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Jean-Michel Nogueroles a lancé une pétition en ligne afin de demander la gratuité de l'éducation dans les établissements français internationaux.
Jean-Michel Nogueroles a lancé une pétition en ligne afin de demander la gratuité de l'éducation dans les établissements français internationaux.
©PARCS PETER / AFP

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Jean Michel Nogueroles lance une pétition en ligne pour demander la gratuité de l'Éducation dans les établissements français internationaux. Économiste de formation, l'avocat international installé à Barcelone plaide pour les parents exclus du réseau de l'AEFE* - qui gère 543 établissements scolaires dans le monde - à cause d'une politique de transfert des frais de fonctionnement toujours davantage à la charge des familles. C'est une injustice pour les enfants exclus de cet enseignement pour des raisons économiques, et un coup dur pour les valeurs françaises d'humanisme universaliste et de laïcité dans le monde, estime Jean-Michel Nogueroles.

Francis Mateo

Francis Mateo

Reporter, écrivain, acteur et grand voyageur... Francis Mateo est journaliste indépendant et auteur de nombreux récits de voyages à travers le monde sous forme de reportages ; il a également publié le livre « Mon associé Fidel Castro » (éd. Histoire d'Être, 2012), qui analyse les dernières décennies de la révolution cubaine. Il est actuellement journaliste correspondant en Espagne, depuis Barcelone, pour plusieurs titres de référence de la presse française et méditerranéenne (tourisme, gastronomie, transports, urbanisme,...). Il a créé en 2019 le site d'information Barnanews.com, entièrement dédié aux francophones de Barcelone. Il est diplômé en Sciences Humaines à l'Université Paul Valéry de Montpellier (Sociologie, Psychologie & Psychanalyse).

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Jean-Michel Nogueroles

Jean-Michel Nogueroles

Jean-Michel Nogueroles est Avocat international et économiste de formation. Docteur en droit (Paris 1), Diplômé de Sciences Po (Economie et Finance), Master en économie appliquée de l’Université autonome de Barcelone et Master of Laws de l’université de Berkeley. Vice-président de l’association Harkis, Honneur, Histoire. Candidat aux élections législatives dans la cinquième circonscription des Français de l’étranger. Radicalement républicain – patriote et européen, viscéralement méditerranéen, issu d’une famille rapatriée d’Algérie, ayant la double nationalité française et espagnole.

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Pourquoi l'enseignement français à l'étranger devrait-il être gratuit ?

Jean-Michel Nogueroles : « En premier lieu parce que c'est un service public et que cela relève de l’une des missions régaliennes de l’État. L’AEFE*, l'établissement public sous tutelle du ministère des Affaires étrangères, a été créé par la loi du 6 juillet 1990 avec la double mission d’assurer la continuité du service public d’éducation pour les enfants français hors de nos frontières, et par ailleurs de contribuer à la diffusion de la langue et de la culture françaises à l’étranger. C'était donc une façon de réitérer et de décliner le principe du droit à une éducation française pour tous les jeunes Français, où qu'ils soient dans le monde. Et par conséquent, la nécessité de faciliter cet accès à l'enseignement français aux enfants des trois millions de compatriotes qui vivent hors de nos frontières. Au-delà, c'est une façon de défendre et diffuser des valeurs d'humanisme universaliste et de laïcité qui nous sont propres. Cette philosophie héritée de la Renaissance et des Lumières est aujourd'hui l'un des rares remparts, notamment, au mouvement « woke » de déconstruction de nos cultures, qui se répand à travers le monde depuis les États-Unis ».

Mais pourquoi les impôts français devraient-ils financer cet enseignement à l'international ?

Jean-Michel Nogueroles : « Il y a d'abord un argument politique, je dirais même civilisationnel, justement parce que l'enseignement français à l'étranger porte et diffuse, par son rayonnement, les fondamentaux de la culture française. Et que cette culture et ses valeurs, basées sur notre humanisme universaliste hérité de la civilisation gréco-romaine et de notre tradition judéo-chrétienne, auxquels la République devenue laïque a su faire écho, sont attaquées de toutes parts. Ils le sont à la fois par les tenants de la cancel-culture ou le wokisme venus d’Amérique et qui sévit à l’université mais aussi par les obscurantistes de tous bords, dont les islamistes Frères musulmans, ou bien encore par les grandes puissances impérialistes comme la Chine ou la Russie qui tentent de faire reculer tous les jours notre influence dans le monde (notamment en Afrique). Or les établissements d'enseignement français à l'international sont l’un des principaux vecteurs avec les Instituts Français du rayonnement de cette culture française. Leur affaiblissement représentera à terme une grave perte d'influence pour la France. Tout cela est hautement préjudiciable à la défense de l'universalisme et de la vision française pour les générations futures. Deuxièmement, je le répète, c'est également un principe d'équité et de liberté d'accès à l'enseignement pour tous les enfants français, où qu'ils soient. Mais il y a par ailleurs un argument économique : les impôts français proviennent aussi des Français installés à l'étranger, et ces recettes couvrent largement à elles seules le coût de l'enseignement et ce, même en y incluant également le coût des consulats (un peu plus de 200 millions)».

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C'est-à-dire ?

Jean-Michel Nogueroles : « Les recettes publiques des non-résidents atteignent près d'un milliard d'euros de revenus pour le ministère français des finances, selon les propres sources de Bercy, qui se garde bien de communiquer précisément sur le sujet. Pour prendre la mesure des impôts qui sont payés par les non-résidents, il faut se référer à un rapport d’information de la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale (en date du 17 septembre 2019), où l'on constate que la recette d'impôt sur le revenu recouvrés en 2016 auprès des contribuables non-résidents a atteint 712 M€. Et il faut ajouter à cela la recette de l'impôt sur la fortune immobilière également recouvrée auprès des non-résidents qui est de près de 180 millions M€ en 2016 ce qui fait déjà près de 900 millions d'euros (en 2016 – on peut raisonnablement considérer que c’est plus en 2021) ! On doit encore additionner les droits d'enregistrement (frais de notaire) ainsi que les droits de donation et de succession ainsi que les taxes foncières payés par les non-résidents ... et tout cela représente au moins 50 M€ par an (si ce n’est pas plus). On est donc tout près du milliard d'euros de recettes annuelles pour le fisc français, si ce n'est davantage ! A noter, sans entrer dans un discours technique, qu’avec la réforme de l'ISF (devenu l’impôt sur la Fortune Immobilière – IFI), la recette d’IFI pour les non-résidents qui possèdent des actifs immobiliers en France a dû augmenter en raison de la limitation des conditions de déduction de l’endettement des contribuables pour calculer la base imposable de cet impôt. »

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Combien coûte aujourd'hui l'enseignement français à l'étranger ?

Jean-Michel Nogueroles : « 417,6 M€ ont été alloués en 2021 à l'AEFE (qui gère les établissements français directement ou indirectement), plus 105,3 M€ de bourses. Soit au total 522,9 M€ de dépenses... contre environ 1 milliard d'euros de recettes d'impôts en provenance des non-résidents, dont les Français de l’étranger ! Ces mêmes Français qui doivent payer entre 6.000 et 7000 € par an en moyenne pour scolariser un enfant dans les établissements du réseau. Ce sont d'ailleurs la plupart du temps des familles qui ne sont pas assez pauvres pour accéder aux bourses, mais qui ne peuvent pas assumer des coûts de scolarité si élevés, surtout quand il y a deux ou trois enfants à charge, et qu'il faut multiplier d'autant les coûts. Car contrairement à l'idée reçue véhiculée notamment par François Hollande, qui avait décidé d'en finir avec la gratuité de l'enseignement français à l'étranger en 2012, il s'agit rarement de riches expatriés, dont les frais de scolarité des enfants sont pris en charge par une multinationale ! La majeure partie des Français de l’étranger sont aujourd’hui des salariés ayant conclu un contrat de travail de droit local. Dans 80% des cas, ce sont des Français de tous horizons avec toutes sortes d'emplois, salariés ou indépendants, ou encore fonctionnaires, des familles dont les frais de scolarité ne sont donc pas assumés par une société internationale, mais à leur charge. Et environ un tiers de ces familles sont aujourd'hui en risque d'exclusion du système d'enseignement français ».

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Mais la gratuité que vous réclamez à travers votre pétition en ligne obligerait-elle à accueillir dans les mêmes conditions les enfants étrangers dans l'UE ?

Jean-Michel Nogueroles : « Avant tout, il faut savoir que les Français ne représentent plus que 37% en moyenne des élèves dans ces établissements internationaux. Notamment parce que beaucoup en sont restés à la porte pour des raisons économiques. Pour autant, mes contradicteurs opposent souvent le principe de non-discrimination au sein de l'Union Européenne, qui serait un frein à cette gratuité ou à tout allègement des frais de scolarité dans les établissements français. Je répondrai à cela que nous pourrions envisager en effet une augmentation de la prise en charge directe des frais d’exploitation de ces établissements mais également une augmentation du système de bourses alloué aux enfants français, en multipliant par exemple leur montant total par deux ou par trois. Ce qui pourrait permettre d’arriver à la gratuité ou une quasi gratuité en pratique en élargissant le nombre de bénéficiaires. Il faudrait par la même occasion se poser la question de l'opacité dans la gestion de ces établissements par l'AEFE, objet de procédures judiciaires en cours, comme les nombreuses récriminations de la Cour des Comptes. C'est un problème lié au fonctionnement de l'AEFE sur lequel on peut raisonnablement s'interroger, étant précisé que la performance ou, à l’inverse, le défaut de performance dans la gestion des établissements, peuvent à l’évidence avoir des conséquences financières directes pouvant accentuer ou au contraire atténuer l'exclusion d'une partie de nos compatriotes du système d'éducation français à l'international ».

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Est-ce un problème politique ?

Jean-Michel Nogueroles : « C'est uniquement un problème politique ! Et qui a aussi des conséquences économiques pour notre pays. À force de rogner, dans une logique strictement comptable et avant tout court-termiste, sur des dépenses que l’on devrait regarder comme des investissements car elles pérennisent, symbolisent et portent le flambeau des valeurs qui ont fait la force et le rayonnement de la culture française, et donc la grandeur de la France dans le monde, nous finissons par en payer le prix. Je le constate directement en Catalogne, où la bourgeoisie locale choisissait d'éduquer ses enfants au lycée français pour les valeurs et la culture qui y étaient enseignées. Ces personnes, comme les Français qui ont étudié dans ce même établissement, sont devenus des ambassadeurs de la culture française et des partenaires économiques. Ces relais sont aussi de possibles ressources humaines à l'exportation pour les entreprises françaises que l’on soit à Barcelone, à Abidjan, à Hanoï ou à Los Angeles... Cela démontre aussi qu’une politique de long terme permet aux entreprises françaises de se développer dans le monde, comme l'ont d'ailleurs les Chinois, et pas uniquement une vision à court terme guidée par des considérations électorales et comptables immédiates. C'est l'un des paradoxes de la politique d'Emmanuel Macron : appliquer le « quoi qu'il en coûte » d'un côté, et faire des économies de bout de chandelle dans un domaine géostratégique qui engage les prochaines générations, comme celui de la pérennisation de l'éducation et la culture française dans le monde. « Le politicien devient un homme d’État quand il commence à penser à la prochaine génération plutôt qu'à la prochaine élection. » disait Churchill. C'est sans doute ce qui nous manque aujourd'hui en France ». 

*AEFE : Agence Pour l'Enseignement Français à l'Etranger

Interview réalisée par Francis Mateo

Pour retrouver la pétition de Jean-Michel Nogueroles pour demander la gratuité de l'Éducation dans les établissements français internationaux : cliquez ICI

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