Apple, Samsung, Monsanto : pourquoi les grandes entreprises se livrent des guerres de brevets sans merci<!-- --> | Atlantico.fr
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Apple accuse Samsung de copier le design de ses produits.
Apple accuse Samsung de copier le design de ses produits.
©Reuters

Procès du siècle

Apple, qui accuse son concurrent sud-coréen de copier le design et certaines fonctions de ses produits, lui réclame 2,5 milliards de dollars de dommages et intérêts. L'entreprise de chimie DuPont a elle dû verser 1 milliard de dollars à Monsanto. La compétition entre marques a-t-elle quitté le domaine du commercial pour se régler devant les tribunaux ?

Caroline Casalonga

Caroline Casalonga

Caroline Casalonga est avocat à Paris. Elle a une grande expérience du contentieux de la propriété industrielle et plus particulièrement du droit des brevets, marques et noms de domaine. Elle travaille dans le cabinet Casalonga, un des principaux cabinets français spécialisé en droit de la propriété industrielle.

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      1. Atlantico : Monsanto a obtenu 1 milliard de dollars de dommages et intérêts dans un procès intenté au géant de la chimie DuPont, pour violation des brevets sur sa technologie OGM Roundup Ready. Kodak a dans le même temps perdu un procès qui l'opposait à Apple... Ce même Apple qui réclame 2,5 milliards de dollars à Samsung pour violation de brevets. Pourquoi est-ce si important pour les entreprises de protéger leurs brevets ?

Caroline Casalonga : Il est essentiel, pour les entreprises, de protéger leurs inventions en procédant à des dépôts de brevets. Le brevet confère un monopole sur une invention pendant une durée de 20 ans. Au-delà de cette période, l’invention qui était protégée et a été publiée au moment du dépôt du brevet, peut être utilisée par tous.

La recherche-développement (R&D) est une source d’innovations et un facteur de croissance et de création d’emplois. La recherche intervient dans tous les domaines, tels que les énergies durables, la réduction de la pollution, la santé, les transports, la communication… Elle est essentielle à notre développement, mais elle est coûteuse. Plus de 100 milliards d’euros sont investis en France chaque année dans la R&D.

Ces investissements dans la R&D ne seraient pas rentables et seraient donc bien moins importants s’ils ne permettaient pas à leur auteur d’obtenir un retour sur investissement. Le brevet confère à l’inventeur les moyens de tirer un bénéfice financier de son invention. En échange de la divulgation de son invention et du paiement d’une taxe, le déposant obtient un monopole d’une durée limitée à 20 ans. Pendant toute la durée de validité du brevet, son titulaire va pouvoir exploiter l’invention, la donner en licence contre le versement de redevances et interdire aux tiers de reproduire l’invention objet du brevet.

En l’absence de brevets, il est probable que le financement de la  recherche serait beaucoup plus limité, ce qui entraînerait un ralentissement notable du progrès technique et une détérioration du tissu industriel et commercial de la France.

      1. Mais n'aurions-nous pas plus de produits sur le marché ?

Il est totalement faux de croire que le brevet limite le nombre de produits. Bien au contraire, le brevet stimule le développement technique et le progrès et permet donc au consommateur de bénéficier de produits plus innovants.

Le système des brevets permet de financer la recherche, pour trouver des remèdes à certaines maladies, pour limiter la pollution en créant des habitats moins énergivores, des voitures plus propres, des produits électroniques plus performants...

      1. Le brevet est donc essentiel à la compétitivité des entreprises ?

Absolument. Il est essentiel pour garantir cette compétitivité. La France, malgré des investissements importants en R&D (5ème pays au monde en termes de pourcentages du PIB), reste en arrière en termes de nombre de dépôts de brevets. Ainsi, à titre d’exemple, le nombre de dépôts de brevets européens (euro-directs et euro-PCT) d’origine française étaient de 9 633 en 2011 alors que sur la même période, les dépôts d’origine Allemande étaient de 26 234, soit près de trois fois plus, selon l'observatoire de la propriété intellectuelle publié par l’INPI. Le nombre moins important de brevets européens d’origine française explique sans doute en partie la différence entre la compétitivité française et celle de son voisin allemand.

Comment expliquer les sommes astronomiques en jeu dans ces procès : 1 milliard de dollars obtenu par Monsanto, 2,5 milliards réclamés par Apple ?

Rappelons que ces dommages et intérêts ont été accordés aux Etats-Unis, pas en France. Les tribunaux français accordent des dommages et intérêts bien plus faibles.

En France, les dommages intérêts dans les procès brevets sont, en général, de l’ordre de 40 000 à 50 000 euros. Pour les procès plus importants, les condamnations peuvent dépasser 1 million d’euros. Une condamnation de 10 millions d'euros est extrêmement rare. Ces montants restent donc raisonnables et proportionnés au litige. Les dommages intérêts doivent néanmoins être suffisants pour réparer le préjudice subi, préjudice qui peut être important.

Est-ce parce que la taille des entreprises françaises est plus petite ?

Non, la taille des entreprises est sans incidence sur le montant des dommages intérêts, les mêmes entreprises internationales pouvant agir en France sur le fondement de leurs brevets protégés en France. Ainsi, le procès Apple / Samsung que vous évoquiez est également en cours en France. Les montants plus faibles de dommages et intérêts accordés par les tribunaux français s’expliquent par la différence de taille entre le marché français et le marché américain et par la différence de méthode dans le calcul des dommages et intérêts.

Aujourd’hui, en l’absence de Brevet Unitaire et de Cour Européenne des Brevets, les tribunaux français accordent des dommages et intérêts limités au préjudice subi sur le territoire français. La future Cour Européenne des Brevets accordera des dommages intérêts pour réparer le préjudice subi sur la totalité du territoire couvert par le brevet invoqué.

Le calcul des dommages intérêts est réalisé de manière très précise en fonction du manque à gagner de la partie lésée et des bénéfices réalisés par le contrefacteur. Le tribunal peut également tenir compte du préjudice moral qui est causé au titulaire du brevet. Ce sont ces éléments qui permettent au magistrat de calculer le montant des dommages et intérêts. Ces derniers doivent être suffisamment importants pour réparer le préjudice subi et ne pas encourager la contrefaçon.

      1. Les procès liés aux brevets sont-ils de plus en plus fréquents ?

Non, le nombre de procès brevets en France reste relativement stable. Certains procès sont plus médiatisés, tels que le procès Apple / Samsung qui intervient aux Etats Unis, mais également en France et dans d’autres pays européens.

      1. Qu'est-ce qui peut aujourd'hui être protégé par le brevet ?

L’invention peut consister dans un produit ou un procédé. Pour que l’invention soit brevetable, il faut qu’elle réponde à trois conditions cumulatives :

  • elle doit être nouvelle,
  • elle doit impliquer une activité inventive,
  • elle doit être susceptible d’application industrielle.


La nouveauté et l’activité inventive sont analysées par rapport à l’état de la technique : l’examinateur en charge de la délivrance du brevet, va vérifier si l’invention décrite dans le brevet déposé est nouvelle par rapport à tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date du dépôt de la demande de brevet. L’examinateur va également analyser si, par rapport à cet état de la technique, un homme du métier de l’invention serait, ou non, parvenu de manière évidente à l’invention. S’il résulte de cette analyse que l’homme du métier serait parvenu de manière évidente à l’invention objet de la demande de brevet déposée, il n’y a pas d’activité inventive et le brevet est refusé. Cet examen est conduit par l’INPI pour les brevets français et par l’OEB (Office Européen des Brevets) pour les brevets européens.

Un brevet ne protège ni une idée, ni une découverte sans application industrielle, ni l’aspect visuel d’un produit, aspect qui peut être protégé par un modèle.

      1. Ces grands procès ne sont-ils pas un moyen d'affaiblir le concurrent ?

Un procès en contrefaçon peut être un moyen d’affaiblir un concurrent. Il s’agit surtout, et en premier lieu, d’un moyen de défense du capital industriel d’une entreprise. Le brevet confère à son titulaire le droit d’interdire à tout tiers d’exploiter l’invention protégée. Le procès permet de réparer une violation du droit exclusif du titulaire du brevet.

En cas d’action infondée, le Tribunal peut ordonner le paiement de dommages intérêts. Ainsi, nous venons d’obtenir, pour une société pharmaceutique, la condamnation de son concurrent au paiement d’une provision de 3 millions d’euros en réparation du préjudice subi du fait d’une mesure d’interdiction provisoire infondée, le brevet invoqué ayant été ultérieurement annulé.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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