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Banques : la logique du "prends l'oseille et tire toi!" ne pourra pas durer
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Money money money

La banque américaine Goldman Sachs a annoncé une perte de 428 millions de dollars au troisième trimestre 2011. Elle a pourtant accumulé depuis le début 2011 plus de 10 milliards de dollars pour son compensation fund, un fond de réserve destiné à ses employés.

Benjamin Coriat

Benjamin Coriat

Benjamin Coriat est économiste au Centre d'Économie Paris Nord (Université Paris 13 / CNRS).
Il appartient au collectif des "économistes attérrés" et a co-signé 20 ans d'aveuglement - L'Europe au bord du gouffre (Les liens qui libèrent, 2011).

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Atlantico : La banque américaine Goldman Sachs enregistre des pertes qui se chiffrent en centaine de millions de dollars. Malgré cette conjoncture maussade, elle continue à fournir des bonus phénoménaux à ses salariés et ses actionnaires. La conjoncture économique maussade ne semble pas avoir d’incidence sur les montants des bonus ?

Benjamin Coriat : Cela ne me surprend pas du tout. Cette façon d’agir illustre la déconnexion complète qui persiste entre les performances des banques et les bonus  attribués aux cadres et aux actionnaires.

Depuis un bon moment déjà, a été mis en place dans les entreprises un dispositif autonome de confiscation d’une partie considérable de la valeur, au profit d’une petite minorité. Les faits sont clairs, têtus et parlants. Cette minorité est installée dans des privilèges exorbitants, et tout se passe comme si elle s’attachait à profiter de ce système et à prolonger son existence autant que possible .

Je pense que cette toute petite minorité est dans une logique de type : « prends l’oseille et tire toi ». Après la recapitalisation des banques en France comme aux Etats-Unis , les banques se sont précipitées pour rembourser les Etats, afin de pouvoir se libérer au plus vite de la contrainte qui les empêchait de  poursuivre dans leurs pratiques habituelles de versement de dividendes et de bonus . C’est ainsi qu’elles n’ont pas utilisé leurs profits pour se recapitaliser et qu’aujourd’hui il faut les recapitaliser à nouveau.

Que penser des tentatives d’encadrement des bonus engagées notamment pendant la réunion du G20 ?

Le G20 est lui-même traversé par des contradictions extrêmement fortes. De plus, du coté des Etats-Unis et de l’Angleterre, les lobbies financiers  continuent d’être extraordinairement puissants, et ils font en sorte que les mesures ne soient pas prises ou qu’elles soient suffisamment floues et vagues pour que tous les contournements soient possibles.

Il est clair qu’au bout d’un certain temps, toute réglementation finit par être contournée.  Mais il est clair aussi que des réglementations fermes, claires et précises, (ce qui n’était pas le cas des recommandations du G20) ne seraient pas si faciles à contourner.

Ainsi par exemple il faut le rappeler les dispositions du Glass Steagall Act qui séparaient les banques d’affaire et les banques commerciales ont permis 30 ans de stabilité financière. Elles n’ont été contournées qu’à partir du moment où il y a eu complicité des régulateurs. Cette idée qu’il est compliqué de règlementer est fausse et tendancieuse.

Les banquiers se sont fabriqués avec la complicité des régulateurs, une espèce de bulle mais surtout un dispositif dont ils contrôlent tous les éléments et  qui leur permet de se redistribuer des sommes absolument faramineuses.

Historiquement, l’idée était d’inciter les manageurs à se comporter comme des actionnaires, en les rémunérant avec des stocks options. En pratique, ce dispositif a été détourné par les conseils d’administrations et les hauts managers alliés avec les gros investisseurs, au détriment des petits épargnants.    

Que préconisez- vous ?

A supposer même qu’il faille préserver le système des stock-options, ce qui est hautement discutable, l’urgence est de rétablir une fiscalité forte, sur ces titres ce qui rendrait l’instrument beaucoup moins attractif pour ses bénéficiaires.

Une deuxième mesure consisterait à taxer normalement les profits investis et à taxer de façon beaucoup plus forte les profits distribués par les entreprises à leurs cadres et managers. Je crois qu’il faudrait également plafonner un certain nombre de revenus, ceux qui dépassent 20 fois le salaire moyen de l’entreprise, par exemple.

Le fond de l’affaire, c’est que la finance a réussi, dans les années 1980 et 1990 à convaincre  les élites qu’elle était la solution pour assurer la croissance. Ce qui  n’a été vrai (et encore au prix de la montée de fortes des inégalités que pour le cas des Etats-Unis) que pendant la décennie 1990. Le problème c’est que les élites européennes ont été colonisées par cette vision des choses et ont tout joué sur le renforcement des marchés financiers. Au fond les élites aussi bien politiques que technocratiques pensent  encore qu’il est possible de fonctionner sur ce modèle qui repose sur la finance. Elles ne sont pas prêtes à le mettre à bas.

Rappelons que de 1945 à 1975, il n’y a pas eu de crises financières. C’est à partir du moment où on nous avons lâché la bride de la finance que nous avons assisté à une récurrence des crises financières. La déréglementation n’a rien de naturel : elle est la conséquence d’une série de lois, de mesures réglementaires, jurisprudentielles, légales, qui ont donné toute la main à la finance. A partir de 1973, en France, puis en Europe, on a par exemple interdit aux banques centrales d’acheter des bons du trésor des Etats nationaux. Résultat, les Etats nationaux ne pouvaient plus se financer que sur des marchés financiers. Et aujourd’hui les marchés financiers font exploser les taux d’intérêt sur les dettes publiques et mettent en danger les Etats eux-mêmes.

Comment la crise a affecté les banques ?

Elles ont dans leur bilan des tonnes d’actifs toxiques, des titres qu’elles ont  évaluées à des valeurs fictives, parce qu’elles savent très bien que personne n’en voudrait à leur valeur de marché. Ce que nous ignorons c’est jusqu’où elles ont arrangé leur bilan en introduisant des valeurs fictives.  Ajouter à cela les titres des dettes publiques qui sont aujourd’hui attaqués et on comprend le massacre auquel on assisté cet été. La valeur boursière des titres bancaires s’est effondrée ; les grandes banques françaises ont perdu entre 38 et 60% de leur valeur.

Si nous évoquons en ce moment le besoin d’une recapitalisation des banques, c’est parce que, à nouveau se présente une menace d’ insolvabilité des banques. J’espère que cette fois la leçon sera retenue et que la comédie que nous avons vécue (les banques recapitalisées par de l’argent public, se précipitent pour distribuer aux cadres et actionnaires leurs profits) ne se reproduira et que des mesures dans ce sens seront prises.

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