie de son pays de la zone euro serait "dévastatrice" et réclame deux années supplémentaires pour mettre en place les réformes.

Jean-Luc  Sauron

Jean-Luc Sauron

Jean-Luc Sauron est professeur associé à l'Université Paris-Dauphine.

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Que recherche Antonis Samaras dans sa tournée européenne ? Le Premier ministre grec vient de rencontrer le président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, à Athènes qui ne lui a fait que confirmer ce qu’il savait déjà. Le gouvernement grec doit faire la démonstration de sa capacité à respecter les engagements qu’il a pris vis-à-vis de ses partenaires et créanciers.

Ces derniers ne prendront aucune décision sur la suite à donner à l’aide européenne avant de lire le rapport de la troïka (BCE, FMI, et Union européenne) sur la situation économique de la Grèce qui doit être rendu fin septembre. Les déclarations d’Angela Merkel et de François Hollande jeudi 23 août à Berlin vont d’ailleurs dans le même sens : pas question de relâcher la pression, la Grèce se doit de tenir ses engagements. En entreprenant cette tournée européenne, M. Samaras s’adresse, en réalité, à la population grecque et aux membres de sa coalition gouvernementale. Il justifie de ses efforts pour sauver la Grèce. Si cela ne marche pas, ce ne sera pas de sa faute. Et les choses pourront alors continuer comme avant.

La seule véritable nouveauté du discours politique grec est dans la menace qu’agite désormais sa classe politique. Auparavant, il s’agissait du risque de voir la Grèce basculer dans une crise politique et sociale, pouvant déboucher sur le retour de la dictature. Dans son entretien au journal Le Monde du 24 août 2012, M. Samaras a changé de registre : « Les bouleversements sociaux [suite à une sortie de la Grèce de la zone euro, voire de l’Union européenne] pourraient devenir très contagieux dans les autres pays européens. Combiné à l’instabilité du Proche et du Moyen-Orient, cela pourrait devenir un cauchemar géopolitique qui dépasserait les frontières grecques. ». Bref, le Premier ministre grec nous annonce que les Balkans restent une zone capable d’entraîner l’Europe et le Monde dans une conflagration mondiale comme …en juillet 1914 après l’assassinat de l’archiduc François-Joseph et le déclenchement de la Première guerre mondiale ! Finalement, le seul secteur exportateur de la Grèce serait celui des conflits.

De manière plus générale, quelle est la situation de l’Union européenne en cette fin d’année 2012 ? Contrairement à beaucoup de commentaires, sa dette n’est pas si éloignée de celle des Etats-Unis : 11 400 milliards d’euros pour les Etats-Unis (août 2012) contre 8. 215 milliards d’euros (fin 2011) pour la zone euro. Néanmoins, si des efforts commencent à se faire jour pour relancer la croissance (les 120 milliards d’euros du plan de croissance adopté en juin dernier par le Conseil européen), ils semblent bien peu par rapport aux 400 milliards d’euros des plans d’austérité des pays de la zone euro sur les trois dernières années. De plus, les dettes publiques dans les Etats en crise (Grèce, Italie, Espagne et Portugal) augmentent au fur et à mesure des politiques prises pour réduire leur déficit budgétaire.

Deux Europe s’opposent. Les ministres des Affaires étrangères Guido Westerwelle (Allemagne), Audronius Azubalis (Lituanie), Edgars Rinkevics (Lettonie), et Urmas Paet (Estonie) reconnaissent désormais que « les déséquilibres qui se sont produits n'étaient pas limités à ceux des économies nationales de la zone euro. Il y a aussi un écart croissant entre les débats nationaux sur l'Europe ». La situation est grave. L’enjeu ne se limite plus seulement au domaine économique, mais touche tout ce qui fonde l’identité européenne, c’est-à-dire une certaine idée de la démocratie politique. Or la crédibilité de la classe politique européenne est en cause.

Depuis le début de la crise de la zone euro, les déclarations politiques en principe définitives ne cessent de se succéder (près d’une vingtaine de Conseils européens de « la dernière chance ») et les engagements s’accumulent sans que la moindre issue n’apparaisse. Ainsi, le délai de deux ans demandé par Antonis Samaras pour mener à bien les précédents engagements souscrits (mais non tenus jusqu’ici), coûterait, selon certains 20 milliards d’euros, pour d’autres, il atteindrait même les 60 milliards.

La différence est quand même loin d’être marginale ! Il aura fallu le départ de Silvio Berlusconi pour apprendre que les engagements qu’il avait pris vis-à-vis de ses partenaires n’avaient finalement pas été tenus. En Espagne, Bankia avait été constituée par le rachat de caisses d’épargne en difficulté par des établissements bancaires présentés comme sains. Aujourd’hui, après moult atermoiements, le gouvernement espagnol demande enfin l’aide des Européens pour sauver Bankia. Et la liste est longue : le scandale Libor, la découverte que les taux de déficit public ne sont pas les vrais (Grèce, Espagne), etc.

Comment restaurer la crédibilité de la parole politique en Europe ? C’est tout l’enjeu de la mise en œuvre du traité sur la stabilisation, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (ci-après TSCG). Son objectif est de contraindre les gouvernements à respecter leurs engagements vis-à-vis des autres gouvernements quant à l’équilibre budgétaire et au désendettement. Trois dispositions sont prévues dans le TSCG : l’inscription de la recherche de l’équilibre budgétaire dans un texte national suffisamment contraignant pour renvoyer aux cours constitutionnelles nationales le respect de cet engagement, la Cour de justice de Luxembourg n’étant pas compétente pour le faire ; la mise en place de textes (mesures automatiques correctrices en cas de non-respect de l’objectif budgétaire) ou d’institutions indépendantes chargées de surveiller le respect des contraintes budgétaires (en France, ce sera le rôle de la Cour des comptes) ; la possibilité de faire condamner par la Cour de justice un Etat qui n’aurait pas transposé dans son droit interne les mesures précédentes.

Cet objectif ne doit toutefois pas se faire au détriment de la démocratie parlementaire nationale. C’est la "leçon" allemande donnée à l’Europe. Le Bundestag a vu ses compétences renforcées et assure aujourd’hui un suivi strict des positions prises par le gouvernement allemand dans le domaine de la coordination budgétaire et dans celui de l’aide aux Etats européens en difficulté. Cette surveillance parlementaire est confortée par les décisions de la Cour de Karlsruhe qui garantissent que les engagements pris sont conformes avec la loi fondamentale.

L’adoption de la loi organique par le Parlement français en septembre prochain, assurant la transposition du TSCG en France, devra garantir au peuple français le même standard de protection de ses droits (renforcement des droits du Parlement, renforcement des compétences du Conseil constitutionnel). Cette réforme de la démocratie nationale apparaît nécessaire pour l’adapter à l’exercice conjoint de la souveraineté nationale.

La crise traversée par les Européens demandera du temps : au moins une demi-génération soit une quinzaine d’années, au bas mot. La classe politique européenne doit clairement l’annoncer. Il faudra beaucoup de patience, comme celle dont ont fait preuve les Allemands: le 3 octobre 2010, ils finissaient seulement de rembourser les indemnités qu’ils devaient, suite à la fin de la Première Guerre mondiale ! Cette même Europe couverte de cathédrales, construites souvent en plus d’un siècle, doit aujourd’hui réapprendre à se projeter sur le temps long, celui des acteurs de l’Histoire. Dans ce cadre, les rapports de force entre les Etats européens s’équilibreront à la mesure des engagements tenus par chacun.

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