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Auto-congratulation gouvernementale sur l’Education nationale : eh bien non, l’école ne peut pas tout
©Reuters

Vains efforts

Alors qu'ont commencé ce lundi les "Journées de la refondation de l'école" autour de la ministre de l'Education nationale Najat Vallaud-Belkacem, cette énième session de tables rondes semble passer une nouvelle fois à côté des vrais soucis de l'enseignement français aujourd'hui.

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français.

 Il est l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment  La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012)

Il possède également un blog : bonnet d'âne

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Jean-Rémi Girard

Jean-Rémi Girard

Jean-Rémi Girard est vice-président du SNALC-FGAF (Syndicat National des Lycées et Collèges). 

Il tient le blog sur l'Education nationale "Je Suis en retard" : http://celeblog.over-blog.com

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Atlantico : Depuis lundi, 2000 personnes sont réunies à Paris autour de Najat Vallaud-Belkacem et de ses deux prédécesseurs au ministère de l'Education nationale, Vincent Peilon et Benoît Hamon, pour les "Journées de la refondation de l'école". François Hollande lui-même s'y est rendu. En quoi ces journées consistent-elles concrètement ? Quels en sont les objectifs affichés ?

Jean-Rémi Girard : Ces deux jours consistent concrètement en un gigantesque plan de com', probablement fort coûteux. Tout le monde s'auto-congratule, bien loin des réels problèmes de l'École et des conséquences tout aussi réelles des réformes mises en œuvre. Pour avoir assisté au début de la grand-messe - avant d'avoir été mis dehors car mon syndicat, le SNALC, a tenté d'interpeller la ministre hors du cadre prévu pour les bons petits soldats -, on est dans un fascinant moment d'entre-soi, avec un programme rempli de "tables rondes" où tout le monde est déjà d'accord au départ. Il s'agit de faire croire qu'on a réellement "refondé l'École". Sauf qu'il n'y a pas grand-monde à l'extérieur de la Bourse pour y croire, et moins de monde encore chez les professeurs, qui ne voient venir que des problèmes (en nombre) et aucun levier pour améliorer le niveau moyen d'enseignement. Bref : il s'agit de vendre du vent.

Jean-Paul Brighelli : Il s'agit à la fois d'auto-congratulation et d'auto-prédiction : faute de savoir ou pouvoir intervenir sur le réel, les idéologues montent un discours vide, comme on monte des blancs en neige - avec du vent. Au passage, si on peut récupérer avec des promesses quelques-uns des enseignants qui avaient voté Hollande en 2012 (et qui réalisent ces temps-ci l'aberration de ce vote), c'est toujours ça de pris. Il s'agit si bien d'auto-congratulation que trois syndicalistes du SNALC qui exprimaient (poliment) leur opposition à la réforme du collège ont été virés manu militari. Bref, c'est une grand-messe sur les bases grotesques du "hé ho la Gauche" qui est vraiment la forme minimaliste - et profondément dérisoire - du racolage actif.

Au programme de ces journées figurait notamment l'objectif de "mettre en place de nouveaux contenus d'enseignement". Le nouveau Conseil supérieur des programmes a été chargé de définir ces "contenus", parmi lesquels un "enseignement moral et civique". Qu'attend-on de ce type d'enseignements dans le contexte actuel ? Et quel résultat peut-on en attendre en termes de cohésion nationale, d'intégration et de "vivre ensemble" ?

Jean-Rémi Girard : L'enseignement moral et civique est venu du projet de Vincent Peillon de faire partager aux élèves une "morale laïque". On a bizarrement perdu le terme "laïque" en cours de route ; c'est bien dommage. Pour ce qui concerne les contenus, on a simplement toiletté l'éducation civique qui existait déjà en collège, lycée général et professionnel (sous diverses formes), et on a appelé ça une réforme. On a ensuite importé la chose dans le primaire, avec des programmes fabriqués sur des cycles de 3 ans parfaitement impossibles à mettre en œuvre. Si l'on rentre dans le détail, on a pas mal de choses tout à fait intéressantes. On y parle des principes et des symboles de la République (y compris la laïcité donc, même si c'est au professeur de se débrouiller avec les débats du moment). On explique le fonctionnement de nos institutions, d'un procès, on parle des addictions… Ensuite, toute la partie intitulée "culture de la sensibilité" paraît fort fumeuse ("partager et réguler des émotions", kézako ?) et n'est pas correctement cadrée. Bilan : ce programme ne semble pas avoir été conçu pour être enseigné de façon pragmatique. Beaucoup de choses sont très implicites, et les contenus d'enseignement sont loin d'être bien déterminés. On risque donc de ne pas beaucoup améliorer le fameux vivre-ensemble, et on risque ponctuellement d'y faire des choses très artificielles, surtout au vu de l'absence de formation de qualité prodiguée aux professeurs.

A noter que, comme ces programmes de cycle de 3 ans étaient une horreur à mettre en œuvre (surtout entre le CM1 et la 6e - faut-il n'y rien connaître pour prendre une décision aussi stupide -), on a généralisé à l'ensemble des disciplines. Et voilà comment on n'est plus sûr de qui va enseigner quoi et à quel niveau…

Jean-Paul Brighelli : On ne peut rien attendre de programmes qui ont été conçus d'abord dans une obéissance servile aux objectifs de "compétences" définis par le Protocole de Lisbonne en 2000 (et qui vident les enseignements nationaux de toute référence à des savoirs réels, à commencer par la maîtrise de la langue), ensuite en adéquation avec les lubies pédagogistes qui se sont mises en place depuis les années 1960. Rien. Je n'en veux pour preuve que les exemples accablants issus ces derniers jours des manuels conformes à la réforme. L'idée des Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) ne pouvait surgir que dans la cervelle moisie d'un pédagogue obsédé par la non-transmission des connaissances - ou incapable de transmettre quoi que ce soit, sinon l'exorbitance de son ego.

Au-delà de ces deux journées, n'attend-on pas trop de l'école, désormais rendue responsable de problèmes dépassant largement la question de l'instruction ? Que peut-elle réellement faire et que devrait-on plutôt confier à d'autres institutions (Etat, parents...) ? Quel rôle ne doit-elle pas se voir confier, au risque d'alimenter certains problèmes ?

Jean-Rémi Girard : Lcole ne peut tout faire. Or, la tendance est de la rendre sans cesse plus "inclusive", et ce pour tous les profils d'élèves : élèves handicapés, élèves en très grand retard, élèves ayant divers troubles et maladies. Sauf qu'on ne donne que très rarement les moyens de permettre l'inclusion réelle, et qu'on vise à fermer, à terme, le maximum de structures spécialisées car elles coûtent cher et donnent mauvaise conscience. Il faut toutefois imaginer ce qu'est être un professeur des écoles avec 30 élèves ayant des soucis à divers degrés (de l'élève dyslexique ou "malenseigné" à l'élève psychotique qui se tape la tête contre les murs, quand ce n'est pas celle de son voisin) et qui tente de s'en sortir sans aide extérieure aucune. Étonnamment, il est vite en échec, et tous les élèves en pâtissent.

Le souci, c'est qu'à un moment on ne veut pas reconnaître que certains élèves (psychotiques, par exemple) ne peuvent être inclus sans dégâts dans le cadre classique. Et que d'autres peuvent l'être, mais uniquement avec un accompagnement qu'on ne leur fournit que rarement, et qui a de surcroît tendance à disparaître au lycée. Dernier exemple en date : le ministère veut absolument inclure au maximum les élèves de 6e SEGPA (ceux qui ont de gros retards dans les apprentissages, et qui peuvent avoir un niveau CE1) dans les classes ordinaires, au nom de beaux idéaux de partage, d'enrichissement mutuel via les différences de tous et de vivre-ensemble (et, à terme, parce que ça coûte moins cher). On risque de créer des situations parfaitement ingérables pour les enseignants, qui n'arriveront plus à aider personne et seront vite dépassés.

Si l'on élargit la question, il ne s'agit pas d'opposer enseignement et éducation, puisque le savoir possède, en lui-même, des vertus éducatives. Le souci, c'est qu'on raisonne de plus en plus dans l'autre sens, en faisant de l'éducation (à tout et parfois à n'importe quoi) l'alpha et l'oméga de la pédagogie. On refuse aux élèves la lente et patiente construction du savoir au profit de tâches complexes, de projets, d'interdisciplinarité, d' "éducations à" et d'un morcellement des disciplines en de multiples dispositifs. Le résultat n'est pas brillant. À l'image du résultat de cette "Refondation".

Jean-Paul Brighelli : Condorcet expliquait en 1793 que l'Instruction revient à l'Ecole, et l'Education aux parents. Le fait est que la famille fait souvent faillite, pour des raisons multiples (et je n'accable pas forcément des parents dépassés). Mais comme en même temps on a vidé l'enseignement de sa fonction de transmission, plus rien ne se met en place dans les jeunes cervelles. On ne peut espérer que les familles redressent immédiatement la barre. En revanche, on peut redessiner les contours d'une école de la transmission : il faut réécrire les programmes dans le sens d'une plus grande exigence et d'une ambition supérieure, dans tous les domaines en commençant par la maîtrise du français. L'essentiel, dans un premier temps, est d'en finir avec l'idéologie délétère des "compétences", qui ne sont pas des savoirs mais des minima techniques pour futurs abonnés au CDD permanent. L'objectif affiché par Mme Vallaud-Belkacem - réduire les inégalités en égalisant par le bas - n'a d'autre objectif réel que de conditionner les enfants et les adolescents aux lois du marché néo-libéral auquel la Gauche a fait allégeance depuis 1983. Si Mme Vallaud-Belkacem est de gauche, je veux bien être pendu. Elle est l'outil servile des grands groupes qui mettent la France et l'Europe en coupe réglée - à commencer par les grands groupes informatiques auxquels elle vend l'Education nationale par éléments, comme Bernard Tapie jadis vendait les entreprises en sacrifiant les secteurs peu rentables - les plus pauvres, les plus déshérités - et en mettant en avant quelques unités supposés rentables - les écoles privilégiées des bobos parisiens.

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