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Bachar al-Assad crie à l’intox sur l’emploi d’armes chimiques : ce qu'on sait vraiment de l’attaque de Khan Cheikhoun
©Reuters

Confusion

Le souvenir des "armes de destructions" massives soit disant présentes en Irak. D'où une vague de suspicion importante qui accompagne les récents événements syriens, de l'attaque aux armes chimiques à la riposte américaine.

Romain Mielcarek

Romain Mielcarek

Romain Mielcarek est journaliste indépendant, spécialiste des questions de défense et de relations internationales. Docteur en sciences de l'information et de la communication, il étudie les stratégies d'influence militaires dans les conflits.

 

Il anime le site Guerres et Influences (http://www.guerres-influences.com). Il est l'auteur de "Marchands d'armes, Enquête sur un business français", publié aux éditions Tallandier.

 
 
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Atlantico : Le spectre des "armes de destruction massive" d'Irak plane sur la récente intervention armée des Etats-Unis en Syrie. Le doute et les "fake news" n'aidant pas, il est difficile de se faire une idée claire sur les récents événements qui se sont produits en Syrie, entre l'utilisation supposée d'armes chimiques par le régime syrien et la riposte américaine, les uns accusant les autres de mentir. Comment démêler le vrai du faux dans le discours de Bachar el-Assad quand il affirme que :

• Le régime ne possède "pas d'armes chimiques" ?

Il y a plusieurs armes chimiques qu’il faut distinguer. Dans le conflit syrien, il y en a trois principaux qui ont été repérés. Le gaz de chlore est le plus répandu ces derniers mois. C’est une substance rudimentaire qui, intégrée dans des projectiles, va permettre de causer des gênes respiratoires et des toux importantes. Cela réduit donc les capacités au combat et peut parfois être mortel. Le sulfure de dichlorodiéthyle, aussi appelé gaz moutarde, est plus dangereux et cause des brulures aux yeux et à la peau beaucoup plus grave.

Plusieurs ONG, locales comme internationales, accusent l’armée syrienne d’utiliser régulièrement du gaz de chlore, notamment dans des bombardements aériens. En face, l’Etat islamique a démontré sa capacité à le synthétiser depuis 2015 et l’a utilisé à de nombreuses reprises, même si leurs vecteurs (souvent des mortiers) ne sont pas toujours parfaitement opérationnels. Cela n’est pas très difficile techniquement. De manière moins importante et moins efficace, l’EI a aussi développé du gaz moutarde. Mais il reste largement instable. Les autres groupes djihadistes et rebelles n’ont pas montré une volonté de mettre en œuvre des armes chimiques.

L’autre arme chimique régulièrement évoquée est le sarin. Ce gaz est fortement mortel et celui-là qui a été utilisé à Khan Cheikhoun début avril, faisant 100 morts. C’est aussi le sarin qui avait causé la mort de plusieurs centaines de personnes à la Ghouta en août 2013. Le sarin est beaucoup plus complexe à produire, à conserver, à déplacer et à exploiter. Je n’ai jamais croisé de sources, y compris parmi les gens qui ont enquêté sur le terrain, envisageant sérieusement que l’Etat islamique ait atteint la capacité de développer du sarin.

Pour répondre à votre question, donc, comment démêler le vrai du faux :

1) On sait que l’armée syrienne utilise des armes chimiques puisque l’utilisation du chlore, au moins, est connue et récurrente. Affirmer qu’il n’y a pas d’armes chimiques dans les rangs est donc un mensonge ridicule.

2) Reste à savoir si il y a du sarin : la grande majorité des ingénieurs confirme qu’il est extrêmement peu probable que l’Etat islamique soit capable d’en concevoir et d’en employer. D’autant plus que depuis 2016, la chaîne de production de chlore des djihadistes est une cible privilégiée de l’armée états-unienne. Plusieurs des principaux ingénieurs chimistes ont été tués.

3) L’une des sources mises en avant de manière récurrente pour dédouaner le régime est un rapport produit par deux experts indépendants états-uniens en 2013, qui concluait alors que les rapports produits par Washington mentaient. J’ai parlé par téléphone aux auteurs : ils expliquent que les rapports sont exagérés, et donc mensongers, ce qui pose un problème de crédibilité. Ils ne remettent pas en cause l’hypothèse la plus crédible, à savoir que c’est bien le régime qui a utilisé du sarin à cette époque.

En bref, difficile d’affirmer à 100% que c’est l’armée syrienne qui est responsable… Mais personne n’a le moindre début de piste pour démontrer que le contraire est possible. D’autant plus que Damas ne fait absolument rien pour réduire les doutes et prouver son innocence…

• L'attaque chimique est "une fabrication à 100%" ?

Construire un faux drame pour faire réagir la communauté internationale ? Pourquoi pas. Mais là, ce serait sacrément complexe. Il y a beaucoup trop de gens impliqués, beaucoup trop de témoins, beaucoup trop de victimes… Pour que ce soit une mise en scène.

De plus, des analyses ont pu être réalisées en Turquie, détectant l’un des principaux composants du sarin sur les victimes.

Un mensonge d’une telle ampleur est très peu crédible. Mais Bachar al-Assad s’en moque : il sait que de toutes façons, les hordes de naïfs convaincus par des complots tous aussi peu crédibles les uns que les autres prendront au mot ce qu’il raconte. Tout est bon pour dénoncer le mal supposé des Etats-Unis et pour soutenir ce pauvre président syrien, victime de la vindicte de Washington.

En cas de doutes, regardez les vidéos. Si vous croyez vraiment que des gamins qui suffoquent à mort avec de telles blessures sont des acteurs, alors il y a un souci.

• La "puissance de feu" de son armée, "n'a pas été affectée"

Ca, par contre, ce n’est probablement pas faux. Le bombardement états-unien n’avait à priori pas pour objectif de mettre l’armée syrienne hors d’état de nuire. Il s’agissait surtout d’adresser un message : les Etats-Unis sont prêts à frapper fort en Syrie, sans préavis et sans discussions au Parlement. C’est aussi un moyen de dire qu’on sait d’où est partie l’attaque chimique dont on accuse Bachar al-Assad.

C’est aussi un message à la Russie. Les Etats-Unis montrent ainsi qu’ils pourraient ne pas laisser Damas faire selon son bon vouloir et que la réaction pourrait être musclée.

Donc effectivement, la base de Shayrat est hors service pour un moment et en dehors de cela et de quelques aéronefs, les capacités syriennes ne sont pas gravement atteintes. Ce n’était pas le but. Reste que l’armée syrienne sait maintenant qu’elle peut subir de telles ripostes.

• "Les Etats-Unis, complice des terroristes" ?

Ca, c’est faux et c’est vrai en même temps. Tout dépend de ce que l’on appelle un terroriste ! Pour les Occidentaux, les terroristes, ce sont l’Etat islamique, le Front Fatah al-Cham (ex-Al Nosra, longtemps proche d’Al Qaeda) et quelques autres groupes. Ils font la distinction avec d’autres groupes rebelles concentrés sur la lutte contre le régime syrien. Les Etats-Unis soutiennent largement ces derniers groupes, notamment pendant longtemps l’Armée syrienne libre, qui n’est plus très influente, et les Kurdes.

L’Armée syrienne libre et les Kurdes n’ont pas mérité sur le champ de bataille d’être qualifiés de terroristes. Pourtant, pour Damas, tout opposant armé au régime est de fait un terroriste.

Selon que l’on prenne en compte le lexique d’un camp ou de l’autre, l’affirmation peut donc être vraie ou fausse.

• Il n'acceptera qu'une enquête "impartiale" ?

S’il y avait une volonté de transparence de Damas, on le saurait. Bachar al-Assad et son entourage savent qu’aux Nations Unies, ils n’ont plus beaucoup de soutiens. Rares sont les pays qui trouvent encore défendable ce régime. Même les Russes sont bien ennuyés avec cet allié gênant. Il s’agit en réalité ici de poser des conditions à l’enquête qui rende difficile la formulation de toute conclusion concrète.

C’est ce qui avait déjà été fait à la Ghouta en 2013 : les autorités syriennes avaient gagné du temps en empêchant les enquêteurs des Nations Unies de venir sur le terrain pendant plusieurs jours. Pourquoi imposer ces délais si l’on veut faire émerger la vérité ? C’est tout de même dommage de perdre le temps nécessaire à la récolte des preuves de la culpabilité des responsables.

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