Au cœur de la guerre que se livrent les hackers islamistes et les Anonymous<!-- --> | Atlantico.fr
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Le collectif de pirates informatiques Anonymous a décidé de rentrer en guerre contre l'islamisme radical sur Internet.
Le collectif de pirates informatiques Anonymous a décidé de rentrer en guerre contre l'islamisme radical sur Internet.
©Reuters

3615 Djihad

Suite aux récents attentats en France, de nombreux sites publics français ont subi des attaques de la part de nombreux "cyber-djihadistes". Le but : déverser leur propagande et affirmer que non, ils "n'étaient pas Charlie". La nébuleuse Anonymous constituée de hackers leur déclarait immédiatement la guerre avec l'ambition de nettoyer le web.

Jean-Paul Pinte

Jean-Paul Pinte

Jean-Paul Pinte est docteur en information scientifique et technique. Maître de conférences à l'Université Catholique de Lille et expert  en cybercriminalité, il intervient en tant qu'expert au Collège Européen de la Police (CEPOL) et dans de nombreux colloques en France et à l'International.

Titulaire d'un DEA en Veille et Intelligence Compétitive, il enseigne la veille stratégique dans plusieurs Masters depuis 2003 et est spécialiste de l'Intelligence économique.

Certifié par l'Edhec et l'Inhesj  en management des risques criminels et terroristes des entreprises en 2010, il a écrit de nombreux articles et ouvrages dans ces domaines.

Il est enfin l'auteur du blog Cybercriminalite.blog créé en 2005, Lieutenant colonel de la réserve citoyenne de la Gendarmerie Nationale et réserviste citoyen de l'Education Nationale.

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Atlantico : Après les attentats contre Charlie Hebdo, le collectif de pirates informatiques Anonymous a décidé de rentrer en guerre contre l'islamisme radical sur Internet. Leur but était de traquer les djihadistes sur la toile. Cette entreprise est-elle sérieuse ? Quels sont les moyens d'"Anonymous" dans cette entreprise ?

Jean-Paul Pinte : Ce n'est pas la première fois qu'Anonymous revendique des attaques, leurs actions sont donc à prendre au sérieux. Ils ont déjà fait leur preuve avec par exemple l'attaque en 2012 du site de l'agence de renseignement australienne, mais aussi celle du site de l'Elysée, ou celle du ministère de la défense dont le site a été victime d'une attaque par déni de service (une action coordonnée d'un grand nombre d'internautes pour saturer le serveur NDLR) en mémoire de Rémi Fraisse. Ils n'en sont pas à leur coup d'essai et multiplient les actions ces dernières années. A la base, leur cible se constitue des ennemis de la liberté d'expression, ce n'est pas l'islam qui est visée mais la propagande des islamistes. Pour eux le Web est un espace de liberté et de partage. Anonymous est un collectif mondial assez diffus de hackers "activistes" (un mouvement appelé "hacktivisme" NDLR). A la suite des attentats de Charlie Hebdo, ils ont décidé de parler de leur volonté de réagir sur le site Paste-Bin et planifient une attaque massive le 15 janvier. Leur particularité est qu'ils n'ont pas de hiérarchie pure ni de porte-parole, par contre ils ont des moyens assez importants : à la base, ils utilisent des "petites mains" qui deviennent ensuite des personnes un peu plus compétentes, puis, à la fin, des hackers experts qui peuvent interagir sur des systèmes informatiques. Malgré cet aspect diffus, ils sont organisés et il s'agit d'un groupe sérieux.

La police française a demandé à ce que personne ne joue son rôle sur Internet, car cela pourrait gêner le travail d'enquête. Cette "cyber-justice" anonyme menée au nom de la communauté présente-t-elle des risques ? Après tout, on dit que l'enfer est pavé de bonnes intentions …

Oui, cela présente le risque de fausser les enquêtes. On peut faire le parallèle avec ce qu'on a dit sur la télévision et les journalistes récemment. Les chaînes de TV ont été parfois très mauvaises dans la gestion des crises. Je pense notamment à ce terroriste à Paris qui regardait la télé en même temps et qui pouvait suivre l'action des deux autres complices. Pour Internet c'est pareil : on peut toujours lancer un petit tweet avec l'effet d'une bombe et un équipement de communication peut mettre le bazar. Rien que certaines idées exprimées sur le net en rapport avec les récents évènements, par rapport à la défense des criminels par exemple, gênent la police sans que l'on s'en rende compte.

En face des Anonymous, leurs adversaires : des hackers se présentant comme "islamistes" ou revendiquant leur appartenance à divers groupes comme Daech. Ils ont d'ailleurs piraté un bon nombre de sites publics français ces derniers jours. Ces pirates sont-ils organisés et agissent-ils dans le cadre d'une stratégie commune ? Dans ce cas, quel est leur but ?

Le but final est toujours le même, dans les deux cas : montrer que l'on est capable de bloquer l'autre, totalement ou en partie, et se constituer, soi-même, en police sur le web. A la base, ce sont surtout des loups solitaires, mais maintenant on a plutôt affaire à des organisations : hors Anonymous l'objectif est aussi d'agir en groupe. Au début du hacking, l'idée était de se mettre derrière une machine, de parvenir à cracker puis de se retirer. Maintenant l'idée est de cracker, et de savoir ce qu'on pourrait en tirer, financièrement ou autre. On voit un peu apparaître le miroir d'Anonymous mais en islamiste et cette guerre peut durer longtemps.

Les différents sites français hackés se sont simplement vus affublés d'un message islamiste sur leur page d'accueil. Mais pourrait-on aller plus loin dans les attaques de ce cyber-djihad ? Jusqu'où pourrait mener l'escalade entre ces pirates et Anonymous ?

Cela peut aller beaucoup plus loin : la captation de données, le vol de données accompagné également du kidnapping de données avec rançon à la clef. En France, cela pourrait toucher un grand nombre d'organismes avec des données ouvertes, dans le domaine de l'emploi par exemple (l'URSSAF) ou d'autres domaines vitaux comme les impôts. Maintenant, nous ne sommes plus dans une époque où ce type d'actes avait pour motif l'argent. Le but est désormais de capter des informations, de le prouver en laissant une trace et de les balancer sur la toile, un peu comme dans l'affaire WikiLeaks. A l'échelle de la guerre réelle, sur le terrain, ces actions peuvent donner un avantage concret aux islamistes, notamment avec le développement des objets connectés : on imagine la prise de contrôle de ces objets, à l'intérieur d'une société par exemple grâce à quelqu'un qui s'y est introduit en prétendant réparer quelque chose : les objets vont être un moyen d'attaque également. En ce moment on parle beaucoup de cybercriminalité, à laquelle répond la cyber-sécurité, mais maintenant nous avons basculé dans le cyber-terrorisme qui fait appel à des compétences en traitement du big data, les données massives. Anonymous ne fait que couper, pour qu'on ne puisse plus accéder à un site, les terroristes vont contre-attaquer car ils peuvent le faire et ont des équipes pour. Ce qu'il faut retenir c'est qu'on a affaire à un face-à-face entre deux groupes, une guerre motivée par la défense de la liberté de sa propre expression des deux côtés. Les deux camps veulent se prouver qu'ils combattent à armes égales, avec des compétences informatiques très importantes. Tout ça va donner des idées à des personnes qui se diront que c'est un moyen de se battre sans forcément s'engager, la toile s'adaptera. Les islamistes utiliseront le "défacement" de sites Internet pour faire passer leurs messages, pour punir ce qu'ils jugent contraire à l'islam. L'escalade peut être entraînée par une logique de défi entre les deux camps qui souhaitent se prouver qu'ils sont capables de faire plus. Je ne dis pas qu'on en est là, mais aujourd'hui le cyber-jihad existe grâce à des gens qui n'ont pas forcément de l'argent mais du temps. L'important aujourd'hui, c'est d'analyser comment fonctionnent ces réseaux, en matière d'informations et de communications, comment ils sont structurés, de les infiltrer.

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