Audition Alstom à l’Assemblée : les questions incontournables à poser à MM Montebourg et Kron<!-- --> | Atlantico.fr
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Arnaud Montebourg et Patrick Kron, PDG d'Alstom, seront entendus aujourd'hui à l'Assemblée nationale par la Commission des Affaires Economiques pour évoquer l'éventuelle vente d'un champion national qui conserve pourtant de nombreux avantages technologiques. Un fait qui interroge sur la capacité de nos dirigeants à penser les intérêts stratégiques de notre économie à l'heure de la mondialisation.

Christian Harbulot

Christian Harbulot

Christian Harbulot est directeur de l’Ecole de Guerre Economique et directeur associé du cabinet Spin Partners. Son dernier ouvrage :Les fabricants d’intox, la guerre mondialisée des propagandes, est paru en mars 2016 chez Lemieux éditeur.

Il est l'auteur de "Sabordages : comment la puissance française se détruit" (Editions François Bourrin, 2014)

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Que ce soit au niveau militaire (turbines nucléaires) ou plus directement technologique (fabrication de satellites et de réseaux intelligents), la vente d'Alstom pose de sérieuses questions sur le plan de la préservation de nos avantages compétitifs alors que la France souffre déjà d'une désindustrialisation qui pèse sur sa croissance.

Atlantico a listé avec Christian Harbulot, spécialiste d'intelligence économique, les interrogations qui mériteraient d'être soulevées. 

Atlantico : Que laissons-nous vraiment partir en laissant partir la branche Alstom Power actuellement en négociation ?

Christian Harbulot : Un récent article d'Eric Denécé, publié par Atlantico, évoquait le problème que poserait la vente d'Alstom sur le plan de notre approvisionnement nucléaire. Le mode de propulsion de nos sous-marins nucléaires, garanti jusqu'ici à 50% par Alstom, en serait ainsi directement remis en cause. Plus largement, les avantages technologiques et stratégiques de l'entreprise dans de nombreux domaines (et notamment la technologie spatiale, Ndlr)  sont aussi engagés dans ce processus. C'est là une affaire qui évoque en creux celles d'Arcelor et de Péchiney où l'absence totale de soucis pour nos atouts stratégique était déjà criante. Personne ne s'inquiète aujourd'hui d'expliquer cette absence de protection de notre appareil industriel qui permet pourtant de garantir notre avenir dans la mondialisation.

Un pays comme la France se doit de maintenir ses capacités de développement tout en assurant à sa population un bien-être économique tangible. Une classe politique responsable (ce qui est visiblement de moins en moins le cas aujourd'hui) ne pourra pas traiter sérieusement ce genre de problème pourtant capital pour notre sécurité nationale et nos avantages technologiques et commerciaux. On est hélas rentré aujourd'hui dans une logique de crise ou la communication l'emporte sur la stratégie industrielle, personne ne se demandant apparemment quels bénéfices l'on peut tirer de telle ou telle chaîne de montage. Tout le problème se situe pourtant ici en ce moment.

Faut-il croire Alstom lorsqu'il est affirmé que les branches cédées ne seront pas essentiellement stratégiques ?

Christian Harbulot : Je crois que dans l'état actuel des choses ainsi qu'au regard de ce qui s'est passé dans un certain nombre de dossiers industriels passés (on pense à Arcelor-Mittal) qu'il est assez difficile de faire une totale confiance à la direction d'Alstom. Il semble aujourd'hui aléatoire de laisser un chèque-en-blanc à cette dernière alors que l'on parle ici de questions absolument vitales pour la préservation de la sécurité nationale française. On oublie de dire que le pouvoir politique américain se comporterait exactement de cette manière si un dossier aussi central était en discussion outre-Atlantique.

Il est ainsi de moins en moins supportable d'entendre des députés français parler de ces sujets sans prendre en compte ne serait-ce qu'une seconde le mode de fonctionnement d'autres gouvernements (et particulièrement les Etats-Unis) dans des conditions absolument identiques. Omettre de telles réalités est pour le moins irresponsable, indigne du rôle de leur mandat, et particulièrement dangereux pour la préservation de la sécurité nationale.

Que va t-il advenir de l'activité Satellite Tracking Systems, aujourd'hui intégrée à Alstom Power ?

D'après des informations apportées par Eric Denécé et publiées par Atlantico ce mardi 20 mai, la branche Alstom Power contient une filiale modeste (540 employés) basée à Grenoble et baptisée "Satellite Tracking Systems". Spécialisée dans les systèmes de repérage par satellite, cette structure fournit son matériel et son savoir-faire à d'importantes entreprises françaises (Thalès, France Télécom...) depuis plusieurs années. Ainsi, contrairement à ce qui a pu être affirmé dans le traitement du dossier Alstom, la vente de la branche énergie équivaudrait bien à céder des activités stratégiques de la plus haute importance, et dont l'acquisition intéresse particulièrement Washington. 

>>> Pour de plus amples informations sur l'enjeu de la filiale satellite, lire aussi "Alstom : le vrai atout stratégique dont personne n’a encore parlé (et autres questions sur un rachat)"

Le repli sur Siemens, notamment défendu par M. Montebourg, est-il vraiment une bonne solution ? Quelles garanties l'entreprise allemande, qui a par ailleurs assuré Poutine de sa loyauté fin mars offre-t-elle vraiment ? Pour qui Siemens roule-t-il ?

Christian Harbulot : Le problème qui est hélas le plus criant dans ce soutien à l'option de Siemens réside dans le fait que cette affaire montre une fois de plus l'incapacité des politiques, de droite comme de gauche, a avoir une grille de lecture sur ce que peuvent être les fondamentaux de la puissance française au XXIe siècle. La manière dont on traite le cas d'Alstom ne fait finalement qu'enfoncer le clou après plusieurs décennies d'incohérence stratégique. Il n'y a actuellement pas de plan B dans le rachat d'Alstom comme il n'y a pas de plan A : autrement dit, le monde politique est totalement impréparé dans une question pourtant cruciale. Il est évident que la solution Siemens n'est pas une bonne solution en tant que telle: c'est une option de repli qui ne change rien dans l'absolu. Il est plus que logique, si nous étions dans un raisonnement de développement industriel, qu'il aurait fallu privilégier dès le départ une sanctuarisation des aspects technologiques d'Alstom (sécurité nationale, réseaux électriques intelligents…). 

Il est devenu évident pour l'Hexagone, non seulement de définir des secteurs stratégiques qui vont au-delà de la simple notion que la Commission de Bruxelles nous impose actuellement. En ce sens, le décret qui a été évoqué récemment par Arnaud Montebourg est tout à fait pertinent et légitime au regard des enjeux économiques du moment. La France se doit de devenir sur ce plan ce que l'on pourrait appeler un "pays perturbateur" par rapport au manque de visibilité stratégique qui caractérise actuellement les décideurs européens se trouvant à  Bruxelles.

Les activités énergie d'Alstom sont-elles dans une situation préoccupante ?

Toujours selon les informations d'Eric Denécé, la volonté de Patrick Kron de céder 70% des activités du groupe (Energie, énergies renouvelables et réseaux électriques) pour se recentrer sur celles qui sont les plus rentables se justifie difficilement, en particulier lorsque l'on sait que les branches qu'est censé racheter General Electrics représentent actuellement 56% du chiffres d'affaires de l'entreprise en l'état. Alstom est ainsi l’entreprise qui dispose de la plus grande expérience nucléaire au monde : elle est numéro un mondial pour la fourniture de centrales clés en main, comme pour les activités de rénovation et de maintenance des centrales. Elle équipe environ 25 % du parc mondial et possède les capacités pour intervenir pendant tout le cycle de vie des centrales.

>>> Pour de plus amples informations sur le potentiel économique de l'entreprise, lire aussi "Alstom : le vrai atout stratégique dont personne n’a encore parlé (et autres questions sur un rachat)"

Quelle crédibilité donner aux révélations du Canard Enchaîné concernant un conflit d'intérêt mettant en cause les dirigeants d'Alstom par rapport à General Electrics ?

Christian Harbulot : L'information du Canard Enchaîné implique dès à présent la nécessité d'une information judiciaire qui serait à même de déterminer si oui ou non il y a eu conflit d'intérêt lors de la négociation avec General Electrics. Ce type d'ambiguïté, étant donné l'importance des enjeux ne peut être laissé aux oubliettes actuellement.

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