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BCE, FED, Banque du Japon...vous croyez que les banques centrales font vraiment  tout ce qu’elles peuvent ? Voici pourquoi il n’en est rien
©Reuters

Game Over

BCE, FED et BoJ ont récemment rendu leurs décisions et les directions économiques qu'elles envisagent de prendre pour l'avenir. Malheureusement, le manque de courage ( ? ) des banques centrales les plus influentes de la planète est préjudiciable à l'économie.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Nous attendions depuis des mois les trois grands argentiers qui font la pluie et le beau temps (surtout la pluie) sur les marchés et dans l’économie. C’est peu dire si les "décisions" des derniers jours ont été décevantes. C’est même une honte. Nous aurons les conséquences.

1. Le Japon (avant hier) mérite la palme de l’horreur, la grande croix des saboteurs, un zéro pointé. Décidée à tourner le dos à ses propres engagements et à un siècle de recherche dans le domaine monétaire, la Banque du Japon se lance dans le "Yield targeting" : elle vitrifie le marché obligataire, en gros elle casse le thermomètre, elle cible donc un taux 10 ans nominal autour de 0% au lieu d’agir par la base monétaire. On ne sait pas bien comment cela va se traduire concrètement, mais c’est aux antipodes de la pensée monétaire fréquentable qui recommande de ne jamais viser les taux nominaux, ces faux jetons (ils peuvent être trop bas à 5% et trop hauts à -1%). Ça ressemble à la FED des années 1940, ou à certaines pratiques douteuses des années 70, tout le monde va donc parler encore plus de compression artificielle voire de "répression financière", c’est bête à manger du foin et bien entendu les marchés ont rapidement analysé ce hara-kiri : les actions ont gagné à peine +2% (un simple petit ouf de lâche soulagement après des mois d’attente), le Yen s’est renforcé (proche de 100 pour un dollar) ce qui est très exactement l’inverse de ce qu’il faudrait obtenir. Les raisons invoquées sont à la fois obscures et insignifiantes (repentifier la courbe des taux ? c’est vraiment une priorité, ça…). Le lobbying bancaire a fonctionné, et le pire c’est qu’il joue ici sans le savoir contre ses intérêts. Le seul point positif : quand il a réaffirmé son objectif d’une inflation à 2%, le traitre Kuroda a suggéré un possible overshooting temporaire, le temps que les anticipations s’affermissent. Ce n’est pas un vrai pas vers le Price Level Targeting, mais c’est toujours ça de pris. Le problème, c’est que le Yield targeting ne permet pas du tout un retour aux 2%, alors comment pourrait-il conduire à un dépassement des 2% ?   

2. La FED a été moins lamentable, juste médiocre comme depuis trois ans. Elle ne fait plus de la politique monétaire (conduire les anticipations, proposer un agenda aux marchés, éviter les incohérences temporelles), elle fait la politique du chien crevé au fil de l’eau : on ne sait jamais complètement ce qu’elle va faire avant chaque réunion. Là, la majorité des prévisions en faveur du maintien du taux de référence a eu raison, et c’est tant mieux vu le ralentissement économique et le revirement de presque tous les indicateurs de conjoncture. Mais nous n’en saurons pas plus, et 60% des analystes misent sur une hausse à la réunion de décembre, un an après une erreur isolée. Ce n’est pas brillant, pas très digne après les papiers de recherche du symposium de Jackson Hole il y a trois semaines, et je vous l’avais dit : le faux pragmatisme du "data driven" est le cache-sexe d’une politique discrétionnaire de stop&go. Le seul avantage c’est que la fenêtre d’opportunité pour une faute directe va se refermer : je craignais beaucoup septembre, surtout après les propos délirants de certains satrapes de la FED ces derniers temps ; maintenant je crois que l’on peut éviter de voir se reproduire cette année l’erreur de décembre 2015 : les créations d’emplois mensuelles (NFP) sont déjà sur une pente déclinante, et bientôt la FED ne pourra plus l’ignorer. En arriver à presque souhaiter de mauvaises nouvelles pour conjurer des désastres, voilà à quoi on arrive avec les banques centrales indépendantes.  

3. Pour rappel, la BCE quelques jours auparavant a beaucoup déçu en ne donnant aucune précision sur ses intentions pour 2017 (on ne sait toujours pas si le QE sera étendu après mars 2017). Draghi reconnait que le peu d’inflation qui restera cet hiver sera un résidu statistique, il ose demander une détente budgétaire, il multiplie les diversions, et l’institution se dote ainsi d’une "task-force" en charge de mettre en avant les "réformes économiques" que les gouvernements de l’union "devraient" mettre en place afin d’aider à la "relance de la zone". Traduction : les non-élus vont faire pressions sur les élus pour une hausse de l’offre en pleine crise de la demande, et pour des hausses d’impôts tôt ou tard. Bien entendu il y a pire en matière de tartufferie. Weidmann (Bundesbank, le surmoi de la BCE), interview 20 septembre 2016 dans Le Monde : "La crise financière et les hésitations des politiques nous ont poussés dans ce rôle, et nous nous sommes laissé faire. Résultat, nous nous sommes mis à intervenir toujours plus sur les marchés, et ce rapprochement avec la politique financière est aujourd’hui problématique". Ah c’est une crise bien entendu, pas une crise monétaire (il y a 8 ans, le taux BCE à 4,25% et l’euro dollar à près de 1,60). Le "nous nous sommes laissé faire" est du plus haut comique quand on connait le pouvoir de la BCE et son rôle dans la crise des pays périphériques. La critique de rapprochement avec la politique financière cache mal un rapprochement consanguin de la Bundesbank avec les banques allemandes, mais passons.

Au fond, toutes les banques centrales nous disent ceci : ne comptez pas trop sur nous pour faire notre travail de ré-ancrage des anticipations d’inflation, regardez plutôt du coté des autorités budgétaires (hypocrisie : ces mêmes banquiers centraux suppliaient il y a peu pour plus d’austérité), et faites-nous confiance "nous y arriverons" comme dit Merkel. Hypocrisie totale du "nous" comme d’habitude : de même que la chancelière ne vivra jamais dans une barre HLM avec des migrants, les banquiers centraux ne vivront jamais les conséquences de leur politique faussement accommodante et réellement déflationniste. Les charges ne seront pas partagées, dans moins de 10 ans ces banquiers centraux présideront une banque commerciale ou cumuleront les postes honorifiques, et "nous" paieront leur inaction, comme depuis 2008.

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