Attentats de Paris et de Bruxelles : pourquoi éprouve-t-on cette étrange sensation de "s'habituer" à l'horreur ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Science
Attentats de Paris et de Bruxelles : pourquoi éprouve-t-on cette étrange sensation de "s'habituer" à l'horreur ?
©Reuters

Self-défense

Suite à des traumatismes extrêmes subis, des mécanismes de défense neurologiques et psychologiques se mettent en place pour nous permettre de continuer à vivre normalement. Mais certaines victimes tombent parfois dans des états de stress post-traumatique (ESPT).

Jacques Dayan

Jacques Dayan

psychologue, psychiatre, spécialiste des stress post- traumatiques, auteur de l’étude : La mémoire dans l’Etat de Stress Post-Traumatique : Stress et Mémoire Emotionnelle (SEME)

Voir la bio »

Atlantico : Malgré les différents attentats, la plupart d'entre nous arrivons à continuer à vivre normalement. Comment notre cerveau nous permet-il de s'habituer à l'horreur ?

Jacques Dayan : Suite à de traumas extrêmes subis, il y a des mécanismes qui se mettent en place pour surmonter les effets de la peur. On peut les analyser en termes de mécanismes cérébraux, en terme de fonctionnement psychique ou en termes de comportement, tous étant bien sur très liés.

Par exemple, on peut citer le phénomène d'extinction, qui peut se traduire par une inhibition apprise de la peur : le cerveau semble contrôler la réaction de peur car dans les mêmes circonstances ou dans des circonstances analogues, le trauma ne se reproduit pas. La mémoire émotionnelle ne disparaît pas pour autant. Ainsi, une réaction de peur conditionnée apparemment éteinte peut être réactivée par une nouvelle expérience stressante même sans reproduire exactement  les stimulus du conditionnement.

Il existe aussi par exemple le phénomène de dissociation, que l'on peut comparer à une sorte de bulle dans laquelle s'enferme plutôt involontairement le sujet pour mettre à distance le danger. Les troubles dissociatifs se manifestent par une altération de la conscience avec des pertes fonctionnelles (amnésie, troubles de l’identité, paralysie, pertes de sensations...), ils sont souvent associés à des phénomènes d'intrusions (flash-back, etc).

Ensuite, il y a des réactions comportementales de protection qui se mettent en place suite à un traumatisme, négatives ou positives.

Côté négatif, le sujet peut par exemple déplacer la peur qu'il a subie au moment du traumatisme sur autre chose (le traumatisme du à un attentat se transforme en une peur extrême d'aller faire ses courses), développer des organisations obsessionnelles (toujours passer par un chemin et pas par un autre) ou devenir agressif.

Coté positif, le sujet peut se mettre à faire plein de choses qu'il ne faisait pas avant (jouer de la musique, voyager) ou prendre de bonnes résolutions. C'est une manière de reprendre le contrôle de sa vie.

Cette mise à distance de la peur est-elle de l'ordre du réflexe biologique ou de l'action volontaire de chacun ?

Il y a les deux.

Le sujet n'a pas conscience de subir un phénomène d'extinction par exemple, c'est un réflexe d'ordre biologique.

Mais il y a aussi des réactions sur lesquelles la volonté du sujet joue, au moins en partie, comme de se mettre à boire trop, prendre des médicaments, etc... Il en est d'autres plus élaborées comme lire, s'engager dans un mouvement spirituel ou intellectuel , ou encore s'investir dans son travail, dans sa famille, dans son couple.

Et puis il y a des réactions ou le réflexe biologique et la volonté du sujet se chevauchent. Par exemple, les traumatismes extrêmes peuvent faire devenir le sujet plus mature qu'il ne l'était avant. Il va donc se mettre à faire des choses comme s'engager, accepter de prendre des responsabilité, etc. Mais il n'a pas décidé de devenir plus mature, c'est le traumatisme qui explique cette évolution.

Sommes-nous tous égaux concernant cette capacité à nous mettre psychologiquement à distance du danger ?

Absolument pas. Il y a une très grande hétérogénéité des cas.

Certains vont vivre des événements traumatisants et êtres victimes par la suite de stress post-traumatique (ESPT), d'autres non. Si on presque toujours la mémoire pénible d'un événement terrible, on n'en a pas toujours une mémoire traumatique, c'est-à-dire qui revient sous forme d'intrusions répétées à l'insu de la volonté du sujet, des fois tellement vive que la personne a l'impression de revivre l’événement.

Un événement terriblement grave créé un syndrome de stress post-traumatique chez 30 à 70% des gens qui étaient présents. Et les symptômes de stress post-traumatique persistent plus de 6 mois pour un tiers seulement de la population qui en étaient affectée.

Les sujets qui ont connu des carences affectives graves dans leur enfance ou des traumatismes par le passé sont plus susceptibles de garder la mémoire traumatique d'un événement traumatique. En effet et contrairement à ce qu'on pourrait penser, en général, les traumatismes successifs ne renforcent pas la personne, mais la rendent plus vulnérable.

Il y aurait aussi peut-être des inégalités biologiques face aux événements traumatiques, selon certaines études menées sur des jumeaux. Mais il s'agit encore de simples hypothèses.

Enfin, les circonstances exactes de l’événement, le soutien apporté et le contexte social jouent aussi un rôle.

Cet effet de détachement est-il temporaire ? Disparaît-il avec la fin du danger (fin d'une guerre…) ?

Le détachement, que l'on appelle souvent dissociation, peut disparaître ou au contraire accompagner pour certains l’état de stress post-traumatique (ESPT), qui est un état se caractérisant par le développement de symptômes spécifiques faisant suite à l'exposition à un événement traumatique dans un contexte de mort, de menaces de mort, de blessures graves ou d’agression sexuelle.

Les principaux symptômes de l’ESPT sont :

-Des reviviscences.

- De l’évitement.

- Des altérations cognitives et émotionnelles.

- L’hyperactivation du système nerveux.

Les douleurs et les peurs que nous avons éteintes peuvent-elles se réactiver ? Si oui, sous quelles formes ? Peuvent-elles menacer notre équilibre psychologique ?

C'est un point difficile à accepter lorsque l'on a souffert d'un état de stress post-traumatique.

Même guéri, des années après, de toutes petites choses peuvent raviver votre mémoire et vous faire revivre la peur de l'événement. Cette reviviscence peut être fugace et seulement désagréable mais dans certains cas l’expérience peut être intense, autant qu'au moment ou vous étiez sur le lieu du traumatisme. Ce retour du symptôme peut être unique ou dans les cas les plus sévères se prolonger.

Comment font les personnes soumises à des dangers sans fin (comme le confit israelo palestien par exemple) ?

Lorsqu'une population est soumise à un état de stress permanent aggravé par des moments particulièrement brutaux, les liens sociaux se modifient pour protéger la majorité de la population.

Un peu à l'image d'un individu soumis à des stress sévères ou à des menaces continues, des réactions sociales spécifiques naissent dont certaines sont inscrites dans la vitalité et la créativité, d'autres dans l’évitement et d'autres dans des forces destructrices.

Se met aussi en place un aller-retour constant entre réactions individuelles et réactions sociétales.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !