Attentat d’Ankara : le coup d’envoi d’une intervention au sol turque en Syrie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'attentat du 17 février à Ankara.
L'attentat du 17 février à Ankara.
©REUTERS/Stringer

La colère d’Erdogan

L’attentat du 17 février 2016 qui a tué 28 personnes (dont 27 militaires) et 61 blessés dans le cœur d’Ankara, la capitale turque, a été revendiqué le 19 par le TAK, un sous-groupe du Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK (Partiya Karkerên Kurdistan).

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Les Faucons de la Liberté du Kurdistan (Teyrênbazên Azadiya Kurdistan,TAK) sont apparus en 2004. Depuis, ils n’ont cessé de se livrer à des actions terroristes sur l’ensemble du territoire turc alors que la « maison mère » limitait généralement ses opérations au sud-est du pays.

Officiellement, il est « indépendant » du PKK mais il semble que la réalité est tout autre. En fait, il a permis au PKK de s’attribuer un visage présentable dans l’espoir que sa qualification de « groupe terroriste » par la communauté internationale soit levée. Cela lui a surtout été utile lorsque le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre et aujourd’hui président de la République, négociait une « paix des braves » par l’intermédiaire de ses services secrets (le MIT) et Abdullah Öcalan, le leader historique du mouvement qui purge une peine à perpétuité sur l’île-prison d’Imrali. En effet, bien qu'embastillé, il bénéficie quand le pouvoir le veut bien, de contacts à l'extérieur où il jouit toujours d'un grand prestige moral au sein des populations kurdes.

Le chef actuel du TAK serait un certain Docteur Fahman Hussein alias Bahoz Erdal dît l’« exécuteur ». Ce Syrien d’origine kurde a été le chef militaire de la Force de défense du peuple (Hézên Parastina Gel, HPG), la branche militaire du PKK de 2004 à 2009. Il était alors le numéro trois du conseil de direction du mouvement derrière Murat Karayilan et Cemil Bayik, des combattants historiques du mouvement séparatiste turco-kurde.

A la différences des grands attentats survenus en Turquie en 2015 (20 juillet à Suruç et 10 octobre à Ankara) et le 12 janvier 2016 à Istanbul qui étaient tous dirigés contre des membres de l’opposition proches de la cause kurde ou, dans le dernier cas contre des touristes étrangers (allemands en majorité) qui n’ont jamais été officiellement revendiqués(1), celui du 17 février l’a été par le TAK. C'est dans la tradition des activistes séparatistes kurdes. Il a moins été fait état d'une attaque de véhicules militaires qui a eu lieu dans la région de Diyarbakir-Lice juste le lendemain de l'action terroriste d’Ankara. Sept militaires y ont trouvé la mort.

Ces opérations entrent dans le cadre de la guerre ouverte qui a été déclenchée par le pouvoir turc contre le PKK après l’échec des négociations évoquées précédemment. Plus précisément, l’attentat d’Ankara de 2016 est une réponse aux bombardements auxquels l’artillerie lourde de l’armée turque procède depuis quatre jours à partir de son territoire sur les régions kurdes d’Afrin et dans le corridor d’Azaz. Ce dernier fait l’objet d’une offensive de la part du YPG (les Unités de protection du peuple), le bras armé du Parti de l’Union Démocratique (PYD) kurde syrien, en liaison avec les forces de Damas et avec l’appui de l’aviation russe.

L’enquête diligentée par les autorités turques a permis très (trop ?) rapidement d’identifier le kamikaze qui a fait exploser sa voiture à hauteur d’un bus transportant des militaires de l’Armée de l’Air turque qui revenaient de leur travail. Il s’agirait du Syrien d’origine kurde Salih Necar, originaire de la région de Deir ez-Zor. Comme il s'était réfugié en Turquie, ses empreintes digitales avaient été relevées et elles correspondraient à celles du kamikaze. Le véhicule aurait été loué il y a deux semaines à Izmir, ce qui implique une préméditation qui date d’avant le début des bombardements turcs. Selon la revendication du TAK, le kamikaze se nommerait en fait Abdulbaki Sonmez. L'attentat serait une réponse aux opérations menées ces dernières semaines par l'armée turque "fasciste" dans la région de Cizre (sud-est anatolien). Par ailleurs, il est demandé aux touristes de ne pas venir en Turquie, le TAK n'assumant pas la responsabilité d'éventuels morts qui pourraient survenir dans les stations balnéaires lors de prochaines actions. A l'évidence, le TAK veut s'en prendre à l'économie touristique déjà durement frappée par les conséquences du conflit syrien.

Des conséquences désastreuses

Le président Erdogan est fou de rage. Il a ordonné l’intensification des tirs d’artillerie avec leur extension sur la zone d’Efrin qui n’était pas touchée par les combats qui ont lieu depuis le début février entre forces loyalistes syriennes, le YPG et les Russes d’un côté et les rebelles « modérés » de l’autre. Il pourrait décider dans les jours qui viennent une intervention unilatérale du 4e Corps d’Armée (qui dépend de la 2eArmée basée essentiellement dans le sud-est du pays) qui fait face à la frontière syrienne. Il pourrait alors y installer la « zone tampon » qu’il appelle de ses vœux depuis des mois. Si les Syriens et le Russes ne pouvaient répliquer aux tirs d’artillerie provenant du territoire turc car cela aurait été considéré comme une agression d’un pays de l’OTAN provoquant une escalade quasi automatique (les pays de l’OTAN sont tenus de se porter assistance lorsqu’un de leurs membres est attaqué), il n’en va pas de même si les troupes turques franchissent le frontière.

Personne ne sait quelle sera alors la réaction des forces blindées syriennes et surtout de l’aviation russe. L'engrenage risque d'être fatal et c'est peut-être ce que désirent les dirigeants du PKK. En effet, les Kurdes sont beaucoup moins unis que l'on ne veut bien le dire. Une redistribution générale des cartes arrangerait vraisemblablement les groupes armés les plus puissants comme le PKK et ses alliés du YPG. Ils pourraient parvenir à leurs fins : obtenir un Kurdistan à leur botte. De son côté, le président Erdogan a le prétexte idéal pour intervenir : le droit de poursuite de terroristes qui peuvent se livrer à de nouvelles opérations terroristes en Turquie. A suivre...

1. Ils sont attribués à Daech par les autorités. Or, ce mouvement revendique toutes ses actions. Il y a là un mystère et plusieurs hypothèses. La plus plausible est que Daech ne veut pas se mettre la Turquie à dos car c'est sa seule porte d'accès à l'extérieur.

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