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La guerre feutrée entre l’Élysée et le Vatican continue.
La guerre feutrée entre l’Élysée et le Vatican continue.
©Reuters

France vs Vatican

Alors que François Hollande réaffirme sa volonté de faire de Laurent Stefanini l'ambassadeur de la France au Vatican, contre l'avis du Saint Siège, le pape a rencontré l'intéressé. Le souverain pontife, agacé par l'acharnement du président français, aurait décidé de ne pas se rendre en France. Les relations entre le gouvernement et l’Église semblent être au point mort.

Christophe Dickès

Christophe Dickès

Historien et journaliste, spécialiste du catholicisme, Christophe Dickès a dirigé le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège chez Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la politique étrangère et à la papauté (L’Héritage de Benoît XVI, Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde). Il est enfin le fondateur de la radio web Storiavoce consacrée uniquement à l’histoire et à son enseignement.

 

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Atlantico : François Hollande a réaffirmé sa volonté de faire de Laurent Stefanini l'ambassadeur de la France au Vatican, contre l'avis du Saint Siège. Comment le pape accueille-t-il cette obstination ?

Christophe Dickès : Le pape se trouve aujourd’hui dans une impasse dans la mesure où l’affaire prend une proportion médiatique démesurée dont le Saint-Siège se serait bien passé. Et l’affaire ne devient plus seulement française puisque des médias étrangers se sont emparés de la question en soulignant que c’était l’homosexualité de Laurent Stefanini qui posait problème pour le Vatican, tout comme son engagement  en faveur du mariage pour tous. Or, nous savons tous que le pape François, à l’occasion du synode sur la famille en octobre dernier, a souhaité que soit évoqué l’accueil des personnes homosexuelles au sein des communautés ecclésiales. Il s’agit d’un point qui à nouveau sera débattu en octobre prochain. 

Donc, soit il donne l’agrément à Laurent Stefanini et provoque au sein de plusieurs églises particulières (Afrique, Etats-Unis…) une levée de boucliers, avec des répercussions inévitables sur l’esprit du prochain synode ; soit il la refuse et dans ce cas il prend le risque de ne plus avoir d’ambassadeur français près le Saint-Siège jusqu’à la fin de la présidence de François Hollande comme cela a été divulgué par Europe 1.

Pourquoi cette rencontre entre Laurent Stefanini et le pape François ?

Le pape François, avec son art consommé de la communication mais aussi par culture – car il s’agit d’un homme de dialogue , a tenté de renverser la vapeur en recevant longuement l’intéressé. Ils auraient même prié ensemble… En vain. Il faut dire aussi que le Vatican a beaucoup trop tardé dans cette affaire. Nous sommes à la fin du mois d’avril et l’on a su publiquement au début du mois de janvier que Laurent Stefanini avait été nommé en Conseil des Ministres. Il fallait agir vite et se prononcer rapidement afin d’éviter une médiatisation, ce que le Saint-Siège n’a pas fait. Et, à l’heure où vous m’interrogez, l’agence IMedia confirme que le pape n’a pas exprimé de refus. Mais il n’a pas accepté pour autant cette nomination… L’incertitude demeure donc, ce qui envenime la crise.

La rencontre au Vatican entre le pape et François Hollande avait été particulièrement froide. Quels sont les rapports de François Hollande avec le catholicisme?

On se souvient effectivement du regard noir du pape François à l’arrivée du président français au palais apostolique à la fin du mois de janvier 2014. Le Saint-Père ne souhaitait pas être instrumentalisé par lui et l’a montré publiquement d’une manière extrêmement forte…

De son côté, François Hollande, semble-t-il, n’a jamais accordé une quelconque importance au catholicisme. Par doctrine ou par indifférence ou les deux, peu importe. Cependant, quelques jours avant la visite au Vatican, étonnamment, il avait assimilé blasphème et racisme au cours d’une conférence de presse. Ce qui lui avait été reproché par l’aile gauche de son parti et par les féministes pro-Femen. Cependant, dans le contexte dramatique des attentats contre Charlie Hebdo en janvier dernier, ces propos ont très vite été oubliés.

On se souvient aussi du communiqué de l’Elysée sur les Egyptiens coptes assassinés par Daech, communiqué qui ne mentionnait pas le fait que ces chrétiens avaient été égorgés du simple fait de leur religion… Après l’assassinat des Ethiopiens rendu public cette semaine, l’Elysée semble avoir corrigé le tir. D’autant que nous savons depuis deux jours que des Eglises sont menacées sur le territoire français.

L'obstination de l'exécutif sur le cas Stefanini pourrait conduire à ce que la France n'ait pas de représentant au Saint-Siège. Quelles en seraient les conséquences concrètes ? 

Cette obstination se caractérise par la phrase qui, si elle a bien été prononcée, peut avoir d’importantes conséquences sur le plan diplomatique. En effet, si François Hollande a bien dit qu’il s’agissait d’une question de valeurs ou de principes, il ne laisse guère de porte de sortie. Nous sommes désormais dans une guerre insoluble de principes... Et de son côté, la France n’a pas tiré les leçons du précédent de 2007 puisque la nomination à l'ambassade de Jean-Loup Kuhn-Delforge avait été refusée par le Vatican parce qu’il était pacsé… Ainsi, cette nomination apparaît objectivement comme une provocation, d’autant plus qu’elle a été décidée par le Président lui-même. La vraie question se résume à : est-ce de l’intérêt de la France de ne pas avoir d’ambassadeur près le Saint-Siège dans les deux prochaines années ? Naturellement non. Et il est assez navrant d'entendre dire qu’une telle carence "ira très bien à François Hollande" comme cela a été rapporté par Europe 1. 

Pourquoi donc, concrètement?

Cette obstination est une faute politique dans un double contexte : le Saint-Siège, dans sa médiation entre Cuba et Etats-Unis, a montré au monde entier qu’il était un acteur de la scène internationale respecté et efficace, salué et remercié publiquement par la plus grande puissance au monde. Or, si la France n’a pas d’ambassadeur près le Saint-Siège, elle perdra une carte importante dans son jeu diplomatique ainsi qu’une source d’informations de première main. La France a besoin de l’appui du réseau diplomatique du Saint-Siège sur bien des sujets comme l’écologie ou les conflits à travers le monde. L'exemple de Bruno Joubert, le dernier ambassadeur près le Saint-Siège, est à cet égard très éclairant. Il montre qu'un ambassadeur apprécié par la Secrétairerie d'Etat au Vatican peut obtenir des informations majeures sur le plan diplomatique et humanitaire. On sait que les services diplomatiques du Saint-Siège font partie des réseaux les mieux informés... Et on ne peut se priver d'un tel réseau. Cette obstination de François Hollande est enfin une faute politique parce que la France, comme bien des puissances occidentales, doit faire face à la guerre au Moyen-Orient et à la menace islamiste. L’heure n’est pas à la division mais à l’union des forces morales et politiques contre la barbarie totalitaire des islamistes.

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