Attila Macron : derrière lui, aucune réforme ne repousse ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Faire des réformes à contre-courant ne va-t-il pas mener vers une aversion totale des citoyens envers les réformes ?
Faire des réformes à contre-courant ne va-t-il pas mener vers une aversion totale des citoyens envers les réformes ?
©PASCAL ROSSIGNOL / POOL / AFP

Attentes des Français

Emmanuel Macron s’est fait élire parce qu’il avait mieux compris que tout le monde à quel point les partis et les syndicats étaient vermoulus. Après 6 ans de pouvoir, et au regard des blocages du pays, il ressemble à un médecin dont le contact avec les patients serait tellement mauvais qu’il les précipiterait en masse dans les bras de naturopathes et autres charlatans.

Stéphane Rozès

Stéphane Rozès

Stéphane Rozès est président de Cap, enseignant à Sciences-Po Paris et auteur de "Chaos, essai sur les imaginaires des peuples", entretiens avec Arnaud Benedetti.

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Atlantico : En quoi la présidence d’Emmanuel Macron et ses décisions qui vont à l’encontre des attentes des Français les mènent à se tourner vers des solutions qui ne sont que des mirages ?

Stéphane Rozès : L’actuelle réforme des retraites s’inscrit dans la longue cohorte des réformes structurelles menées depuis trois décennies par nos gouvernants, toutes couleurs politiques confondues, mais le moment politique actuel en révèle les fondements et impasses.

La mise en place de l’Union européenne a opéré un double processus quant au rapport de la France à son avenir et aux réformes.

Au nom du fait que « la France est notre patrie et l’Europe est notre avenir »  , pour reprendre la formule de François Mitterrand, les classes dirigeantes ont œuvré et les français ont consenti à déléguer leur souveraineté à l’U.E. A elle était dévolue dorénavant le soin de définir ou devait aller notre nation et les modalités de réformes venant des nécessités extérieures et respects de normes pour survivre dans le monde tel qu’il devenait …  

L’adhésion française était gagée sur le fait que les Français, à l’imaginaire projectif et universaliste, voyait « l’Europe comme la France en grand », une puissance politique, économique et sociale en mesure de peser dans les grands vents de la globalisation néolibérale, celle de la prévalence des marchés financiers.

Chez nous, du fait de notre imaginaire, la réforme est acceptée si elle est au service d’une vision, d’un projet politique national ou européen comme notre prolongement.

Tout se rompt lors du référendum sur le Traité constitutionnel européen de 2005. Le débat en plein campagne sur la « directive Bolkeistein » dévoile pour une majorité de français que l’Europe élargie et ses institutions ne sont pas l’expression d’une Europe puissance pesant dans la globalisation néolibérale mais au contraire le relais de cette dernière au sein des nations européennes. 

L’Union européenne se distinguera de l’Europe à partir de ce moment pour l’Opinion et même sera à rebours de ce que les Français en attendent. 

Les Français refuseront cette évolution néolibérale de l’Europe au travers de la victoire du Non et voudront reprendre leur souveraineté nationale. Nos dirigeants, Berlin et Bruxelles passeront outre lors du traité de Lisbonne.

Depuis nos gouvernants continuent à mener des réformes structurelles allant dans le sens de l’adaptation perpétuelle de l’Europe et de ses nations à la prévalence des marchés.

La seule chose qui a changé, c’est que nos gouvernants n’utilisent plus l’argument européen pour justifier des réformes, mais plutôt du fait que les autres pays font de même et qu’il faudrait en passer par là pour survivre.

Au-delà des efforts demandés et de leurs répartitions inégalitaires, « la grève par procuration de l’opinion » en soutien des mouvements sociaux pour reprendre mon expression de 1995 exprime le fait que chez nous les réformes se justifient et sont acceptées si elles résultent de débats sur les finalités dont elles sont les moyens. 

La particularité du moment actuel est que même si les contraintes ne justifient pas clairement la réforme des retraites, le Président Macron mal élu, croit justifier de son dernier mandat en continuant à discipliner la nation en dépit des oppositions et grâce à elles. 

Voilà une singularité française. Les gouvernants et le sommet de l’État loin de s’indexer sur la nation mènent des politiques à rebours de son imaginaire et de ses intérêts d’où notre dépression record et effondrement dans tous les domaines. 

Loin d’en tirer les enseignements, nos gouvernants et classes dirigeantes, tels des canards à qui on a coupé la tête, continuent. Un Nobel d’économie américain disait « quand on ne dispose que d’un marteau, on voit des clous partout. ». J’en rend raison dans mon livre d’entretiens avec Arnaud Benedetti.

Est-ce que faire des réformes à contre-courant ne va pas mener à force vers une aversion totale de la population envers les réformes ?

Oui. Mais précisons bien que les Français ne sont pas rétifs en soi aux réformes et efforts justement répartis. C’est la justification et la façon de réformer qui est en cause.

Ainsi les réformes des retraites posent au préalable la question du rapport au travail et à la nouvelle période de vie qui s’ouvre avec la retraite. 

Ces questions sont éludées dans la mesure ou privés de souveraineté nationale, les gouvernants non plus gouvernent mais gèrent des variables systémiques ou paramétriques. 

Il faudrait non plus construire un avenir commun mais sans cesse s’adapter au présent et à ses contraintes subies comme une fatalité.

Y a-t-il encore un espoir que la présidence de Macron accouche d’un nouveau monde, sans passer par la case effondrement ?

Il faudrait remettre l’État au service de la nation, de son imaginaire et de ses intérêts. Nous nous assemblons depuis des siècles au travers de disputes politique communes de sorte de dénaturaliser nos origines, nous projeter et construire notre avenir. Voilà notre singularité, génie et grandeur repérée dans le monde et méconnue chez nous. 

Or l’État relaie en France des politiques néolibérales de respect de procédures et disciplines conformes à l’Imaginaire allemand devenu après 1945 à fondement économique, ordo-libéral. Ce nouvel équilibre allemand devenu hégémonique en Europe est d’ailleurs dangereusement déstabilisé par la guerre en Ukraine. Nous n’en avons pas pris encore conscience mais c’est ainsi.

Éviter le chaos, dont nous sommes l’œil du cyclone passe nécessairement par la restauration de la souveraineté nationale. Elle est chez nous, pour des raisons historiques, la condition de la souveraineté populaire.

Mais au-delà si l’Europe coincée entre Washington ; Moscou et Pékin s’enfonce dans la guerre en spectatrice de son déclin c’est que ses institutions néolibérales sont l’inverse du génie européen, depuis « Mare Nostrum » qui est de faire de la diversité de ses peuples, de leurs imaginaires et nations du commun. Il faut vite restaurer la souveraineté des nations européennes et construire une Europe forte et politique à même de retrouver une place, sa place dans le monde. La France doit pour cela jouer sa partition à fortiori dans le moment actuel de désarroi allemand. Mais pour cela il faut être clair. Dans les moments tragiques, il n’y a guère de place pour le « en même temps ». Seuls pèsent les gouvernants qui voient précisément et s’indexent sur leurs peuples et leurs imaginaires.  

Stéphane Rozès est l'auteur de "Chaos, essai sur les imaginaires des peuples", entretiens avec Arnaud Benedetti

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