Baisse record de l’euro : entre incertitudes renforcées et nouveaux espoirs<!-- --> | Atlantico.fr
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L’euro est actuellement au plus bas depuis 20 ans face au dollar.
L’euro est actuellement au plus bas depuis 20 ans face au dollar.
©Denis CHARLET / AFP

Monnaie unique

L’euro est actuellement au plus bas depuis 20 ans face au dollar, s'échangeant à 1,02 euro pour un dollar. Comment expliquer cette baisse de l’euro face au dollar et quelles pourraient être les conséquences pour l’Europe d’une hausse du déficit commercial ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : L’euro est actuellement au plus bas depuis 20 ans face au dollar, s'échangeant à 1,02 euro pour un dollar. Quels pourraient être les bénéfices d’une telle baisse ? La part de mauvaises nouvelles ?

Michel Ruimy : Une dépréciation de l’euro par rapport au dollar présente, en théorie, un avantage de « compétitivité-prix » pour les entreprises qui exportent leurs biens / services en dehors de la zone euro. Cette baisse de prix leur permet, en effet, de vendre plus facilement leurs marchandises et/ou d’augmenter leurs marges. Cette situation concerne plutôt le segment du « moyen de gamme » que celui du « haut de gamme » et les secteurs comme l’automobile, le luxe, le vin ou encore l’aéronautique.

A l’inverse, la dépréciation de l’euro se traduisant (surtout) par une augmentation des pressions inflationnistes importées, les entreprises qui achètent des produits venant hors de la zone euro (pétrole, matières premières en général, biens semi-finis…) sont les perdantes du fait du renchérissement du prix de leurs marchandises et de la baisse de leurs marges.

Les industriels allemands pourraient, dans une certaine mesure, souffrir en raison de la hausse des coûts de production. En effet, nombre d’entre eux font venir des pièces détachées d’un peu partout dans le monde, notamment d’Europe de l’Est, avant de les assembler dans le pays. De leur côté, avec des produits moins « haut de gamme », la France et l’Italie pourraient davantage en profiter à la condition que le renchérissement des importations ne vienne pas tout gâcher.

Cette problématique est la même pour les consommateurs sachant que le climat de confiance des ménages, qui voient leur pouvoir d’achat limité par cette dépréciation, est en baisse.

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Enfin, le scénario d’enlisement du conflit entre l’Ukraine et la Russie - Il nous faut entériner le fait qu’une issue diplomatique du conflit est très peu probable d’ici la fin de l’année 2022 - conduit inexorablement les firmes à revoir à la baisse leurs plans d’investissement et d’embauche, sur fond de consommation atone. La résilience des entreprises se transforme peu à peu en talon d’Achille conjoncturel. Plus dure sera la chute, si elles modifient, de manière synchrone, leur politique après la période estivale pour se replier sur des stratégies d’ajustement défensif. Cette situation induit un net décrochage des perspectives de croissance par rapport à ce qui avait été envisagé en début d’année.

Comment expliquer cette baisse de l’euro face au dollar ? Est-elle justifiée ?

La parité actuelle de l’eurodollar sous les 1,05 dollar ne fait que valider la réalité des écarts économiques et financiers entre les Etats-Unis et la zone euro.

L’économie américaine est plus performante que celle de la zone euro. En 2021, le produit intérieur brut américain s’est établi en hausse de 5,7%, sa meilleure performance depuis 37 ans contre 5,2% pour l’Union européenne. Sur le plan de l’emploi, la situation est largement à l’avantage des Etats-Unis, avec un taux de chômage, au sens du BIT, de 3,6% contre 6,8% en Europe. Dans un contexte inflationniste plus important, la Réserve fédérale américaine a resserré vivement sa politique monétaire, bien avant la Banque centrale européenne (BCE). La crédibilité de chacune des banques centrales n’est donc pas perçue de la même manière et cela peut pousser bon nombre de personnes à se tourner vers le billet vert d’autant que les écarts de taux d’intérêt - le niveau des taux d’intérêt à 10 ans est aux alentours de 3,20% outre-Atlantique contre 1,30% en Allemagne et 1,90% en France - sont également en faveur des Etats-Unis.

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Actuellement, la baisse de l’euro est un des catalyseurs de la montée de l’inflation dans l’Union européenne. Cette hausse durable et générale des prix abaisse le pouvoir d’achat des consommateurs, élément au cœur de l’actualité, et inquiète les citoyens tout comme les gouvernements des pays européens. Dans cet environnement, on s’attend à observer une augmentation de la dette publique déjà très importante et jugée par certains, comme critique. Cela risque d’entrainer une hausse des taux d’intérêt de moyen-long terme et, par conséquent, de limiter l’accès au crédit et de réduire l’investissement. Ceci aura un effet contre-productif dans une période où l’économie a besoin de capital pour se relever de la crise sanitaire passée.

Tant que le taux directeur de la BCE est et restera à un niveau inapproprié à la situation économique européenne, l’eurodollar devrait se stabiliser durablement autour de 1,05 dollar voire plus bas. En effet, les crises sanitaire et, plus récemment, géopolitique actuelles, ont mis en lumière une Europe fragile sur de nombreux points et l’eurodollar a dépassé ce seuil.

Ainsi, la dépréciation de l’eurodollar est, à la fois, justifiée et appelée à se poursuivre à court terme.

Quelles pourraient être les conséquences pour l’Europe d’une hausse du déficit commercial, en Allemagne ou en France ?

L’Allemagne a construit un modèle sur la performance de son économie à l’export. Sa stratégie était de se positionner sur des produits à haute valeur ajoutée comme les voitures « haut de gamme » (BMW, Mercedes, Audi, Porsche, Volkswagen) et les machines-outils avec une délocalisation d’entreprises, notamment en Europe de l’Est, dans la fabrication des pièces détachées. Elle triomphait à l’époque de la globalisation triomphante c’est à dire quand le commerce mondial se déroulait sans frictions, avec peu de risques et d’incertitudes et avec la protection implicite des Etats-Unis.

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Si l’Allemagne a besoin, de manière générale, d’un euro fort et stable - Les retraites en Allemagne sont plus faibles qu’en France et les Allemands doivent donc épargner sur des salaires bas pour se constituer une retraite. Un euro faible leur est donc préjudiciable -, la force de l’euro n’est pas, en revanche, un handicap pour les exportations allemandes car elles sont majoritairement composées de produits à haute valeur ajoutée, peu sensibles aux variations de coût.

Mais la fragmentation de la mondialisation et le retour du risque géopolitique risquent, à terme, de compliquer la tâche allemande. Vendre en Russie va devenir plus difficile. La croissance chinoise est moins élevée qu’auparavant et les conflits entre Pékin et l’Occident se multiplient (Une invasion chinoise à Taïwan serait un frein avec les sanctions économiques qui en découleraient).

Les perspectives sont donc négatives pour l’Allemagne, qui devra faire preuve d’agilité en adaptant le modèle traditionnel de ses exportations, basé sur l’industrie, à la nouvelle donne internationale mais également, pour la zone euro, qui a besoin de la puissance allemande pour garantir et asseoir sa crédibilité.

Un niveau durablement bas de l’eurodollar et, a fortiori, inférieur à 1 dollar, pourrait nuire à la crédibilité de l’Union européenne et susciter un mouvement de défiance à son égard surtout si la situation de notre voisin venait à perdurer. La BCE devra dans les prochaines semaines et prochains mois montrer de sérieux plans monétaires pour relever la balance en faveur de l’euro et éviter le pire. L’évolution du conflit russo-ukrainien risque de grandement influencer les décisions à venir, d’où une banque centrale européenne prudente et lente dans ses décisions.

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