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Le président russe Vladimir Poutine et le Premier ministre Dmitri Medvedev avant une réunion au Kremlin, à Moscou, le 15 janvier 2020.
Le président russe Vladimir Poutine et le Premier ministre Dmitri Medvedev avant une réunion au Kremlin, à Moscou, le 15 janvier 2020.
©Dmitry ASTAKHOV / SPUTNIK / AFP

Menaces

Dmitri Medvedev, l'ancien président russe, a publié une lettre sur Telegram dans laquelle il accuse la Pologne de « russophobie ». Il a également critiqué la décision du Premier ministre polonais de diversifier les importations de pétrole et de gaz.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Lundi dernier, l’ancien président russe, Dmitri Medvedev a posté une lettre sur Telegram dans laquelle il accuse la Pologne de « russophobie » et il s’en est pris à la décision du Premier ministre polonais de diversifier les importations de pétrole et de gaz. Comment interpréter ce texte ? S’agit-il d’une mise en garde de la Russie à la Pologne ?

Michael Lambert : L'ancien Premier ministre et Président russe, Dmitri Medvedev, est récemment revenu sur le devant de la scène avec ses commentaires sans détour sur l'Occident, particulièrement ceux en relation avec le secteur des nouvelles technologies (Medvedev était un partisan de l'Internet russe, déconnecté du monde occidental).

Cela dit, les propositions de Medvedev sur la Pologne ont tout leur sens, car ce pays membre de l'OTAN et de l'UE s'oppose farouchement à la Russie depuis avant meme la fin de la guerre froide. La position de la Pologne est pro-OTAN et pro-USA, allant jusqu'à soutenir la présidence de Trump aux États-Unis. Plus récemment, Varsovie a proposé d'envoyer ses propres avions de chasse pour aider l'Ukraine, ce qui aurait constitué une ingérence directe dans le conflit, avec une possible escalade entre l'OTAN et l'OTSC.

Le texte doit donc être interprété au premier degré, c'est-à-dire comme la volonté du gouvernement polonais de ne plus importer d'hydrocarbures russes et de les remplacer par d'autres fournisseurs. Pour la Russie, cela constitue naturellement un affront et conduit à une escalade verbale car la Pologne est au cœur des initiatives anti-russes, et donc dans la ligne de mire de Moscou. Cependant, la Russie pourrait tout au plus interrompre l'approvisionnement en gaz de la Pologne et de ses alliés les plus proches (la République tchèque, les États baltes et l'Estonie). Une escalade militaire est peu probable.

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Florent Parmentier : L’ancien Président Dimitri Medvedev est aujourd'hui vice-président du Conseil de sécurité de la Russie. Dans son message Telegram il s'est dit convaincu que les Polonais "comprendront tôt ou tard que la haine envers la Russie ne favorise pas la cohésion sociale, le bien-être ou la paix". Il a également pointé du doigt le rôle la classe politique de Varsovie, déplorant dans le même message que "les intérêts des citoyens polonais sont sacrifiés pour la russophobie par ces politiciens sans talent et leurs marionnettistes venus de l'autre côté de l'océan avec des signes clairs de sénilité"

Que revêtent ces critiques ? D’après Medvedev, le choix de la Pologne de se priver du gaz, du pétrole et du charbon russe ont un impact direct pour l’économie polonaise. C’est également l’idée selon laquelle imposer des sanctions fait du mal au pays concerné, mais également au pays qui prend les sanctions.

On se souvient qu’en octobre dernier, Medvedev avait posté une lettre très virulente à l’égard de l’Ukraine sur Kommersant que la lettre concernant la Pologne n’est pas sans rappeler. Faut-il interpréter cette lettre comme le signe d’une hostilité similaire vis-à-vis de la Pologne (avec les conséquences que l’on connaît) ?

Michael Lambert : Les deux pays sont radicalement différents. Si la lettre de Medvedev à l'Ukraine visait à la mettre en garde contre un rapprochement avec l'OTAN et l'UE, la Pologne est déjà un membre actif de ces deux alliances. De plus, l'Ukraine est sujette à des divisions internes (Donbass, Crimée) et n'est pas homogène dans sa réponse à la Russie, tandis que la Pologne s'oppose unilatéralement à Moscou.

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Pour résumer, la Russie a mis en garde l'Ukraine et cela a conduit à une escalade militaire, mais les chances qu'il en soit de même en Pologne sont minces. Néanmoins, une guerre économique entre la Pologne et la Russie, à laquelle s'ajouteraient des cyber-attaques, des processus de guerre hybride et des campagnes de désinformation, semble plus que probable dans un avenir proche.

Florent Parmentier :Il est présent à l’esprit de l’ancien Président que la Pologne et les pays Baltes ont plus que d’autres pays d’Europe centrale une attitude hostile à la Russie, pour des raisons historiques. Ce niveau d’hostilité ne se retrouve pas en République tchèque, en Bulgarie ou en Hongrie, quand bien même ces Etats ont également des griefs historiques vivaces.

Faisons un exercice de pensée : si vraiment la Russie voulait se lancer dans une offensive contre la Pologne, quelles troupes pourrait-elle mettre à disposition ? Quelles armes lui permettraient de faire la différence ? Quel narratif pourrait justifier auprès de la population une telle attaque ? Quel serait alors le rôle de la Biélorussie ? On peut douter du sérieux de ce scénario. Cela traduit surtout une forme d'inquiétude par rapport aux conséquences de la guerre en Ukraine, et à l’idée que la Russie a changé ses règles d’engagement à l’occasion de cette guerre. La question reste de savoir quel ordre, ou architecture de sécurité européenne, pourra émerger pour mettre fin à ce chaos.

Il y a un mois, Le Premier ministre polonais indiquait redouter une attaque russe sur la Pologne. Ce texte est-il de nature à renforcer les craintes du pays ?

Michael Lambert : L'objectif d'une telle déclaration est de renforcer la relation entre les États-Unis/OTAN et la Pologne, de réaffirmer le sentiment anti-russe dans le pays et d'encourager les autres pays de l'OTAN/UE à adopter une approche similaire.

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La crainte de la Pologne est essentiellement historique, puisque les principaux pays menacés par la Russie sont dans l'ordre : Moldavie (via la Transnistrie et la Gagaouzie), Géorgie, puis Estonie et Lettonie (guerre hybride avec les populations russophones). La Pologne a une résilience militaire suffisante du fait de sa participation à l'OTAN pour ne pas craindre la Russie, sauf en termes de cyber-attaques et de coupures de gaz.

Florent Parmentier :Il y a de la part du Premier ministre polonais une volonté de s'attirer un soutien très large de la part des États-Unis et de ses alliés européens. Le gouvernement au pouvoir à Varsovie et connu pour sa capacité à jouer la fibre nationale, dans la manière de s'opposer à la Russie, mais également dans sa manière de s'opposer aux institutions européennes quand il s'agissait de questions liées à l'Etat de droit en Pologne. Le PiS a également été souvent critique vis-à-vis de l’Allemagne, par exemple à l’occasion de la réalisation du gazoduc Nord Stream 2.

Toutefois, il ne semble pas raisonnable de penser que l'on peut aller directement d'un texte dans la presse à une offensive militaire. La Pologne, en tant que membre de l'OTAN depuis 1999, et aujourd'hui protéger pour faire face à une éventuelle offensive de la Russie. Le plus probable et toutefois que l'on en reste à des déclarations d'hostilité bilatérales.

En mettant la pression sur la Pologne, Moscou réaffirme-t-il son besoin de bousculer tous les régimes politiques alternatifs à sa porte ? Pourquoi la Pologne est-elle un danger pour elle ?

Michael Lambert : La Pologne ne représente pas un danger direct pour la Russie, mais Varsovie est la quintessence du sentiment russophobe à l'Ouest. À ce titre, la Pologne est le principal pays qui pousse l'Occident à radicaliser ses sanctions contre la Russie, et qui encourage des pays comme l'Estonie et la République tchèque à adopter une approche encore plus hostile envers la Russie.

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Qui plus est, la Pologne favorise le rapprochement de la Géorgie, de la Moldavie et de l'Ukraine avec les structures euro-occidentales, ce qui a une incidence directe sur la géopolitique russe et peut représenter un danger aux yeux de Moscou, qui s'oppose à l'élargissement de la sphère occidentale.

La Pologne est un danger pour la Russie car elle catalyse le sentiment anti-russe depuis plusieurs décennies.

Florent Parmentier :La politique de « dérussification » de l’économie promue par le Premier ministre polonais vise à assécher l’économie russe afin de la contraindre à un cessez-le-feu. Dans ce cas de figure, il faut se demander quelle sera la politique de la Chine, puisque cette dernière peut fournir les moyens économiques et militaires à la Russie de soutenir sa guerre en Ukraine.

Or, Medvedev précise également qu’il n’exclut pas de reprendre, à terme, des relations plus constructives avec la Pologne : « la coopération économique avec notre pays ne profitera qu'aux Polonais, les relations humaines sont irremplaçables et l'échange culturel et scientifique entre les patries de Pouchkine et Mickiewicz, Tchaïkovski et Chopin, Lomonossov et Copernic est d'une importance vitale. Et, très probablement, alors ils feront le bon choix, par eux-mêmes, sans indices ni pression des élites étrangères souffrant de démence ». Il faudra pour cela des évolutions politiques significatives en Russie et une volonté réciproque de reprendre le chemin de la coopération. En période de guerre, cela semble des vœux pieux.

Dans quelle mesure le scénario d’une invasion de la Pologne pèse-t-il sur le pays, au moins dans les mots ? Même si la Pologne est un pays de l’Otan, le scénario d’une attaque Russe est-il complètement inenvisageable ?

Michael Lambert : Les chances sont faibles, une cyber-guerre semble plus probable combinée à une guerre économique entre les deux pays. Des escarmouches frontalières semblent également possibles, ainsi que des processus de guerre hybride comme nous l'avons vu avec les réfugiés du Moyen-Orient qui ont voulu traverser la frontière biélorusse. On est donc loin du scenario ukrainien, sans pour autant sous-estimer l'importance des cyber-attaques sur les infrastructures polonaises.

Florent Parmentier :A ce stade, une attaque de la Russie d’un pays de l’OTAN, a fortiori de la Pologne, n’est pas envisageable sur un plan conventionnel, et ce d’autant plus que sur ce plan, la Russie semble moins forte qu’on ne l’a cru. La Pologne, renforcée de la présence de nombreux alliés, dispose d’un arsenal important et l’article 5 de la charte de l’OTAN serait déclenché. Ce scénario peut être exclu. Quant aux scénarios d’une attaque soit de la Moldavie, soit de la Géorgie, soit des deux, cela ne semble pas se diriger dans cette direction à court terme. Naturellement, les dynamiques produites par la guerre en Ukraine peuvent altérer la situation, jusqu’à rendre ces attaques possibles d’ici quelques mois.

En revanche, subsiste toutefois le risque d’une apocalypse nucléaire : les travaux de Benoît Pélopidas, notamment son ouvrage Repenser les choix nucléaires (2022), permettent d’appréhender réellement nos vulnérabilités nucléaires dans le contexte actuel. Cette fuite en avant doit être réfléchie avec que cette possibilité puisse être conjurée

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