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Attaque à la hache, fusillade à Munich : l’Allemagne peut-elle encore invoquer des raisons historiques pour laisser aux autres la charge de la lutte contre le terrorisme ?
©Reuters

Poids de l'histoire

Si les récents événements en Bavière vont pousser le Parlement allemand à réfléchir aux nouveaux moyens à mettre en oeuvre contre le terrorisme international, une intervention massive à l'extérieur, en Syrie ou en Irak, reste peu probable. A moins que l'Allemagne ne subisse sur son sol des attentats d'envergure.

Stephan Martens

Stephan Martens

Stephan Martens est professeur de civilisation allemande à l'université de Cergy-Pontoise. Il enseigne la culture et l’histoire germaniques aux étudiants français depuis près de vingt ans. Il a été recteur de l’académie de la Guadeloupe entre 2011 et 2014 et a fondé l’Académie franco-allemande des relations internationales de Bordeaux, qu'il préside depuis 2010. Il a publié près de 70 publications académiques et écrit ou dirigé un dizaine d’ouvrages au cours de sa carrière. Francophone et francophile, il a publié avec son ami et ancien ambassadeur de France Philippe Gustin, France-Allemagne. Relancer le moteur de l’Europe (Paris, Éditions Lemieux, 2016).

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Atlantico : La lutte contre les groupes djihadistes et le terrorisme dans laquelle l'Europe est engagée est double : elle se mène à la fois en interne et en externe. L'Allemagne s'est-elle vraiment saisie de cette lutte ? Après les événements récents en Bavière, combien de temps encore pourra-t-elle s'exonérer de la responsabilité que lui confèrent sa puissance et son rôle dans la crise des migrants pour ne pas s'associer pleinement à cette lutte ? 

Stephan Martens : Plusieurs paramètres doivent être pris en compte. Tout d'abord, l'Allemagne a une expérience, relative bien sûr, en matière de terrorisme avec la prise d'otages aux Jeux Olympiques de Munich en 1972 par le front de libération palestinien et avec les attentats de la Fraction armée rouge de la bande à Bader dans les années 1970. L'Allemagne sait ce que cela peut signifier. D'autre part, elle n'est pas démunie par rapport aux actes terroristes, comme on a pu le voir dans la soirée du vendredi 22 juillet à Munich où les forces de police ont su gérer plus ou moins bien la situation. 

L'Allemagne a accueilli plus d'un million de réfugiés l'année dernière. Le gouvernement, et surtout la chancelière, ont considéré qu'il y avait une sorte de "partage du travail" entre d'un côté, l'Allemagne faisant le maximum pour accueillir les réfugiés et de l'autre, certains de ses alliés, notamment la France, engagés dans la lutte contre le terrorisme, notamment en Syrie contre l'Etat islamique. Cela ne signifie pas que l'Allemagne ne se sent pas concernée par les conséquences des actes terroristes guidés par l'Etat islamique. Elle participe tout de même aux opérations menées contre l'Etat islamique et accompagne par exemple la France dans des missions de reconnaissance. Par ailleurs, des coopérations intenses sont menées entre les services secrets allemands et français. L'attaque à la hâche et la fusillade de ce vendredi à Munich (même s'il n'a pas encore été prouvé que l'assaillant était un partisan de l'Etat islamique) vont certainement pousser le Parlement à réfléchir dans les semaines et les jours qui viennent à la mise en place de l'état d'urgence et aux nouveaux moyens à mettre en place. Il y aura peut-être une restriction des libertés fondamentales pour lutter davantage et de manière plus efficace contre le terrorisme international. 

Mais la question de l'intervention à l'étranger est un éternel débat en Allemagne suite à la Seconde guerre mondiale et aux crimes commis par les Allemands. Les limites d'une action à l'extérieur sont toujours réelles. Et c'est toujours avec beaucoup de précaution que l'Allemagne mène ce débat. Par ailleurs, si l'Allemagne devait s'engager massivement aux côtés de ses alliés dans une opération extérieure en Syrie voire dans la poche moyen-orientale, cela serait suite à un accord voté par le Bundestag (le Parlement fédéral). L'armée allemande est une armée parlementaire donc si l'Allemagne devait vraiment s'engager plus massivement, ce serait uniquement grâce à une approbation du Parlement fédéral. 

Alors que l'Europe a été frappée par une série d'attentats, l'Allemagne peut-elle continuer d'invoquer l'histoire et le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale pour refuser d'être un acteur militaire de premier plan dans la lutte contre l'EI ? 

L'Allemagne a quand même passé un cap vers la normalisation en matière de politique étrangère à partir de 1994 : une décision de la cour constitutionnelle fédérale a autorisé, sous certaines conditions, les forces armées allemandes à participer à des interventions à l'extérieur. L'Allemagne est intervenue en Afghanistan (de façon massive avec 3500 soldats à une époque), en Bosnie Herzégovine, en Somalie. A l'époque du chancelier Schröder, 10 000 soldats allemands étaient déployés dans le monde et l'Allemagne était, après les Etats-Unis, le deuxième pays à avoir le plus de soldats déployés sur des opérations extérieures. Il reste que ce débat est toujours présent, pour de bonnes raisons historiques. Il me semble que ce débat continuera d'avoir lieu malgré les actes terroristes en Europe. 

Partir en guerre à l'extérieur et envoyer des soldats en Syrie, en Irak ou en Afrique n'est pas possible pour des raisons constitutionnelles. Il faut toujours qu'il y ait un débat au Parlement et que le parlement soit d'accord. Cela fait partie de l'ADN de la République fédérale d'Allemagne depuis 1949. L'intervention extérieure est considérée comme l'ultime moyen pour éviter que les choses ne s'enveniment. L'Allemagne donnera toujours la priorité au dialogue même si elle est tout à fait consciente que les actes terroristes en Europe deviennent critiques. Je ne vois l'Allemagne participer activement à des opérations extérieures et combattre l'Etat islamique en mettant les moyens militaires nécessaires que s'il y avait plusieurs attentats d'envergure en Allemagne même. 

Dans quelle mesure la politique migratoire allemande peut-elle augmenter le risque terroriste en Europe ? L'accord migratoire conclu entre l'UE et la Turquie en mars et largement influencé voire dicté par Angela Merkel a été critiqué car jugé trop déséquilibré et cédant excessivement aux conditions turques. L'Allemagne peut-elle poursuivre sa politique accommodante vis-à-vis de la Turquie d'Erdogan ? Dans quelle mesure le fait de faire passer ses intérêts propres avant les défis communs auxquels l'Europe fait face pourrait à terme la pénaliser ? 

De façon spontanée, l'Allemagne a fait preuve d'une politique d'accueil très favorable. La chancelière a ouvert les portes de l'Allemagne en sous-estimant l'ampleur de cette arrivée massive de réfugiés politiques et de migrants économiques. Cette politique d'accueil spontanée a dans un premier temps été jugée de manière assez favorable par la plupart des Allemands. A partir de la nuit du Nouvel an à Cologne, les Allemands se sont rendus compte que cette politique migratoire présentait des limites. Aujourd'hui, l'Allemagne a tenté de conclure des accords avec ses voisins, surtout avec la Turquie, pour limiter le flux de réfugiés. Elle a mis en place une vraie politique d'intégration depuis la loi votée par le Parlement fédéral le 7 juillet dernier qui donne des droits mais aussi des devoirs importants concernant ces réfugiés. Il y a une volonté de juguler le flux massif de réfugiés, on n'est plus dans la situation de l'année dernière. 

Au vu de la jugulation des flux de réfugiés instaurée par l'Allemagne, on ne peut pas dire que le risque terroriste soit augmenté. La police allemande fait son travail, notamment aux frontières. S'il y a eu des passages de partisans de l'Etat islamique parmi les réfugiés dans le passé, la situation est aujourd'hui sous contrôle en Allemagne. 

En ce qui concerne l'accord avec la Turquie, il est évident qu'Angela Merkel, du fait de sa stratégie turque, a fait pression sur ses partenaires européens. L'accord a été très critiqué pour les raisons que vous évoquez. On ne peut pas prévoir ce qui va se passer à terme suite au putsch manqué en Turquie et à ses conséquences. Le président Erdogan est en train d'instaurer un régime dur : il a suspendu un certain nombre de libertés publiques et la restauration de la peine de mort a même été évoquée. Berlin a fait savoir qu'il y avait des limites à ne pas franchir. La chancelière se trouve dans une situation qui est loin d'être simple. Elle doit tenir compte d'un certain nombre de facteurs : raisons traditionnelles historiques, raisons d'intérêt économique et commercial (la Turquie étant un partenaire privilégié de l'Allemagne) mais aussi le fait que 3 millions d'Allemands d'origine turque vivent en Allemagne dont la plupart sont des partisans d'Erdogan (c'est la plus grande diaspora turque à l'étranger). Mais en même temps, la chancelière et son gouvernement sont tout à fait conscients des dérives de la Turquie et du fait que celles-ci empêcheront cette relation germano-turque d'aller plus loin. Le porte-parole de la chancelière a fait savoir que si la Turquie rétablissait la peine de mort, les négociations d'adhésion avec la Turquie seraient arrêtées définitivement. Il s'agit d'un signe politique assez important. Il faut donc être très prudent, établir un juste équilibre entre la realpolitik et la situation sur le terrain en Turquie. Par ailleurs, le Bundestag a voté le 2 juin dernier une résolution qui reconnait le génocide arménien de 1915 ce qui a davantage envenimé les relations germano-turques. 

L'Allemagne ne mène pas une politique d'intérêt national égoïste au point qu'elle pourrait un jour en subir les conséquences. Il y a une doxa politico-économique, celle de l'ordolibéralisme, qui domine en Allemagne depuis la fin de la guerre et considère qu'il faut que l'économie soit en ordre de marche, que les finances publiques soient assainies etc. Il est vrai que l'Allemagne fait souvent pression sur ses partenaires pour qu'il n'y ait pas de dérives au niveau financier, budgétaire et économique. Elle a tendance à vouloir diffuser son modèle économique et social dans les autres pays européens. Mais c'est un pays qui sait où sont ses limites propres : elle ne veut pas diriger l'Europe. Elle souhaite que l'Europe aille bien car la construction européenne fait partie de son ADN politique. En effet, elle s'est reconstruite grâce à l'Europe : si l'Europe va mal, l'Allemagne ira mal. Il me semble que l'Allemagne est inquiète, elle s'inquiète par exemple du décrochage économique de la France. On dit souvent que l'Allemagne est trop petite pour jouer un rôle mondial et trop faible pour pouvoir s'imposer en Europe. 

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